Campbellton, Nouveau-Brunswick. Lundi le treize avril deux mil neuf. Le temps est exécrable. Il fait froid, il a neigé cette nuit. J'ai fêté Pâques en solitaire, dans un petit logement de la rue Matheson. Mon fils travaillait. Ma femme et ma fille étaient à Montréal et Trenton. Mon fils cadet bossait lui aussi. Moi de même, quoiqu'à fort petite échelle. Ai gaspillé cinq heures devant le téléviseur: le Tournoi des Maîtres à Augusta, où les azalées en fleur m'ont fait regretter de vivre où je vis. Mais, bon! Il y a pire que ça dans cette vie.
J'ai connu l'époque où Pâques était une fête... C'était du vivant de mes parents. Ce temps où Pâques la religieuse prenait encore toute la place.
Ça commençait par le Carême. Des semaines entières où toute la ville était sérieuse, où les gens parlaient bas. Les étudiants étudiaient fort, les travailleurs travaillaient autant, les mères s'échinaient de l'aube au crépuscule, sans se lasser d'envoyer leur marmaille à la messe matutinale ainsi qu'aux Vêpres du dimanche soir. Je me souviens d'une année où j'ai servi la messe tous les matins à 6 heures durant le Carême. C'était la messe du gros curé Henri, lequel n'a jamais daigné m'adresser la parole... Quand je pense que son Maître à penser enseignait:
-Laissez-venir à moi les petits enfants.
Je crois même qu'il nous était défendu de rire à partir du Mercredi des Cendres. Nous mangions du poisson le vendredi, les desserts étaient réduits à leur plus simple expression, les buveurs essayaient d'arrêter de boire, les fumeurs promettaient de cesser de fumer pendant quarante jours, les avares économisaient encore davantage. Le Carême... Une période sombre qui s'achèverait le Samedi Saint à midi, quand les cloches du curé Médéric se mettraient à rigoler comme des polissonnes: nous saurions alors que tout était terminé, que nous allions enfin pouvoir revivre.
Le Samedi Saint à midi! Tout de suite il y avait un gros changement. Le dîner était plus élaboré. Un bon ragoût... ou un spaghetti italien... ou une tourtière... Lulu avait même préparé un dessert! Et ça recommençait au souper. Le soir, le Canadien jouait à la télé. Nous avions de bonnes équipes dans ce temps-là. Jean-Claude Tremblay jouait à la défense. Plus tard, plus vieux, nous sortirions après le hockey. Nous irions au bal, comme disent les Français. C'étaient les Beatles, les Gendarmes, les filles, qui nous attiraient. Nous étions heureux. Après la veillée, la coutume voulait que nous allions luncher au Populaire ou au Martinet. Nous marchions à pied, tout se faisait à pied. Nous rentions à la maison à «la madrugada». Lulu ne dormait jamais...
Pâques, finalement. Le lendemain matin. La messe, d'abord. Il y avait des messes à toutes les heures à cette époque. Nous avions donc le choix. Durant les années cinquante, les femmes avaient coutume "d'étrenner" le jour de Pâques. Cette coutume voulait qu'elles s'achetassent un "bibi" avec voilette, ainsi qu'un nouveau manteau et un belle robe. Elles allaient à la grand'messe de dix heures: belles comme des déesses, elles y mariaient le profane au religieux...
Bonyeu de Sorel que nous étions contents quand le repas du midi de Pâques arrivait! Lulu avait travaillé comme une forcenée. Images qui ne m'ont jamais quitté, avec lesquelles je mourrai, si mon cerveau ne me lâche pas. Oeufs farcis, jambon caramélisé, patates pilées, gâteau aux ananas avec cerises au marasquin. Nous nous bourrions la face goulûment, à n'en plus respirer. En après-midi, c'était le chocolat. Les oeufs au chocolat-vanille de Laura Secord. Mon Dieu! Ça recommençait au souper. L'agneau à la sauce aux pommes, le gâteau caramélisé aux ananas, s'il en restait! Nous invitions ma grand-mère Marie-Blanche et ma tante Jacqueline, ainsi que la "petite Denise", du temps que l'aïeule était vivante. Quelquefois, nous avions de la visite en soirée: mes oncles, mes tantes. Ça jasait, ça buvait, ça jouait aux cartes. Le malheur ne nous avait pas encore frappé... Quelques années plus tard, mil neuf cent soixante-seize, début des années quatre-vingt, Mutt et Lulu décéderaient et Pâques ne serait plus jamais pareil. Ah! Il y aurait bien quelques tentatives de ressusciter le passé... Les belles-soeurs et ma soeur tenteraient, du meilleur d'elles-mêmes, de copier la Lulu des belles années. Mais pour moi, le coeur n'y serait plus. Trop de
gros morceaux manquaient.Hier, jour de Pâques, j'ai dîné seul, sur le coin d'une table chambranlante, de céréales All-Bran, d'une banane et de trop dures galettes à l'avoine et aux petits raisins secs, tout en me disant que ces anonymes desserts n'ont en plus aucune saveur quand sont absents ceux pour qui nous comptons. Pour souper, j'ai récidivé en solitaire, mais devant le téléviseur: tranches de pain, pâté de campagne. Comme chocolat? Je m'en fus au dépanneur acheter une barre de chocotat Mars. Pas même la consolation de voir Tiger Woods gagner le Master's. Ma femme et ma fille, je me répète sans doute, étaient à Trenton où ma belle-soeur livre bataille à une leucémie. Mon fils aîné travaillait à l'Urgence de l'Hôpital de Campbellton tandis que mon cadet était de garde à la Cité de la Santé à Laval.
Voilà pourquoi je vous écris, Gibus, Macpherson que Pâques a bien changé.
Delhorno
1 commentaire:
Pâques a changé... comme nous changeons. Faut-il se demander où s'en vont nos traditions ou faut-il les ramener ? Ici, c'est la mère poule et ses 11 poussins qui m'a rappelé des souvenirs d'enfance.
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