jeudi 13 juin 2013

LA LEÇON D'HUMILITE

Paraphrasons Cicéron, mon cher Gibus. «Quousque tandem abutere Catilina patientia nostra?»  Jusques à quand, cesseras-tu, Humanité, de nous humilier?

Elle avait vingt-deux mois. Un bébé superbe, cheveux brun-foncé, de grands yeux tout aussi bruns. Ventre gonflé, malade. La tomographie axiale indiquait une appendicite aigue. Il me fallut l'opérer. L'appendice était perforé et le pus de l'abcès s'échappa du ventre dès ouverture du péritoine. J'enlevai l'appendice, recherchai l'appendicolithe, que je ne trouvai jamais, nettoyai le pelvis et refermai la plaie comme je l'ai toujours fait depuis quarante ans. Prescrivai les meilleurs antibiotiques que je savais, après avoir consulté le microbiologiste, la meilleure analgésie possible, après avoir consulté un pédiâtre chevronné.

Le ventre se mit à gonfler davantage dès le lendemain de la chirurgie. Tendu comme un tambour. Parents inquiets. Je pouvais lire dans l'âme de la mère. Je les rassurai: c'était normal, un iléus causé par la morphine et la péritonite. Le bébé pleurait sans cesse. La journée se passa ainsi. Je revins le soir, histoire de prendre soin. La nuit d'après ne fut point meilleure. Ventre ultraballonné. Pleurs incessants, sauf après instillation de morphine.

L'infirmière m'appela catastrophée au petit matin: elle trouvait l'enfant mal en point.
-J'arrive, répliquai-je.

Le bébé s'était amélioré durant la nuit, à mon sens. Le ventre avait dégonflé sensiblement. Pas de fièvre. Les globules blancs étaient normaux, ce qui indiquait que l'infection était pour l'instant jugulée. Il y avait cet érythème au pourtour de la plaie, couvrant presque la moitié du ventre. Mais il semblait rétrocéder. La tomographie montrait du liquide dans le petit bassin, ce qui était escompté dans les circonstances. Je rassurai encore une fois les parents. Je vis bien que mes paroles ne portaient point. Deux jeunes anglophones. Sans doute la frontière linguistique, mon accent francophone,  pensai-je.  Ils n'osaient soutenir mon regard.  

C'est alors que le chat sortit du sac, par l'intermédiaire de l'infirmière responsable de l'étage pédiatrique. 
-Ils désirent, docteur, que leur bébé soit transféré  au IWK Health Centre, l'hôpital pour enfants d'Halifax.  Ils s'y sentiraient mieux.

-Volontiers, madame.  

J'appelai la chirurgienne de garde à Halifax.  Lui expliquai le cas, lui précisant la requête des parents.  Elle accepta le transfert de la malade avec cette condescendance qu'ont les médecins des hôpitaux universitaires envers leurs collègues de nulle part.  Je connaissais cette sensation, ce type d'interaction. J'avais dans le corps des années de résidence à Minneapolis, Montréal, Chicoutimi et Québec, tant en français qu'en anglais.  Plus jeune, je me serais offusqué, je me serais flagellé, j'en serais sorti meurtri.  Plus maintenant à soixante ans.  Le temps avait fourbi ma carapace affective.  Et sans doute me faudrait-il encaisser ces assauts jusqu'à la dernière minute, même si, des appendicites aigues compliquées, j'en avais traitées par dizaines, probablement plus que ma jeune collègue d'Halifax.

Le bébé fut donc acheminé à Halifax par ambulance.  Il revint en Restigouche deux semaines plus tard en excellente condition.  J'en fus quitte pour une énième leçon d'humilité...

Delhorno  
  

dimanche 17 février 2013

SE BAIGNER DANS LE GANGE A ALLAHABAD

SE BAIGNER DANS LE GANGE A ALLAHABAD.  «Au moins 22 personnes sont mortes dimanche dans une bousculade à l'issue d'une journée où plus de 30 millions de pèlerins hindous se sont baignés dans les eaux du Gange lors de la Kumbh Mela, le plus grand festival religieux au monde, qui se tient tous les douze ans à Allahabad, dans le nord de l'Inde.
Dix personnes sont mortes au  d'une bousculade survenue à la gare ferroviaire d'Allahabad, a déclaré un responsable local des chemins de fer, Harindra Rao, et 12 autres ont succombé à leurs blessures alors qu'on les emmenait vers des hôpitaux, selon l'agence de presse indienne PTI.»


Ces deux paragraphes sont tirés, Gibus, du journal Le Parisien. Je te les reproduis en guise d'entrée en matière pour ce qui va suivre.

Il s'agit de mon anesthésiste hindou encore une fois.  Il avait le verbe facile samedi matin.  Son père.  Soixante-dix-huit ans.  Bijoutier de métier.  Pontages aortocoronariens vingt ans plus tôt. Venu visiter son fils en juin 2012.  En compagnie de son épouse. Sont restés six mois.  Semblaient se plaire au fond de la baie des Chaleurs.  Le bonhomme, quand il a vu s'abattre les premières grosses tempêtes de neige de janvier, il a paniqué et ordonné à son fils d'acheter sur-le-champ les billets du retour.  Aucun argument ne pouvait le contraindre à changer d'idée...

Il cachait quelque chose...  Comme toujours, la vérité a trouvé moyen de sortir du puits au fond duquel on l'avait poussée.  Le vieil homme avait décidé d'aller se tremper dans les eaux du Gange à Allahabad, dans le nord de son pays.  Ce qui engendra une escarmouche verbale entre le père et son fils.

-Pourquoi, bondance, veux-tu aller te baigner là, à soixante-dix-huit ans, quand tu n'as pas voulu y aller les dernières quarante années alors que tu étais en bien meilleure santé?

-Parce que...  tu le sais pourquoi.

-Tu sais que tu peux y mourir, à ton âge.  Ne compte pas sur moi pour aller chercher ta dépouille à travers trente millions de pélerins.  Elle attendra sur le bord du fleuve les trois jours que durera la baignade.  Et va voir si nous pourrons t'identifier, voire même te trouver, après trois jours!

-Je n'ai pas peur de mourir!

-Une autre chose à laquelle tu n'as pas pensé, papa!  Trente millions de personnes qui vont uriner et déféquer au moins une fois par jour dans le Gange!  Sais-tu ce que deviendra le Gange?  Un «shit pot».  Et tu vas te baigner dans ça?  Des milliards de bactéries!  Tu vas là pour mourir, papa, et je te défends d'y aller.

Le quasi-octogénaire abdiqua sur un point.  Il n'irait pas dans le Gange.  Mais son fils dut acheter les billets d'avion.

Delhorno

samedi 16 février 2013

LIFE IS CHEAP IN INDIA...

Entre deux patients, Gibus, ce matin.  Mon anesthésiste déjeunait.  Des rôties de pain brun et du beurre d'arachides.  J'arrivai entre la première et la deuxième tranche.

Nous avions traité ensemble, l'été passé, un patient qui souffrait d'une colite à Clostridium Difficile.  Insuffisance rénale aiguë.  Choc septique.  Nous avions dû le transférer dans un autre hôpital, lequel était équipé de machines à dialyse rénale.  Le chirurgien, là-bas, avait finalement dû pratiquer une colectomie totale, ce qui sauva le patient.

-You know, doctor Delhorno, that patient would have died in India!
-How come?
-Nobody knows over there.  They do not know the disease, do not know the treatment, do not even know that you don't have to die.
-I thought that medicine is not that bad in India.
-If you have money, no problem.  You will get the best.  But nobody has money.  My brother-in-law died from acute diverticulits two years ago.  Felt sick one evening.  Was brought to hospital the next morning and died the day after.  Everybody thought it was ok.  Although he would not have died in Canada.
-...
-You know, doctor Delhorno, life is cheap in India.

...life is cheap in India...

Delhorno

vendredi 15 février 2013

MUTT, L'UNIVERSITE, LA GRATUITE ET L'ACCESSIBILITE


Salut Gibus.  

On parle beaucoup d'éducation au Québec ces jours-ci.  Certains pensent que l'Etat devrait payer les études de tous et chacun jusqu'au doctorat.  En d'autres termes, que l'instruction devrait être gratuite pour les étudiants et que la facture devrait être assumée par les payeurs de taxe.  Les «Carrés Rouges» ont arpenté les rues de Montréal pendant six mois l'an dernier, cherchant à arracher la gratuité intégrale des études.  Au nom de quel principe l'éducation devrait-elle être gratuite?  On dit que c'est au nom de l'accessibilité pour tous, sans égard au pactole des familles et des individus.  En passant, la Pactole était, du temps de mes idoles Socrate, Platon et Aristote, une petite rivière de Lydie réputée charrier des pépites d'or.  On dit aussi que gratuité et accessibilité ne vont pas nécessairement de pair.  Dans les pays «gratuits», on ultrasélectionnerait les étudiants, d'une telle façon que la notion même d'accessibilité en serait grandement ultraédulcorée.

Je te recopie ce court texte qui vient de paraître, plume de Denis Girard, dans le Journal de Montréal d'aujourd'hui, quinze février deux mille treize.  Son dernier paragraphe souligne l'importance des parents dans le cheminement des enfants vers l'université.  Moi, ça m'a reporté fin des années cinquante, début des années soixante, chez nous, à Port-Alfred.  Mutt, mon père, et Lulu, ma mère.  «Ne faites pas comme moi, disait Mutt, devenez des professionnels, allez à l'université.»  Il avait offert à son jeune beau-frère d'endosser un emprunt bancaire qui lui aurait permis d'aller à l'université.  Mutt avait à peine une sixième année, peut-être une septième...  Comment avait-il appris ça, l'université?  Les ingénieurs, peut-être, qu'il avait côtoyés à la Consol.  Je sais une chose: cette simple phrase, «Allez donc à l'université», s'est incrustée dans mon cerveau et celui de mes frères et soeurs et ne l'a jamais quitté, l'y résonnant encore.  Ma mère aussi, qui avait été une première de classe, et qui insistait tant sur l'importance du travail bien fait.  Quand le temps du cours classique arriva, celui du Petit Séminaire,  il ne fut jamais question de ne pas y aller faute d'argent.  Il était tacitement entendu que le fric, nous l'aurions.  Même chose pour l'université.  Etions- nous riches?  Jamais de la vie!    C'était différent dans d'autres familles, il faut le dire.  Quatre ans de Petit Séminaire, cinq d'université, nous avons payé tout ce que ça coûtait, tout ce qu'on nous demandait.  L'argent qu'il fallait, nous le gagnions, nous l'avions gagné.  Sur le campus, nous vivions de peu.  Et ça a fonctionné!  Pour moi comme pour mes frères.  Mutt, Lulu, chapeau!        

L’éducation supérieure « made in USA »

Le Québec aura besoin d’un ministre de l’éducation supérieure plus inspirant
Aux États-Unis, que l’on soit fermier au Nebraska, serveuse au Mississippi, homme d’affaires à New York, démocrate ou républicain, on est presque tous d’accord sur un sujet : l’importance du diplôme universitaire. La famille américaine rêve d’inscrire ses enfants dans les meilleures universités et elle ne s’épargnera aucun sacrifice pour y arriver.
Un sondage récent effectué pour l’université Northeastern de Boston révèle que, pour 86% des Américains, un diplôme universitaire permet de gravir l’échelle sociale et professionnelle. Quatre-vingt-huit pour cent des répondants estiment que l’université permet aux étudiants de développer la pensée critique nécessaire pour analyser les problèmes; 94% trouvent qu’un diplôme universitaire est un outil important pour réaliser le rêve américain.
ALMA MATER
Ce qui frappe dans ce sondage, au-delà du consensus, c’est que ces opinions sont partagées par toutes les couches sociales dans toutes les régions peu importe le niveau d’éducation des répondants. Mais ces chiffres peuvent seulement étonner un observateur étranger. Vivre aux États-Unis permet de constater que l’université est entièrement imbriquée dans la fabrique sociale américaine.
Dès son arrivée à l’université, l’Américain développe un sentiment d’appartenance. Lorsque les joueurs de la NFL déclinent leur identité à la télévision, ils ne disent pas où ils sont nés, mais où ils ont étudié. Ron Brace, Boston College; Rob Ninkovich, Purdue. Et, contrairement au stéréotype, ils n’étudient pas l’art ou le cinéma, c’est l’administration des affaires qui a la cote. Les footballeurs n’ont pas tous le profil académique d’un Ryan Fitzgerald, des Bills de Buffalo, diplômé de Harvard, mais un fait reste, l’Américain s’identifie à son université.
Tout baigne donc dans l’huile dans le monde universitaire américain? Pas du tout. Les droits de scolarité sont faramineux. L’obtention d’un diplôme coûteux débouche de moins en moins sur un emploi à la hauteur des qualifications obtenues. Plus de la moitié des plus récents diplômés sont surqualifiés ou ne trouvent pas de travail. La dette des diplômés atteint mille milliards de dollars. Autre consensus : le gouvernement américain doit alléger le fardeau étudiant en injectant plus d’argent dans ses universités. Selon le sondage de l’université Northeastern, 80% des Américains sont d’accord là-dessus et ça inclut les républicains.
LE QUÉBEC, À L’OPPOSÉ
Pendant que l’on assiste à la lutte farouche des universités américaines pour se hisser dans les classements mondiaux, le spectacle offert au Québec est à l’autre extrémité. Le ministre de l’Éducation supérieure, Pierre Duchesne, qui devrait être le plus farouche défenseur d’un financement accru des universités, tient un discours d’une grande tiédeur. Il semble surtout s’inquiéter d’un retour en force des carrés rouges. Il a même réussi à se mettre à dos ceux dont il devrait pourtant être proche, les recteurs d’université.

Selon le sociologue étoile de Harvard, Robert Putnam, l’influence des parents est le principal facteur qui guide l’enfant vers l’université. Si l’on utilise cette analyse pour expliquer le taux de décrochage alarmant au secondaire au Québec, on conclut que la province doit insuffler plus de fierté de l’éducation et de l’université dans ses familles. Mais pour le faire, le Québec aura besoin d’un ministre de l’éducation supérieure plus inspirant, qui défend mieux ses universités.

mardi 29 janvier 2013

L'AUTOROUTE DES ARNAQUES

J'entends déjà Gibus les accents sombres de ta voix grave. «Pourquoi passer l'hiver entre Sosua et Cabarete, au milieu de tant de filous et d'escrocs, quand on peut le passer en sécurité à deux cents kilomètres au nord de Québec?»  J'entends, dis-je, ta voix sentencieuse, Gibus.  Mais au fait, lis-tu jamais les journaux québécois?  Sais-tu seulement ce qui se dit devant la commissaire Charbonneau?  Il semble bien que la filouterie n'a pas peur du «frette» autant que Stéphane Laporte aime nous le dire ...  L'arnaque n'aurait-elle pas meilleure mine sans le soleil des Caraïbes? 

Jeudi dernier.  Vingt-quatre janvier deux mil treize.  Tous mes ancêtres considérés, Gibus, je dois t'avouer n'avoir jamais escompté me rendre en deux mil treize...  Olivier Potvin du Lac-à-la-Croix est venu me chercher à Marysol, sept heures trente du matin.  Notre mère la Terre venait tout juste, dans sa rotation éternelle, de redécouvrir à pied levé Celui à qui nous devons le jour.  Francine avait décidé de nous accompagner: des plantes à acheter à Puerto Plata.  Moi, j'avais appelé Bautista, mon caddie.  Nous avions rendez-vous à huit heures au Campo de golf de Playa Dorada.  Il y a trois ans que Bautista est mon caddie, depuis que j'ai décidé d'apporter mon sac de golf en République Dominicaine.

Nous voici donc sur l'autoroute qui va de Naguey à Puerto Plata,  J'écris Naguey à des fins techniques, mais la ville est fort lointaine, du côté de l'est.  Et l'autoroute dont je parle n'est pas une autoroute selon les standards nord-américains.  C'est une brave route, sans panache aucun, qui ressemble beaucoup à celle du rang St-Jean-Baptiste qui va de La Baie à Chicoutimi.  On l'a repavée il y a quelques années grâce à un prêt du FMI.  On y  «rencontre».  Elle étire donc ses lacets imprévisibles à travers villes et barrios, des noms connus, Sosua, Cabarete, Gaspar Hernandez,  d'autres moins connus, El Choco, Los Charamicos, El Batey, La Union, Montellano.  Un  peu avant huit heures, les Dominicains qui ont cette chance de travailler pétaradent déjà sur leurs motocyclettes.  Nous roulons notre petit bonhomme de chemin, soixante kilomètres-heure, devisant de choses et d'autres, de tout et de rien, comme si mourir avait cessé d'exister.

Montellano dépassé, nous voici sur cette colline qui surplombe une longue ligne droite.  Nous y arrêtons quelquefois pour acheter des agrumes à un vendeur ambulant.  Le Campo de golf Playa Dorada est situé au bout de deux kilomètres, tout juste avant d'arriver à Puerto Plata, sur la droite, le long de la mer.

Francine s'écrie soudain:
-Olivier, le gars qui te dépasse à gauche te fait signe!  Nous avons perdu une pièce du véhicule, semble-t-il!  J'ai entendu un bruit curieux!

Olivier rangera le minivan sur le droite.  Nous en sortirons, regarderons dessous.  Rien de suspect, rien de troublant.

Entretemps, l'auto dominicaine a fait demi-tour, est revenue sur nous et se stationne à notre hauteur de l'autre côté de la route.  En sort un homme aux cheveux noirs et frisés:
-Ustedes han perdido una pieza de metal por debajo de su coche!
Olivier et moi n'avons rien senti, n'avons rien entendu, n'avons rien noté et ne voyons rien d'anormal.

-Qu'en penses-tu, Olivier?
-Je pense que ç'est une arnaque.  Il veut nous emmener à son «taller» pour nous facturer une réparation bidon.

Olivier n'est pas né de la dernière pluie.  Quarante années d'expérience derrière des volants de tous acabits, un quart de siècle à Hispaniola.  Il en a vu d'autres.

Nos deux arnaqueurs sont congédiés sommairement, sans commentaire.  Olivier et Francine passeront l'avant-midi à Puerto Plata impunément, viendront me chercher au golf sur le coup de midi et nous retournerons à Marysol sans le moindre incident mécanique.

Quelques jours plus tard, ma voisine Suzanne doit se rendre à Puerto Plata.  A peu près au même endroit, deux énergumènes lui jouent un scénario similaire.  Elle aurait perdu une pièce de métal sous son véhicule.  Ils l'incitent à les suivre jusqu'à leur atelier, lequel est situé...  dans une cour d'école!  Ils lui demandent deux cent pesos pour faire la réparation.  Mais Suzanne a des réflexes!  Elle appelle aussitôt Michel Cloutier, un des nôtres qui vit en République depuis vingt-cinq ans.  Elle lui refile le plus vieux des lascars.  Il me faudra demander à Michel ce qu'il lui a dit, car aussitôt l'appel terminé, notre mécanicien et son «helpeur» rembarquent prestement dans leur auto et s'enfuient sur Puerto Plata.

Certains se font avoir...  Toujours des touristes à la peau blanche.  Une vague connaissance, Mario, si ma mémoire est bonne, a payé quatre mille deux cent pesos, soit près de mille dollars canadiens,  pour une réparation bidon sur la foi d'une comédie analogue. 

Jusqu'où nous faut-il aimer les hommes, Gibus?  Je te réécris ceci qui me vient du frère Untel et que je n'oublie jamais:  IL NE SUFFIT PAS D'ETRE PAUVRE POUR AVOIR RAISON.

Delhorno  





mardi 15 janvier 2013

ÇA S'EST PASSE AU RESTAURANT DU SEA HORSE

Souvent la vérité tarde à remonter du puits au fond duquel on l'a poussée.  C'est le cas, Gibus,  pour l'histoire que je m'empresse de te raconter.

Un gars de Saint-Ambroise, ce village québécois dont on ne saurait dire s'il fait partie du Saguenay ou du Lac Saint-Jean.  Germain Boivin.  Avait découvert la République Dominicaine trente ans auparavant.  En était tombé amoureux, au point de se faire construire une maison pas très loin de l'aéroport de Puerto Plata.

Mélanie.  Sa nouvelle blonde.  Ce soir-là, ayant deviné qu'il lui plaisait plus ou moins de cuisiner, il lui avait proposé un souper au restaurant du Sea Horse.  Le Sea Horse?  Le Sea Horse Ranch plus exactement.  Un domaine pour gens riches et célèbres dont l'entrée spectaculaire se trouve à quelques kilomètres de Sosua, pas très loin d'un autre ghetto pour bien nantis nommé Perla Marina.  Jusqu'à tout récemment, il était impossible au commun des mortels de passer la barrière du Sea Horse sans un laissez-passer quelconque, sans la permission d'un officiel ou d'un résident du Ranch.



 Sea Horse Ranch.  Deux cent cinquante âcres des meilleures terres arables  bordant l'Atlantique entre la frontière haïtienne et La Samana.  Certains mélancoliques ajouteront, Gibus,  que Christophe Colomb est passé tout juste devant le restaurant du Sea Horse lors de ses deux premiers voyages!  De petites plages de sable, des criques hérissées de roches volcaniques, de superbes piscines creusées dans la même roche volcanique, des plantations de tout ce qui pousse de beau et de bon à Hispaniola.   J'en aurais davantage à écrire, mon cher Gibus.  J'élague, j'élague, connaissant tes accès d'impatience quand je m'écarte un peu trop de mon sujet...  Il te faut donc savoir que le restaurant du Sea Horse avait été un flop monumental ces dernières années, jusqu'à ce qu'on engage ce nouveau gérant, issu des petits restaurants miteux du vieux Sosua.  Reyes Martinez Sanchez avait proposé deux changements majeurs à ses nouveaux patrons: engager l'un des meilleurs chefs de la côte nord et démocratiser l'accès au restaurant du Sea Horse.  On lui avait donné carte blanche.

Voilà pourquoi Germain Boivin avait résolu d'y emmener Mélanie Boissonneault ce soir-là.  Le soleil commençait sa courte mise en nuit au-dessus de la montagne de Puerto Plata quand ils arrivèrent au poste de garde.  Ils indiquèrent aussitôt leur intention d'aller manger au restaurant.  Le «Pinkerton» de faction marmonna quelques mots d'espagnol dans son radio-téléphone et  leur ouvrit la barrière.  Germain conduisait lentement, regardant à droite et à gauche.  Les Oh! et les Ah! se succédaient au rythme des villas et des jardins exotiques.  Chaque entrée interdite était gardée par un Pinkerton en uniforme  qui portait en bandoulière une arme que les Dominicains appellent une «escopeta».  Le passage du 4 x 4 était aussitôt relayé par téléphone au gardien suivant. Finalement, ils se stationnèrent en arrière du restaurant.  On les accueillit comme s'ils avaient été deux stars d'Hollywood.  Le serveur leur indiqua une table pour quatre avec vue imprenable sur la mer.  La brise était tombée en laissant sur la rive une fraîcheur agréable.  


Germain sortit son cellulaire de sa poche de gauche et son porte-monnaie de sa poche de derrière.  Il plaça les deux objets sur la table, dans un espace mort séparant le pot de fleurs et les ustensiles.  Une sorte de rituel auquel il s'adonnait depuis des décennies, lui qui avait mangé dans les restaurants la plus grande partie de sa vie depuis que sa mère était décédée d'un cancer du sein à l'hôpital de Chicoutimi.  Ils commandèrent donc: une bouteille de St-Estèphe, des entrées de fruits de mer, des filets mignons Rossini avec pommes de terre Monte Carlo et «vegetales» de Constanza.  Un souper cinq-étoiles.


Ils venaient à peine de savourer leur première gorgée de Bordeaux qu'une jeune femme à la peau brune,  aussi jolie qu'inattendue  s'invita à leur table.  Dominicaine, elle poursuivait des études françaises à Santo Domingo, le serveur lui avait indiqué que Germain et Mélanie étaient francophones, elle adorerait pratiquer son français.  Assez inhabituel comme conjoncture, pensa Germain, mais bon!  pourquoi pas?  Agatha Christie n'a-t-elle pas écrit qu'il ne faut pas refuser l'insolite quand il se présente?


Un repas fort agréable.  Plaisirs rarissimes d'une conversation intelligente entre gens de qualité.  Les cafés terminés, Germain demanda l'addition, qu'on lui apporta peu après.  Il se retourna vers sa droite, vers l'endroit où il avait placé son portefeuille à son arrivée.  Pas de portefeuille!  Fouilla ses poches: toujours pas de portefeuille!  Mélanie chercha dans sa bourse trois fois plutôt qu'une: pas de portefeuille.  Germain commença à se faire du mauvais sang.  Son porte-monnaie contenait toutes ses cartes de crédit, plus de sept cent dollars américains, la photo de sa mère. etc...


A bout de ressources, il héla un camarero qui passait par hasard et lui expliqua son problème.  Il n'avait pas bougé de sa table de tout le repas, Mélanie n'avait pas bougé de la table de tout le repas, il avait placé son porte-monnaie à côté de son cellulaire en s'asseyant à sa chaise, il n'avait noté aucune manoeuvre louche de la part de qui que ce soit durant le repas, et patati et patata.


Le camarero leur demanda de patienter quelques instants.  Il revint en compagnie d'un Pinkerton dont l'habit de fonction semblait indiquer un haut-gradé et auquel Germain dut encore une fois expliciter l'imbroglio.  L'homme de police lui fit refouiller ses poches, demanda à Mélanie de retourner sa bourse, puis, devant l'insuccès des démarches, il se tourna vers la Dominicaine de Santo Domingo:

-Senora, je dois vous demander de vider votre bourse sur la table.

Elle ne put que s'exécuter...  Le porte-monnaie noir de Germain Boivin fut le premier objet à tomber sur la nappe blanche de la table du Sea Horse.

Delhorno       

dimanche 13 janvier 2013

HISTOIRE DE TELEPHONE CELLULAIRE

C'est arrivé il y a deux jours  à Cabarete en République Dominicaine.  Un tout petit restaurant, ayant pignon sur la rue principale, tout juste en face de la banque Scotia, une filiale dominicaine de notre banque canadienne.  Olivier s'y était attablé,  attendant que ses deux passagères, ma femme et ma fille, aient terminé leurs emplettes.  Il avait donc commandé une pizza de neuf pouces.  La serveuse lui avait apporté sa pizza, puis une fourchette, puis une couteau, et un verre de boisson gazeuse.  Le client et la serveuse  étaient seuls dans le restaurant qui compte moins de cinq tables.

Au moment propice, la camarera lui apporta l'addition: 220 Pesos.  Il ouvrit son porte-monnaie, lequel ne contenait que deux billets: un de 200 pesos, un autre de mille pesos.  Ne voulant pas donner mille pesos pour en payer vingt, il dit à la jeune femme:
-J'ai de la monnaie dans mon véhicule.  Attendez-moi, je reviens avec le montant voulu.

En route vers son véhicule, machinalement, il porta la main sur sa hanche droite, désirant vérifier la présence de son téléphone cellulaire.  Il n'y était pas.  Il se dit qu'il l'avait laissé sur la table du petit restaurant, car il avait coutume de le placer ainsi dans les restaurants.  Curieusement, au même moment,  la serveuse quitta son commerce, marcha sur ses pas et vint sur le stationnement de la Scotia cueillir son vingt pesos ainsi que son pourboire.  Démarche inhabituelle, pensa Olivier, qui retourna aussitôt à sa table chercher son cellulaire, qui n'y était pas!  La serveuse ne l'avait pas vu, il n'y avait personne dans le restaurant.  Olivier se dit qu'il reviendrait un peu plus tard en soirée, car il devait quitter sur-le-champ reconduire ma femme et ma fille à Marysol et par la suite mener à l'aéroport Gregorio Luperon de Puerto Plata cinq Québécois dont les vacances dominicaines avaient pris fin.  Ce qu'il fit.  A son retour à Cabarete deux heures plus tard, la situation n'avait pas changé.  Pas de trace de son téléphone, la serveuse n'avait rien vu, personne ne s'était présenté.

Olivier, quelque peu dépité, se dit alors qu'il se présenterait le lendemain, à la première heure, au bureau de la compagnie Claro à Puerto Plata, afin de régler son problème.  Son téléphone cellulaire, depuis plusieurs années,  est lié à une ligne domiciliaire.  Ce n'est pas un portable pour lequel on achète des cartes ou du temps.  La compagnie en est propriétaire et Olivier avait signé un contrat approprié. 

Samedi matin, donc.  Olivier se lève à 7h30 et se rend à Puerto Plata au bureau de Claro.  Il est devant la porte à l'ouverture et est servi le premier.  La commis écoute ses explications et conclut ainsi:
-Pas compliqué!  Nous allons fermer votre numéro et votre téléphone ne sera plus d'aucune utilité pour celui qui l'a «retrouvé».  Il vous en coûtera 4200 Pesos pour retrouver un cellulaire.  Nous vous donnerons un nouveau numéro ainsi qu'un nouvel appareil.
-Madame, avant de procéder à la fermeture du numéro, pourriez-vous le signaler une dernière fois, au cas où quelqu'un aurait retrouvé mon cellulaire et serait disposé à me le rendre?
-Oui, monsieur.

La préposée Claro signala donc le 809 605 4248.

À la grande surprise d'Olivier, le téléphone n'était pas fermé et une voix lointaine -que j'appellerai Le Loustic désormais- répondit:
-Oui, madame, j'ai le téléphone du monsieur.

Olivier prit le relai: 
-Où êtes-vous?  A Cabarete? 
-Non, je suis à Sosua. 
-Puis-je ravoir mon cellulaire?  Je pourrais me rendre à Sosua tout de suite.
-Il y a un petit problème, monsieur.  J'ai acheté votre cellulaire d'une femme de Cabarete qui l'avait trouvé hier soir.  Ça m'a coûté 2500 Pesos.  Je veux bien vous le rendre, mais à condition de retrouver mes 2500 pesos.
-Où pouvons-nous vous rencontrer?
-Je suis sur la route de Cabarete présentement.  Rencontrons-nous à la Bomba Esso de Cabarete dans une demi-heure.
-J'y serai.

Vers 10 heures, sans savoir qu'Olivier avait retracé son cellulaire, je signalai son numéro et une voix, celle du Loustic, me répondit.  Je ne lui laissai pas le temps de se défiler.
-Monsieur, vous avez le cellulaire de mon ami Olivier.  Pouvons-nous aller le chercher?
-Certainement.  Venez à la Bomba Esso de Cabarete.  Appelez-moi dix minutes à l'avance.

Comment retrouver Olivier qui n'avait plus de cellulaire?  Je fis le tour des officines Orange et Claro de Puerto Plata sans succès.  Je pensai alors qu'Olivier s'y était rendu en compagnie d'Yves, dont je n'avais pas le numéro.  Mais Jean-Rock avait le numéro d'Yves.  Donc, j'avertis Jean-Rock, qui me promit d'appeler Yves, lequel dirait à Olivier que j'avais retracé son cellulaire!  

Olivier eut la présence d'esprit d'appeler une amie dominicaine domiciliée à Cabarete, Grecia.  Celle-ci appela aussitôt son frère, qui est président des «motoconchos» de Cabarete.  Les motoconchos vivent de leur motocyclette, ils sont des taxistas à moto.  Ils sont au courant d'à peu près  tout ce qui se passe dans leurs villes respectives.  Olivier s'était dit que ces deux-là étaient habitués à ces sortes d'imbroglios et qu'ils l'aideraient sans doute à résoudre le sien.

Le trio arriva donc à l'heure prévue sur le stationnement de la Bomba Esso de Cabarete.  Au même moment, un véhicule de la force constabulaire de Cabarete arriva en trombe sur le même stationnement, ce qui fit s'enfuir «à l'anglaise» Le Loustic et le cellulaire.  Rejoint encore une fois au téléphone, Le Loustic accusa Olivier d'avoir fait venir la police et se refusa à quelque négociation que ce soit.  Olivier, revenu donc au point de départ, dépourvu de tout moyen de communication, se résolut à accepter sa mésaventure et à retourner à Puerto Plata chercher un autre cellulaire chez Claro.

Il avait compté sans Grecia...  Celle-ci avisa un motoconcho maigrichon qui attendait patiemment son prochain client sur la stationnement de la Bomba et lui demanda:
-Es-tu au courant qu'un cellulaire a été perdu hier soir dans ce restaurant qui fait face à la banque Scotia?
-Sûr que je suis au courant!  Je connais même le type qui en a pris possession.
-Pourrais-tu aller le voir et lui demander de nous recontacter?
-Assurément.

Des négociations commencèrent donc entre Grecia et l'inconnu.  Il ne voulait rien céder, voulait son 2500 RD.  
-Il n'est pas question de te donner ce montant pour un bidule qui ne vaut pas 1500 RD!

L'homme, entêté,  ne démordait pas.  Peu après 13 heures,  Olivier se rappela qu'il était titulaire d'une ligne domiciliaire et que l'abandon de sa ligne voulait dire que l'appareil ne serait plus d'aucune utilité pour l'inconnu dès la fermeture du numéro, d'autant plus que ces téléphones domiciliaires, présumément, ne peuvent être trafiqués et recyclés en cellulaires «volants».  Grecia rappela le loustic et le mit au pied du mur en lui expliquant les subtilités de l'affaire.  Elle fixa l'heure H à 13h30.

Le Loustic céda finalement.  Le motoconcho maigrichon lui apporta le fric, 1500 pesos, et rapporta le téléphone.  Celui-ci avait été «travaillé»...  On avait tenté d'y placer une autre carte SIM, ce qui, comme je l'ai dit plus haut,  est impossible dans le cas de bidules affrétés à des lignes domiciliaires. 

Olivier s'est arrêté chez moi ce matin,  Un homme soulagé s'il en est un.  Car il n'y a que deux sortes d'hominoïdes:  avec ou sans cellulaire.

Le post-mortem?  Son cellulaire lui a été subtilisé à la pizzéria par la serveuse, qui l'a aussitôt refilé à un repreneur, dit Le Loustic.  Celui-ci entendait tirer profit de la revente de l'objet «trouvé» et fit connaître la situation dans le milieu des motoconchos.  Olivier s'est rappelé après coup le comportement étrange voire paradoxal de la serveuse, laquelle devait être de mèche avec le receleur.  Mais pourquoi, en bout de ligne, ce comportement dégoûtant de nos frères humains?  La pauvreté, sans doute, sans aucun doute, car la situation économique est précaire sur la côte nord de la République Dominicaine.  La pauvreté, sans doute...  Mais, comme l'a écrit le frère Untel, «il ne suffit pas d'être pauvre pour avoir raison».

Delhorno