...où nous faisions ferrer les pointes et les talons de nos souliers. L'avez-vous, gens des années cinquante, oublié ce temps-là?
Ça m'est revenu avant-hier, en entendant «Firecraker» parler au téléphone avec notre fille. Nos souliers avaient des semelles de cuir qui usaient prématurément à force de fouler le ciment des trottoirs. Il semblait recommandé de ferrer les souliers. Nous, du vieux Port-Alfred, allions chez le cordonnier Morin. L'échoppe était ouverte six jours par semaine. Le dimanche, après la messe, le cordonnier allait à son chalet de pêche. Ils étaient deux dans la boutique: monsieur Morin, et son frère, monsieur Morin. Ce dernier demeurait en face de chez nous, marié à une dame Gravel apparentée aux Gravels de l'hôtel. Le patron, lui, demeurait au-dessus de sa boutique, en face de chez Jacques Tremblay. Ferrer les souliers était une mesure préventive, qui permettait de différer la pose de nouvelles semelles ou de de nouveaux talons, voire même l'achat d'une nouvelle paire. Faut dire que nous n'avions qu'une paire de souliers. L'été, maman nous achetait des «chouclaques», on dirait des espadrilles aujourd'hui. En vérité, ce n'est qu'à l'âge de 20 ans que j'ai possédé deux paires de souliers: une de cuir noir pour aller à l'école et au Séminaire, l'autre, des souliers de course Adidas que m'avait fait acheter en France par sa mère mon pote Frédéric Naudet.
Pour les souliers des hommes adultes, messieurs Morin enlevaient au couteau une demi-lune de cuir sur le tiers postérieur du talon et la remplaçaient par un demi-lune identique de métal. Au bout antérieur des semelles ils clouaient une piécette ovoïde du même métal. Quelquefois, pour ceux qui marchaient les pieds de travers, ils ferraient les rebords latéraux des semelles. Je ne crois pas que maman ait jamais fait ferrer ses souliers. Mes camarades de classe qui entraient dans l'école avec des souliers fraîchement ferrés ne manquaient jamais de sourire de contentement!
Les souliers ferrés étaient loin d'être silencieux... Nous nous apparentions à des chevaux trotteurs en marchant à l'école ou dans l'église. Personne ne s'en formalisait, car l'époque chevaline n'était pas encore terminée. Le laitier Bergeron de Grande-Baie livrait encore son lait avec des voitures à cheval: sur pneus l'été, sur patins l'hiver. Dieu que je m'en rappelle encore! Le cheval avait coutume d'uriner ou déféquer allègrement tout juste en face de l'entrée de l'oncle Fernand. Ça avait l'air de plaire, car jamais n'ai-je entendu personne engueuler le cheval! Nous, les enfants, nous trouvions ça drôle. L'hiver, le cheval déféquait un peu partout et ses crottes, qui gelaient sur-le-champ, nous servaient de rondelles pour jouer au hockey.
Le ferrage des souliers, à moins que ma mémoire ne m'abuse, a cessé au début des années soixante. Nos familles étaient alors toutes un peu plus riches. Je ne suis pas certain que les plus jeunes chez nous aient connu ce temps du ferrage des souliers.
Delhorno
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