Grosse journée, gros après-midi, hier! Nos yeux n'étaient pas encore ouverts que la quiétude matutinale fut déchirée par un vacarme émanant de la basse-cour. Des cris inhabituels, des appels de détresse, qui durèrent quelques minutes, puis cessèrent. Le paresseux que je suis s'empressa d'oublier l'affaire.
Las tres de la tarde. Francine, qui nourrit la basse-cour dès qu'elle arrive à Marysol et compte à répétition le nombre de poussins par mère-poule, note que trois poussins vieux de quelques jours seulement n'ont plus de mère. Branle-bas de combat. Les filles du campus se mettent à la recherche d'un cadavre. Il n'y a pas de cadavre. On enquête. Une mère-poule, le mot le dit, ne va pas lâcher ainsi ses poussins nouveaux-nés! L'affaire est vite élucidée: le Dominicain qui est passé devant notre condo ce matin pour aller à la plage a volé la mère-poule, sans jamais se douter, -les voleurs sont toujours inconscients- qu'il enlevait leur mère à trois bébés naissants. L'animal! C'était la seule plausible explication, qui par surcroît, expliquait le vacarme inhabituel du matin.
Voleur de poule, voleur de bétail, voleur de vélo, une engeance qui ne s'est jamais éteinte...
Que fallait-il faire? Rien, selon moi, la nature avait vu pire et saurait résoudre le problème. Fr. pensait autrement. Un loustic lui avait recommandé d'attraper les trois poulets, de les emprisonner pour ainsi dire dans une boîte de carton, de telle sorte qu'ils passent la nuit «en sécurité». Il te faut savoir, Gibus, que la gent aviaire, en République Dominicaine, n'a pas de prédateur connu, de type renard ou autre.
Fr. revêtit donc son armure de chevalier. S'alla quérir une boîte de carton chez la voisine Suzanne, en tapissa le fond d'une serviette bien chaude et toute propre, et partit aussitôt à la conquête des trois poussins.
Plus facile à dire et imaginer qu'à réaliser...
Suzanne avait recommandé l'utilisation d'un filet-nettoyeur-de-piscine nanti d'un long manche d'aluminium mesurant près de quinze pieds! Ce serait plus facile, selon elle.
Voilà donc la Francinette qui s'esquinte malgré son dos d'octogénaire à essayer de capturer les trois orphelins. Elle s'avance à pas de loup, penchée par en avant, doucereuse et hypocrite. Les trois poulets en ont vu d'autres, malgré leur jeune âge... Dès que le constable s'approche au-delà de la limite acceptable, ils sprintent vers leur salut, c'est-à-dire dans les taillis, sous les branchages, toutes sortes d'endroits inaccessibles au «fin limier». Fr. recommence alors la manoeuvre, inlassablement, mue par son instinct de mère-poule.
Moi, pendant ce temps-là, je suis assis sur une chaise, posté stratégiquement, réquisitionné par ma femme -l'affaire lui tient tellement à coeur que je n'ai pas même imaginé refuser ce sous-contrat. J'ai une vue imprenable sur la cour, la basse-cour, et le spectacle qu'on y donne.
-Francine, il me semble qu'il ne faut pas forcer la nature tant que ça. Elle en vu d'autres... Ce n'est certainement pas la première fois que ça arrive depuis la dernière glaciation... Ils vont se trouver pour la nuit une cachette sécuritaire et il ne fait pas froid ici la nuit...
Peine perdue! Francine, tête de mule, s'activera de quinze heures à dix-neuf heures, sans succès. Elle essaiera toutes les tactiques, enlevant le grand manche d'aluminium, le replaçant, abandonnant l'attirail pour essayer avec ses mains. Suzanne voudra créer une diversion, visant à repousser les poussins vers une position supposément stratégique de Fr., sans jamais réussir à duper le trio. Echec! Faillite totale!
Francine et sa comparse feront tant et si bien, qu'elles n'aboutiront qu'à séparer le trio! Les deux poussins jaunes se «pousseront» vers le taillis du bord de route, tandis que le brun longera le mur du condo et s'acharnera à intégrer une famille de six autres poussins qui sont en train de picorer joyeusement sous l'égide de leur mère, une laideronne qui n'a pas de plumes sur son cou de condor. Francine est déconfite: elle s'en veut d'avoir ainsi séparé les trois frères et soeurs! Elle abandonne sa démarche...
Les orphelins, à peine quelques minutes plus tard, trouveront refuge dans une famille d'accueil: celle de la poule-condor, qui s'occupe déjà de ses six poussins. Ils passeront la nuit bien au chaud sous les ailes de leur mère adoptive. Ce qui m'a fait conclure que les poules ne savent pas compter...
Ce matin, cette belle famille reconstituée s'est remise en marche sur le campus, picorant allègrement, au grand bonheur de dame Francine, qui n'avait point escompté un tel dénouement.
N'est-ce pas Aristote qui a dit, quatre cent années avant Jésus-Christ, que la nature, dans la plupart des cas, fait bien les choses?
Delhorno
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