mercredi 21 novembre 2012

LA TAQUE-TAQUE-TIQUE DU JUGE FORCADE

Juin deux mille onze.  Nous venions d'achever la première ronde de golf de la saison.  Quatre heures, presque cinq, de pur bonheur, un autre brin de vie qui nous avait paru trop court.  «The Old Course»,  à Port-Alfred.  Oui, je le sais!  Le terrain de ma jeunesse ne fait sans doute pas le poids d'un tel qualificatif.  Mais, pour moi, quoiqu'on pense, quoiqu'on dise,  il sera toujours celui-là: «The Old Course».

Attablés autour du sempiternel pichet, nous avions commencé le post-mortem de la ronde.  Les commentaires fusaient de part  et d'autre au rythme des bulles qui cherchaient à s'évader de notre bol de bière.  Au détour d'un silence,  Maurice Perron s'adressa au juge Forcade:
-Coudonc, Rafaël, quand vas-tu emménager dans ton nouveau condo?

Je n'étais pas au courant de ce développement...  Opéré aux deux genoux, je n'avais pu jouer au golf l'été d'avant.  C'était mon premier match depuis plus d'un an en compagnie du juge et des deux autres.   

-Tu as vendu ta maison de Notre-Dame-de-Grâces, Rafaël?
-Pas encore.

Les deux autres affichaient un petit sourire hypocrite...  Pour moi, j'ignorais tout de ce qui se tramait ou s'était tramé.

-Pourtant, c'est ce que Moïsette voulait, non?

Le juge se râcla la gorge en repositionnant son postérieur.  Il regarda à gauche, puis à droite.  Il nous sembla qu'il allait délivrer une déclaration importante, de celles dont seul un juge peut accoucher... 

-C'est exact, mes amis, c'est ce que Moïsette désirait.  Elle avait même «spotté» le condo dans lequel elle voyait le dernier tiers de notre vie: au manoir Champlain, à Chicoutimi, dernier étage, en compagnie de plusieurs de nos amis.  
-Il me semblait que tu voulais rester dans ta maison, Rafaël?
-C'est vrai!

Je fais ici une pause dans mon récit, Gibus, car il te faut savoir que Moïsette Tremblay, la femme du juge Forcade, n'est pas une girouette.  Elle a mené le juge par le bout du nez depuis le jour de leurs noces.  Voilà pourquoi mes deux comparses ont abordé le sujet, surpris que le déménagement n'ait pas encore eu lieu et voulant aussi permettre à leur partenaire de golf de ventiler un peu ce qui leur avait paru un imbroglio.

-Que s'est-il passé?

-Quand Moïsette m'a fait part de sa décision, il y a un de ça plus d'un an maintenant, je suis aussitôt exclamé: «Quelle idée formidable, ma chérie!  Quelle idée brillante!  Nous allons examiner l'affaire, circonscrire le pour et le contre, rencontrer le gérant de la banque, chercher un courtier en immeuble qui te plaise, bref, nous allons prendre la chose en délibéré pour, en bout de ligne, opter ensemble pour la meilleure décision, celle qui te plaise à cent pour cent».  Ma femme m'a regardé d'un air attendri, heureuse, quoiqu'un peu surprise que sa proposition passât comme une lettre à la poste.  Ce qui fait que le délibéré perdure, que le condo n'est pas acheté et que je demeure toujours dans ma maison.

Delhorno



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