mardi 7 septembre 2010

L'AMI PERSONNEL

Les amis «personnels» pullulent ces temps-ci. Dupont et Dupont diraient même qu'ils foisonnent. Et j'oserais ajouter qu'ils sont devenus monnaie courante. J'en prends pour preuve cet interviewé qui, à propos d'une connaissance dont nous avons déploré la noyade récente, s'est dépêché d'annoncer aux téléspectateurs:
-Je suis profondément attristé, car c'était un ami «personnel».

A tous les deux jours le petit écran nous présente un hurluberlu dont le premier réflexe, à propos de tel ou tel quidam, est celui de statuer ainsi:
-C'est un ami «personnel»

Il me faut t'avouer, cher McPherson, que l'expression m'irrite au plus haut point... Depuis quand, en effet, faut-il dire qu'un ami est «personnel»? Y a-t-il des amis «impersonnels»? Qu'est-ce qui définit l'ami «personnel»? L'amitié n'est-elle pas, par définition, «personnelle» et n'aurions-nous pas affaire là au plus surabondant des pléonasmes? A contrario, pourrait-il s'agir là d'un anglicisme qui n'aurait pas croisé ma route jusqu'à maintenant?

L'ami «personnel», pour peu que j'y réfléchisse, me semble être un «grand» ami, LE grand ami, qu'il faut différencier des amis plus lointains, qui pourraient n'être que des collègues de travail, des voisins, des amis d'enfance longtemps oubliés, des relations d'affaires ou de simples convives à la cafétéria de l'hôpital. Combien d'amis «personnels» pouvons-nous compter? Peu, il me semble. Car cette sorte d'amitié, la véritable, il faut le dire, me paraît exclusive: elle requiert du temps, de la patience, du travail, et l'on ne saurait diviser à l'infini l'énergie qu'elle requiert.

L'amitié dite «personnelle» se distingue-t-elle de la vraie amitié? Celui qui nous présente un ami «personnel» cache-t-il dans son hangar un autre ami, le vrai celui-là, l'Alter Ego des Anciens? Il semblerait que non, car le possesseur d'un ami «personnel» ne prendrait pas la peine d'adjoindre à AMI l'adjectif PERSONNEL.

Les amis «non-personnels» ne seraient donc pas de véritables amis; ils seraient ce que je t'ai dit plus haut: des connaissances reliées à la géographie, au travail, aux loisirs ou aux affaires.

Je ne te cacherai pas tout de même, McPherson, le fond de ma pensée. Tu comprendras alors les motifs véritables de mon irritation. J'opine que le détenteur d'un ami «personnel» n'a rien compris de l'amitié. Car l'amitié, dans son essence même, n'est rien d'autre que personnelle. L'amitié exclut au départ les autres formes de relations humaines. A moins que le détenteur d'un ami «personnel», comme monsieur Jourdain, fasse de l'amitié sans le savoir!

Nous sommes tout près de Sénèque, ici:
«JE T'EN CITERAI BEAUCOUP QUI N'ONT PAS MANQUÉ D'AMIS, MAIS À QUI L'AMITIÉ A MANQUÉ.»

Delhorno

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