dimanche 12 avril 2009

CHEZ ARMAND

Campbellton, NB. Samedi Saint. L'ensoleillement est optimal cet après-midi. La Restigouche n'est pas encore dégelée; mais ça s'en vient, c'est tout proche.

Mes cheveux sont longs, trop longs; il y a près de deux mois que j'ai visité un coiffeur. Où irai-je, à Campbellton? Je ne connais ni barbier ni coiffeuse. Je me suis informé pourtant ça et là:

-Je cherche une fille qui puisse me faire une belle coupe de cheveux. En connaissez-vous une ?

La plupart des travailleurs de l'Hôpital de Campbellton ne sont pas de la ville. Sont des alentours. Certains viennent même du Québec, de l'autre côté de la «frontière».  N'ont pas l'air de connaître barbiers et coiffeurs de Campbellton.

-Il y a des coiffeuses près du McDo: c'est tout près!

Je me rends donc près du McDo. Pas de trace de la moindre échoppe de coiffure! Je me dirige vers l'est, sur Water, tout près du Jean Coutu. Cette boutique, là, à gauche, la coiffeuse est en train de balayer le trottoir. Il semble aussi qu'il y ait à l'intérieur un barbier désoeuvré... Ça ne me semble pas idéal... Mais où irai-je, finalement? Je ne sais plus où aller. Je me dis que je ne suis pas Robert Redford, que je ne suis qu'un quidam sexagénaire, que je n'ai pas besoin d'un look de chanteur pop. Ça y est! Je me décide. Je me ferai coiffer Chez Armand. Je fais demi-tour et je gare l'auto en face du salon. L'auto garée, je traverse la Water. La dame continue de balayer son trottoir. Armand m'entr'ouvre la porte et me fait signe de m'asseoir. Chaise d'un autre temps. Nos objets vieillissent avec nous, me dis-je. Et ça commence.

Armand est sexagénaire comme moi. Soixante-cinq ans lui aussi. J'ai envie de rire au début de notre conversation: ma belle-mère Rose-Ida avait de la difficulté à appeler mon frère DD par son prénom! Elle l'appelait Armand. Ça m'a toujours fait rire.
-Vous êtes docteur Dolhorno?
-Comment savez-vous ça? lui dis-je.
-Vous avez traité mon père en octobre.
-Ah?
-Vous avez aussi traité Greta Firth.
-Je me souviens l'avoir opérée en décembre.
-Elle est encore hospitalisée. Peine à respirer. Elle, elle en a fumé des cigarettes!

Je ne pouvais préciser ni confirmer, lié par le secret professionnel. Greta Firth, effectivement, avait été très malade.
-Connaissez-vous mon beau-frère Ghislain, «Jet» Gagnon? L'ancien joueur de hockey?
-Si, je le connais! Il était ici pas plus tard que jeudi passé. Il a ri tout le temps qu'il a été ici. Nous avions un farceur dans le salon. Même, regardez ici, j'ai une photo de lui, du temps qu'il jouait au hockey. C'était Jet, en effet. Vieille photo des années cinquante.

Nous avons parlé de choses et d'autres, des relations Francos-Anglos dans la région de Campbellton, notamment.

-Avez-vous pensé à prendre votre retraite , Armand?
-Je me lève le matin et je me dis que le temps n'est pas encore venu d'aller au Tim Horton's prendre du café et écouter les bonhommes me raconter des «mentries».

La demi-heure a filé tout doucement. Mes cheveux se sont coupés tout seuls. Armand était un homme de métier: il me semblait opérer comme un bon chirurgien. L'opération m'a coûté dix piastres, un prix qui n'a plus cours ailleurs au Canada. C'est vingt piastres chez Ghislaine à Chicoutimi. Trente et quarante à Montréal. A la toute fin, il m'a montré une collection de vieux rasoirs, dont une boîte métallique ressemblant à un boîte de sardines: j'ai reconnu tout de suite un vieux rasoir que mon père conservait chez nous au début des années cinquante!  Je n'en avais plus jamais revu depuis.

Voilà! Voilà tout ce qu'une simple visite impromptue chez un barbier de la rue Water, un Samedi Saint à Campbellton,  peut nous faire raconter!  Joyeuses Pâques!

Delhorno

Aucun commentaire: