A la télé hier soir. Un reportage sur le peuple Maya et l'extinction de leur civilisation qui fut brillante. Ils découvrirent le zéro! Tikal. Un tas de souvenirs me sont revenus. Ce séjour de trois semaines, il y a maintenant longtemps, à Antigua de Guatemala. Concocté par ma femme et par ma fille. Me faire apprendre un peu d'Espagnol en "m'immergeant" dans une famille.
En fait, j'ai appris bien peu d'espagnol chez Juanita, laquelle était bien plus intéressée par le revenu d'appoint que ses étudiants représentaient. Améliorer notre espagnol était sa dernière préoccupation... Nourriture réduite à sa plus simple expression: ai maigri de quinze livres en trois semaines.
Les quatre premiers mots espagnols que j'ai compris sans l'aide d'un traducteur ou d'un dictionnaire furent: PUEDE SER QUE SI, PUEDO SER QUE NO. PEUT-ETRE QUE OUI, PEUT-ETRE QUE NON. Tout un plaisir quand mon cerveau "alluma", ce soir-là, alors que nous étions en train de manger.
Le jour, j'allais à l'école. Une école en plein air, pour ainsi dire. Il faisait tellement beau. Enseignement privé, un professeur, un élève. Mon professeur s'appelait Rigoberto. M'enseigna le BABA de l'espagnol. A la fin, je pouvais parler un peu, comprendre un peu.
Au Guatemala, il y a trois classes de gens: les blancs, qui se marient entre eux depuis Colomb et Cortez et sont bourrés de fric; les métis, l'immense cohorte des humbles qui assurent l'essentiel et rendent les blancs encore plus riches; les Mayas, qui mènent une vie en marge "y son pobres". Pour 99% des Guatémaltèques, il n'y a aucun "coussin social". Pas de BS, pas d'assurance-salaire, pas d'assurance-santé, pas de régime des rentes, pas de pension de vieillesse, pas de logements sociaux. Une nuit de janvier, peu après mon arrivée, où le mercure descendit trop bas, on compta cinq décès sur la Plaza Major: cinq Mayas morts de froid...
Les Mayas cultivent le café et le maïs dans les montagnes ou errent dans les villes à quémander. Au fil des ans, ils ont déforesté leurs montagnes. Les femmes mayas portent le costume traditionnel et leur dernier-né sur leur dos. Elles marchent à la queue-leu-leu sur les trottoirs, vont laver leur linge au lavoir municipal, essaient de vendre leur artisanat aux gringos. Elles éclataient de rire quand je tentais de leur parler. Ont-elles jamais décelé dans mon regard tout le respect que je leur vouais? Je pensais à leurs lointains ancêtres qui traversèrent le détroit de Behring lors de la dernière glaciation et, de peine et de misère, descendirent le long des côtes américaines du Pacifique.
A en juger à partir de l'effort qu'elle y mettait, ma logeuse ne tenait que fort peu à ce que j'apprenne beaucoup d'espagnol... Sa grande hantise? Que je la quitte pour une autre famille. Lire "manque à gagner". Je n'y ai pas connu la cuisine guatémaltèque, car tout, à table, était réduit à sa plus simple expression. Sauf une fois, un midi, alors qu'elle était allée au marché. Cet épi de blé d'Inde. Je ne m'y attendais pas. Je n'en avais jamais vu comme celui-là. Un gros épi joufflu, des grains énormes, de couleur jaune-foncé. On aurait dit des grains d'or pur. Dieu qu'il était bon! Je ne pus en manger qu'un, car il n'y en avait qu'un par étudiant, et je n'en revis plus jamais les trois semaines suivantes. Je me dis, quand j'y repense, que je devais avoir trop faim, qu'il est impossible qu'un simple épi de maïs vous marque ainsi jusqu'à la fin de votre existence, que je devais être obnubilé par l'histoire maya (le maïs fut, a été, est et sera leur grosse affaire)...
Il n'en demeure pas moins que, ces nombreux instants où je pars dans la lune et que me reviennent ces heures guatémaltèques, c'est d'abord à cet épi de maïs que je pense. Ensuite, je revois mon école, où je pus revivre ces heures de ma jeunesse où j'ai été un étudiant heureux. Je me surprends à révérer presque ce vieil Allemand -avait-il un passé hitlérien?- dont je visitai les serres un beau dimanche: il y préservait du néant, venues de tout le Guatémala, des centaines d'espèces d'orchidées, recueillies in extremis par les coupeurs de grands pins des montagnes guatémaltèques. Du respect ensuite, pour ces médecins américains du Minnesota qui se font un devoir, chaque mois de février, de venir en Amérique Centrale, un gros avion militaire rempli de tout ce qu'il faut, pour soigner, traiter, opérer, les Mayas et Guatémaltèques que Dieu a oubliés. Du mépris finalement, quoique je ne l'aurais pas voulu... Du mépris pour ces ploutocrates blancs d'Amérique Centrale qui n'ont pas su organiser leurs pays justement.
Delhorno
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