mardi 9 mars 2010

IL EST DECEDE

Mon cousin Gaston. Je m'en doutais depuis plusieurs mois, car il avait dépéri énormément. La pathologie? Aucune importance. Ce qui peine, ce qui importe, c'est ce qui manque, ce qui va manquer...

Je savais que ça s'en venait... J'avais pris soin depuis un an, deux ans peut-être, de l'aller visiter. Je savais, comme l'a dit Gabriel Garcia Marquès, que la retraite et la vieillesse sont un pacte avec la solitude. J'avais prétexté lui apporter du café de Republica Dominicana, des truites de la rivière Malbaie, un DVD de notre visite au chalet charlevoisien de Marcel... J'avais voulu un peu lui rembourser les heures qu'il avait dévolues à Mutt, ce grand solitaire, dont il était devenu l'ami, le compagnon de chasse et de pêche.

Il n'y a pas tant de gens, de parents, qui viennent comme ça vous visiter, chez vous, à brûle-pourpoint. Mon cousin Gaston, son père Raoul, mon oncle, furent de ceux-là. Raoul fut le seul des frères de Mutt qui prît la peine de venir le visiter. Je me suis toujours demandé pourquoi... Mutt avait l'écoute facile, pourtant.
Mutt n'avait pas ou n'avait plus d'ami quand je commençai à remarquer ces choses-là. En avait-il jamais eu? Il m'avait parlé d'Albéric, de Freddy Gobeil, mais nous ne les vîmes jamais venir à la maison... Gaston, lui, venait faire son tour. Cinquante années plus tard, je lirai Sénèque: «J'en ai tant vus qui connurent de nombreux amis, sans jamais connaître l'amitié.»

Une visite de Gaston au domicile familial, c'était un évènement. Nous nous attroupions autour de lui, nous buvions ses paroles. C'étaient des histoires de chasse ou de pêche, des commentaires désobligeants sur les bleus, l'Union Nationale et les Péquistes, ses adversaires qu'il vilipendait à grands coups de sabre et qu'il pourchassait dans les moindres recoins. Nous riions, nous nous exclamions, nous renchérissions, nous ridiculisions, nous éclations de rire, bref, nous étions bien, nous étions heureux.

Gaston respectait Mutt, qui le lui rendait bien. Il fut le seul des neveux de Mutt qui sembla jamais le comprendre et l'aimer. Mutt n'avait point le verbe aisé... Plus souvent qu'autrement, ça sortait mal. Mais il connaissait sa machine à papier comme pas un... Gros jugement, gros travailleur, amant de la nature, prévoyant. A mon oncle Paul, qui voulait aller à l'université quand ses propres frères s'objectaient, quand mon grand'père Guillaume ne voulait point payer, Mutt avait proposé:
-Vas-y à Laval, emprunte de l'argent, n'hésite-pas, j'endosserai pour toi!

C'est ce que Gaston avait découvert. Et, pour cela, je l'aurai estimé jusqu'à son dernier souffle, je l'estimerai jusqu'à mon dernier souffle.

Delhorno

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