lundi 17 octobre 2011

SOUPER TONKINOIS



J'ai soupé chez Kim ce soir. Rue Water à Campbellton.  Kim est Vietnamienne, mais elle tient restaurant chinois. Pour se donner bonne conscience, elle offre un menu bipartite, chinois et... vietnamien. Quand on sait que les deux races se détestent! Je n'avais pas mangé chez Kim depuis presque deux ans. Je me suis dit qu'un peu de riz et de soupe Wonton ne me feraient pas de tort, d'autant plus que je dois passer des prises de sang demain.

CHEZ KIM n'est pas un resto «très cela»... Tout y est brun, sombre, du plafond au plancher, en passant par les murs et le mobilier. L'éclairage jaunit l'air ambiant d'une telle manière que je me suis senti rendu dans l'Empire du Milieu. Une vingtaine de personnes sont déjà attablées, des femmes! En fait, je serai le seul mâle que CHEZ KIM accueillera ce soir. Est-ce là l'explication du généreux sourire dont me gratifie Kim en me présentant son menu? Seule Kim pourrait répondre à cette question...

CHEZ KIM, c'est le restaurant de l'humilité. Tout y respire, tout y inspire l'humilité! Une seule serveuse, Kim, qui s'affaire, asiatiquement, à pas menus, sans jamais élever la voix, sans jamais s'arrêter un seul instant. Un seul cuisinier, là-bas, tout au fond du logis, qu'on devine sans jamais le voir plus qu'un seul instant. Aucun bruit insolite, sauf les éclats sonores intempestifs des quelques anglaises qui s'attardent. Et, soudainement, quand le silence vient à s'imposer, NEW YORK-NEWYORK chante, à travers Liza Minelli, puis, au moment où le dîneur s'en attend le moins, LE PRINTEMPS, de Vivaldi! Peut-on croire? Dans un restaurant chinois, à Campbellton, au beau milieu de nulle part?

La soupe Wonton sera parfaite. Le riz aussi. Il me semble que seuls les asiatiques savent frire le riz. Kim viendra interrompre, me demandant d'un anglais nasillard si le repas est mangeable. Les boules de poulet sont meilleures que jamais. Je me dis que j'aurais dû revenir bien avant. Le café sera un peu tiède, mais bon! Il y a pire que cela dans cette vie.

J'ai cogité durant tout le repas, d'autant plus que pesait à ma solitude le décès, ce matin, de Buddy, le chat himalayen de Jérôme. Quelle est cette sorte de vie qui vous fait tenir, à mille et mille lieues du Tonkin ou de la Cochinchine, un petit restaurant chinois dont la plus grande vertu est son humilité sombre et brune? Refaire sept jours sur sept la soupe Wonton, le riz frit, les boules de poulet et les rouleaux impériaux? Et sourire malgré tout à ce gros docteur au faciès bouffi et fatigué?

Kim n'a effectué qu'un changement dans son restaurant depuis deux ans: ce soir, elle avait mis du rouge sur ses lèvres!

J'ai payé l'addition, remercié mon hôtesse, laquelle, me gratifiant d'un dernier sourire bienveillant, m'a donné en retour un chiffon humide pour nettoyer mes doigts ainsi qu'un tout petit, je dirais même minuscule, bonbon aux fraises.

Je suis sorti trop tôt, sans avoir eu le courage de demander à Kim:
-Etes-vous heureuse, Madame?

DELHORNO

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