mardi 14 avril 2009

OBJETS

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme..."

Ils nous suivent, et vieillissent, autant qu'ils le peuvent, à nos côtés. Leur fidélité se mesure à l'aulne de la nôtre. Eux ne se lassent jamais.

1. FIFINE
Du temps de ma jeunesse, quand Mutt était vivant, l'agrafeuse était verte, d'un vert pas trop foncé ni trop pâle. Où l'avait-il dénichée? Je l'ignore. A la Consol peut-être. Comment? Je n'ose me poser la question. Mais elle vécut autour de nous. Elle enfonçait inlassablement de fortes broches en forme de U, d'autant plus fortes que la poignée de l'agrafeuse n'était pas facile à actionner. Elle survécut à Mutt et... au Taon. Eh oui! Gilôt, tu n'as pu te l'approprier, cette agrafeuse, car c'est moi qui l'ai subtilisée, au lendemain du décès, avec la complicité de Lulu. Fifine fonctionne encore très bien, sa poignée revêche est encore aussi rébarbative. Certes, elle a perdu de son lustre et son beau vert a grisonné par endroits. Un seul problème avec Fifine: j'ignore où elle terminera ses jours. Me suivra-t-elle au pied du mont Royal? Mes fils ont leur propre Fifine... Devrai-je te la léguer, L'Taon? Devrai-je me payer un codicille?


2. LA PERCEUSE DE MUTT
Elle fonctionnait à l'électricité. Mutt n'en était pas peu fier. L'avait achetée à la Consol, laquelle se départissait de certains outils usagés. Je le vois encore y insérer une mèche gris-foncé à l'aide du machin-truc qu'il avait "tépé" au bout du fil. Son assortiment de mèches était fort rudimentaire... Aujourd'hui, le moindre Homo Perceur possède plusieurs jeux de mèches: mèches pour le bois, mèches pour le métal, mèches pour le béton. Un autre joyau que tes mains perverses n'auront pu s'approprier, cher Gilôt. La perceuse m'a suivi, de Port-Alfred à Montréal à Chicoutimi. Elle rendit l'âme à un moment fort mal choisi et je dus m'en départir, en racheter une autre que j'ai toujours détestée, électrique elle aussi, mais "feluette", de piètre qualité. Il faut mettre le prix quand on achète un outil...



3. FERNIE, LE PETIT CHIPPER

Je l'appellerai Fernie. C'était un petit bâton de golf. Qui servait à effectuer des "chips", c'est-à-dire des coup d'approche qui roulent, au contraire des "pitches", lesquels sont des lobs, qui survolent l'obstacle qui empêchera la balle de rouler vers le trou. Le chipper s'emploie sur le bord des verts: la balle ne bondit pas très haut, quelques centimètres, quelques pouces seulement, et pas très loin, un mètre ou deux, mais elle roule longtemps. Le chipper dont je vous parle fit partie de notre attirail de golf pendant toute notre jeunesse. Cadeau mythique de l'oncle Fernand, le meilleur joueur de golf de notre phratrie. Fernie ne payait pas de mine. Sa tige, dépeinturée par endroits, était d'un brun rouge-cerise foncé qu'on peut difficilement oublier; cet sorte d'émail recouvrait une couche d'apprêt jaune qu'on devinait ça et là.

J'ai fait de bons et de mauvais coups avec Fernie le chipper; j'avais tendance à lever la tête trop tôt. Mais un jour, lors d'un tournoi pour les caddies du club de golf de Port-Alfred, Fernie me ferait inscrire un birdie que je n'oublierais jamais. Sur le trou numéro trois. De nos jours, le vert a été avancé. Je vous parle ici de la fin des années cinquante. Je devais avoir douze ou treize ans. Le vert était alors localisé à la gauche de la coulée, cent mètres plus loin, ce qui rendait le trou difficile... Que de balles ai-je perdues dans cette coulée en raison d'un slice que je ne pouvais corriger et dont je pensais qu'il m'était venu avec la vie. Toujours est-il que mon deuxième coup fut droit ce matin-là et s'arrêta à quelques pieds ou quelques mètres du début du vert. Situation idéale pour Fernie. Je m'installai donc, Fernie dans mes mains comme s'il s'était agi d'une relique, je visai en direction du drapeau; la balle bondit sur une courte distance, se mit ensuite à rouler, à rouler et hop! disparut dans le trou. Ce fut le premier birdie de ma longue existence de golfeur. On n'oublie jamais son premier birdie... Celui-là me valut une balle de golf flambant neuve, une «COMET» de la part des organisateurs du tournoi, car j'avais été le seul caddie à réussir un birdie. Je la rapportai triomphalement à la maison.

Quand nous, les plus vieux, partîmes de la maison, Gilôt, le cadet, devint le légataire de tout ce qui se trouvait dans la cave de Mutt. Nous ne revîmes jamais plusieurs objets qui avaient fait partie de notre jeunesse... Le Taon, en effet, était un fervent du troc; nos sacs de golf furent innocemment troqués contre d'autres objets sans histoire. Fernie, avions-nous pensé, avait fait les frais des filouteries de Gilôt. Mais non! En juillet 2007, au Royal Québec, alors que les frères Delhorno disputaient une partie de golf, Fernie refit surface, à l'ébahissement des trois aînés. Fernie sortit du sac du Taon comme par enchantement!

4. LES SKIS DE MUTT
Mutt avait skié dans sa jeunesse. Les plus jeunes de ma famille auront sans doute oublié ce détail insignifiant. A la fin des années quarante, nous habitions un logement de la maison ancestrale, c'est-à-dire celle bâtie par le grand'père François quand, de Baie Saint-Paul, il arriva à Port-Alfred. Logement qui était situé au deuxième étage, côté est. Ernest Marquis habitait l'autre logement, celui qui faisait face à la maison de Xavier Truchon. La galerie-arrière communiquait avec notre portion du hangar par une passerelle de bois. Un escalier de bois, articulé sur la passerelle permettait de descendre dans la cour. Ce hangar était vraiment spécial! Aussi gros que la maison. Deux étages. L'étage du bas était divisé en deux parties: l'une servait de soue pour le cochon qu'engraissait mon grand'père du temps de son vivant, ainsi que d'étable pour la vache qu'il menait au champ tous les matins; l'autre avait fait office de poulailler à une époque et servait plus ou moins de chambre à débarras.

Nous appelions notre remise "le hangar". Ce mot semble être tombé en défaveur de nos jours. Remplacé par le terme "remise". Ma première visite dans le hangar fut renversante: toutes sortes d'objets hétéroclites dont j'ignorais la provenance et l'utilité. Le hangar était rempli à moitié par du bois de chauffage. Nous chauffions au bois avant l'arrivée des poêles à l'huile. Mutt, qui était jeune alors, n'avait qu'à traverser la passerelle pour rapporter une brassée de bois.

Le hangar cachait aussi une vieille paire de ski. Ce doit être Mutt qui m'apprit le mot"ski" ainsi que le mot "harnais". Les "harmais" -on dit aujourd'hui "fixations"- étaient tout rouillés. Les attaches étaient fabriquées de cuir et se fermaient derrière les bottes par un manchon de métal qui épousait la rondeur du talon. Que je l'ai donc regardée cette paire de skis! Sans jamais savoir ce que m'en réservait l'avenir...

Les vieux skis de Mutt furent ma première paire de skis! Un matin d'hiver, avais-je neuf ou dix ans, je descendis les skis dans la cour enneigée, ajustai les harnais autour de mes bottes et me mis à avancer sur la neige. Instant inoubliable et inoublié. Je ne restai pas bien longtemps dans la cour de la maison: l'enjeu manquait de prestige! Mes premières escapades à ski eurent lieu dans le champ de golf, derrière la maison de Jacque Côté et derrière le Palais Municipal. Port-Alfred n'était pas très développé à l'époque: le domaine skiable foisonnait et ce, tout autour de la ville. Très vite, je me fis des amis de ski. C'est le saut à skis qui nous emballait surtout alors. Mais... ceci est une autre histoire. La paire de skis de Mutt fut mise au rancart dès l'hiver suivant. Mutt et Lulu nous avaient offert pour étrennes, à Dédé et moi, des skis rouges-cerise. Qu'advint-il des skis de Mutt? Je l'ai tout à fait oublié.

Delhorno











1 commentaire:

André a dit…

Bonjour monsieur Dufour,
Je suis tombé sur votre blogue par pur hasard ... en tapant sur Google EGLISE SAINT EDOUARD PORT-ALFRED. Quel blogue ; ça c'est du texte !
Je l'ai parcouru en diagonale, et je me suis dit que vous devriez faire publier un recueil de vos souvenirs à Port-Alfred. Je lirais ça avec grand plaisir, et je suis assuré que d'autres lecteurs en feraient autant.
Pour vous situer, je suis le frère de Paul et de Raymonde ; les Girard de la 4e avenue, entre les Asselin et les Page.
En cliquant sur mon icône, vous pourrez accéder au blogue que j'ai développé lors de mon séjour de deux mois à Tokyo à l'automne 2009.