vendredi 19 février 2010

VACHERIES, CARAPACE, CAPARAÇON ET CAPARACONNER


Mes enfants me racontent les vacheries qui leur tombent du ciel depuis ce jour à la fois sinistre et glorieux où ils sont arrivés sur le marché du travail. Coups de téléphones vespéraux aux accents désespérés qui me surprennent toujours sans jamais me surprendre... Les hommes sont ainsi faits qu'ils s'élèvent vers les sommets en piétinant le corps de ceux qui font le même chemin qu'eux, et surtout, sans jamais penser qu'en redescendant ils rencontreront ceux-là même que jadis ils ont humiliés...

Qu'est ce qu'une vacherie, Gibus?  C'est un  coup de cochon!  Et qu'est-ce qu'un coup de cochon?  C'est une vacherie.  Nous sommes ici sur le plancher des vaches.  Pas très loin de ces photos que je vous montre...




Une vacherie, c'est un soulier verni en plein coeur d'une bouse de vache.  C'est un coup de Jarnac, une botte inattendue, un coup de poignard dans le dos, gracieuseté d'un ennemi, d'un beau-frère, mais aussi et souvent, de ton meilleur ami et de ton frère.  Ce langage semble de moins en moins usité, depuis que nos sociétés sont de moins en moins agricoles...  En tout cas, c'est un langage que j'entends de moins en moins dans mon entourage.

On se dit à trente ans que la vie n'est pas ainsi faite, que dans quelques années on nous laissera tranquille, qu'on cessera de nous écorcher. Rien n'y fait... Au moindre tournant se tapit un demeuré, un jaloux, un ambitieux voire même un insouciant, qui s'acharne à vouloir nous subtiliser telle  ou telle chose qu'il nous envie.

J'ai percé depuis peu l'alignement des sexagénaires avancés. Certain de ne plus être un obstacle pour personne, de ne menacer aucune ambition. Et pourtant... J'encaisse encore mon lot de vacheries. Cette semaine. Un médecin de famille. Son patient, un jeune homme a dix-sept ans. Pneumothorax minime au sommet gauche. Plus ou moins dix pour cent, si ce chiffre vous dit quelque chose. On ne draîne pas d'emblée ces sortes de pneumothorax, à Chicoutimi, d'où je viens. On me consulte donc. J'opine qu'il faut agir de manière conservatrice pour l'instant, ne pas drainer chirurgicalement ce pneumothorax qui a toutes les chances de se résorber tout seul. Je repasse le lendemain et -c'est ça la vacherie- je me rends compte que le pneumothorax a été drainé par l'autre chirurgien, malgré ma note au dossier.  Médecin de famille et chirurgien n'ont jamais pris le temps de m'appeler pour discuter l'affaire. Je rencontre l'omnipracticien le lendemain, c'est-à-dire hier.  Je me demande prestement si je discuterai l'affaire avec lui...  Finalement, je l'aborde ainsi:
-Tu dois savoir, Bcdef, que le jeune homme au pneumothorax ne pourra jamais se rendre au Costa Rica comme il pensait le faire?
-Assurément, je l'ai mis au courant. En passant, j'ai rencontré l'autre chirurgien dans le corridor; comme le pneumothorax avait augmenté un peu, je lui ai demandé de le drainer.
-Ouais,  j'ai vu ça! Pas de problème...

Or, il y en avait un, un problème... L'endroit n'était pas très bien choisi pour que je le divulgue et l'explicite. J'avais été froissé par son attitude cavalière, son manque de sensibilité. Pourtant, Bcdef devrait connaître la vie, les gens, le respect d'autrui. Il a divorcé deux fois, eu des enfants de trois mères différentes, vit seul maintenant tout en cherchant une nouvelle partenaire. Eh bien, non! Bcdef ne sent pas ces choses-là. Il aurait pu m'en parler, discuter le coup, maintenir qu'un drainage s'imposait, me demander de réviser ma décision, s'enquérir sur quelles données elle s'appuyait. Non. Pourtant, mes bases étaient solides.  J'avais pris la peine de consulter le chirurgien thoracique de l'Hôtel-Dieu St-Vallier...

J'écris ceci pour toi, toi dont je suis le père. Pour que tu saches qu'il est impossible de traverser cette vie sans se faire brusquer, qu'il faut se caparaçonner le plus tôt possible, car les coups viennent de toutes parts et de n'importe qui. Oui, une carapace, un caparaçon et... se caparaçonner!  Contre les vacheries!

Delhorno


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