C'est arrivé il y a deux jours à Cabarete en République Dominicaine. Un tout petit restaurant, ayant pignon sur la rue principale, tout juste en face de la banque Scotia, une filiale dominicaine de notre banque canadienne. Olivier s'y était attablé, attendant que ses deux passagères, ma femme et ma fille, aient terminé leurs emplettes. Il avait donc commandé une pizza de neuf pouces. La serveuse lui avait apporté sa pizza, puis une fourchette, puis une couteau, et un verre de boisson gazeuse. Le client et la serveuse étaient seuls dans le restaurant qui compte moins de cinq tables.
Au moment propice, la camarera lui apporta l'addition: 220 Pesos. Il ouvrit son porte-monnaie, lequel ne contenait que deux billets: un de 200 pesos, un autre de mille pesos. Ne voulant pas donner mille pesos pour en payer vingt, il dit à la jeune femme:
-J'ai de la monnaie dans mon véhicule. Attendez-moi, je reviens avec le montant voulu.
En route vers son véhicule, machinalement, il porta la main sur sa hanche droite, désirant vérifier la présence de son téléphone cellulaire. Il n'y était pas. Il se dit qu'il l'avait laissé sur la table du petit restaurant, car il avait coutume de le placer ainsi dans les restaurants. Curieusement, au même moment, la serveuse quitta son commerce, marcha sur ses pas et vint sur le stationnement de la Scotia cueillir son vingt pesos ainsi que son pourboire. Démarche inhabituelle, pensa Olivier, qui retourna aussitôt à sa table chercher son cellulaire, qui n'y était pas! La serveuse ne l'avait pas vu, il n'y avait personne dans le restaurant. Olivier se dit qu'il reviendrait un peu plus tard en soirée, car il devait quitter sur-le-champ reconduire ma femme et ma fille à Marysol et par la suite mener à l'aéroport Gregorio Luperon de Puerto Plata cinq Québécois dont les vacances dominicaines avaient pris fin. Ce qu'il fit. A son retour à Cabarete deux heures plus tard, la situation n'avait pas changé. Pas de trace de son téléphone, la serveuse n'avait rien vu, personne ne s'était présenté.
Olivier, quelque peu dépité, se dit alors qu'il se présenterait le lendemain, à la première heure, au bureau de la compagnie Claro à Puerto Plata, afin de régler son problème. Son téléphone cellulaire, depuis plusieurs années, est lié à une ligne domiciliaire. Ce n'est pas un portable pour lequel on achète des cartes ou du temps. La compagnie en est propriétaire et Olivier avait signé un contrat approprié.
Samedi matin, donc. Olivier se lève à 7h30 et se rend à Puerto Plata au bureau de Claro. Il est devant la porte à l'ouverture et est servi le premier. La commis écoute ses explications et conclut ainsi:
-Pas compliqué! Nous allons fermer votre numéro et votre téléphone ne sera plus d'aucune utilité pour celui qui l'a «retrouvé». Il vous en coûtera 4200 Pesos pour retrouver un cellulaire. Nous vous donnerons un nouveau numéro ainsi qu'un nouvel appareil.
-Madame, avant de procéder à la fermeture du numéro, pourriez-vous le signaler une dernière fois, au cas où quelqu'un aurait retrouvé mon cellulaire et serait disposé à me le rendre?
-Oui, monsieur.
La préposée Claro signala donc le 809 605 4248.
À la grande surprise d'Olivier, le téléphone n'était pas fermé et une voix lointaine -que j'appellerai Le Loustic désormais- répondit:
-Oui, madame, j'ai le téléphone du monsieur.
Olivier prit le relai:
-Où êtes-vous? A Cabarete?
-Non, je suis à Sosua.
-Puis-je ravoir mon cellulaire? Je pourrais me rendre à Sosua tout de suite.
-Il y a un petit problème, monsieur. J'ai acheté votre cellulaire d'une femme de Cabarete qui l'avait trouvé hier soir. Ça m'a coûté 2500 Pesos. Je veux bien vous le rendre, mais à condition de retrouver mes 2500 pesos.
-Où pouvons-nous vous rencontrer?
-Je suis sur la route de Cabarete présentement. Rencontrons-nous à la Bomba Esso de Cabarete dans une demi-heure.
-J'y serai.
Vers 10 heures, sans savoir qu'Olivier avait retracé son cellulaire, je signalai son numéro et une voix, celle du Loustic, me répondit. Je ne lui laissai pas le temps de se défiler.
-Monsieur, vous avez le cellulaire de mon ami Olivier. Pouvons-nous aller le chercher?
-Certainement. Venez à la Bomba Esso de Cabarete. Appelez-moi dix minutes à l'avance.
Comment retrouver Olivier qui n'avait plus de cellulaire? Je fis le tour des officines Orange et Claro de Puerto Plata sans succès. Je pensai alors qu'Olivier s'y était rendu en compagnie d'Yves, dont je n'avais pas le numéro. Mais Jean-Rock avait le numéro d'Yves. Donc, j'avertis Jean-Rock, qui me promit d'appeler Yves, lequel dirait à Olivier que j'avais retracé son cellulaire!
Olivier eut la présence d'esprit d'appeler une amie dominicaine domiciliée à Cabarete, Grecia. Celle-ci appela aussitôt son frère, qui est président des «motoconchos» de Cabarete. Les motoconchos vivent de leur motocyclette, ils sont des taxistas à moto. Ils sont au courant d'à peu près tout ce qui se passe dans leurs villes respectives. Olivier s'était dit que ces deux-là étaient habitués à ces sortes d'imbroglios et qu'ils l'aideraient sans doute à résoudre le sien.
Le trio arriva donc à l'heure prévue sur le stationnement de la Bomba Esso de Cabarete. Au même moment, un véhicule de la force constabulaire de Cabarete arriva en trombe sur le même stationnement, ce qui fit s'enfuir «à l'anglaise» Le Loustic et le cellulaire. Rejoint encore une fois au téléphone, Le Loustic accusa Olivier d'avoir fait venir la police et se refusa à quelque négociation que ce soit. Olivier, revenu donc au point de départ, dépourvu de tout moyen de communication, se résolut à accepter sa mésaventure et à retourner à Puerto Plata chercher un autre cellulaire chez Claro.
Il avait compté sans Grecia... Celle-ci avisa un motoconcho maigrichon qui attendait patiemment son prochain client sur la stationnement de la Bomba et lui demanda:
-Es-tu au courant qu'un cellulaire a été perdu hier soir dans ce restaurant qui fait face à la banque Scotia?
-Sûr que je suis au courant! Je connais même le type qui en a pris possession.
-Pourrais-tu aller le voir et lui demander de nous recontacter?
-Assurément.
Des négociations commencèrent donc entre Grecia et l'inconnu. Il ne voulait rien céder, voulait son 2500 RD.
-Il n'est pas question de te donner ce montant pour un bidule qui ne vaut pas 1500 RD!
L'homme, entêté, ne démordait pas. Peu après 13 heures, Olivier se rappela qu'il était titulaire d'une ligne domiciliaire et que l'abandon de sa ligne voulait dire que l'appareil ne serait plus d'aucune utilité pour l'inconnu dès la fermeture du numéro, d'autant plus que ces téléphones domiciliaires, présumément, ne peuvent être trafiqués et recyclés en cellulaires «volants». Grecia rappela le loustic et le mit au pied du mur en lui expliquant les subtilités de l'affaire. Elle fixa l'heure H à 13h30.
Le Loustic céda finalement. Le motoconcho maigrichon lui apporta le fric, 1500 pesos, et rapporta le téléphone. Celui-ci avait été «travaillé»... On avait tenté d'y placer une autre carte SIM, ce qui, comme je l'ai dit plus haut, est impossible dans le cas de bidules affrétés à des lignes domiciliaires.
Olivier s'est arrêté chez moi ce matin, Un homme soulagé s'il en est un. Car il n'y a que deux sortes d'hominoïdes: avec ou sans cellulaire.
Le post-mortem? Son cellulaire lui a été subtilisé à la pizzéria par la serveuse, qui l'a aussitôt refilé à un repreneur, dit Le Loustic. Celui-ci entendait tirer profit de la revente de l'objet «trouvé» et fit connaître la situation dans le milieu des motoconchos. Olivier s'est rappelé après coup le comportement étrange voire paradoxal de la serveuse, laquelle devait être de mèche avec le receleur. Mais pourquoi, en bout de ligne, ce comportement dégoûtant de nos frères humains? La pauvreté, sans doute, sans aucun doute, car la situation économique est précaire sur la côte nord de la République Dominicaine. La pauvreté, sans doute... Mais, comme l'a écrit le frère Untel, «il ne suffit pas d'être pauvre pour avoir raison».
Delhorno
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