Le journaliste du Quotidien n'en finissait plus de pavoiser! Le décompte venait de sortir: il s'est tué plus de mil sept cent orignaux mâles cet automne au Saguenay-Lac-Saint-Jean. L'an prochain, alors que l'abattage des femelles sera permis, le chiffre des assassinats pourrait fort bien grimper à plus de deux mille sept cents! La forêt domaniale, véhicule-t-on, regorge d'orignaux: le cheptel ne s'est jamais si bien porté.
La chasse à l'orignal s'est adaptée au développement de la technologie! Ses adeptes roulent en tout-terrain; se guident à l'aide de GPS; les télescopes qui surmontent les carabines de ces Nemrod en font des "snipers" de premier ordre; ils installent des caméras aux endroits stratégiques, de sorte que les allées-venues de l'élan d'Amérique sont un secret de polichinelle.
Tu détesteras sans doute mon vocabulaire, lecteur. Les vocables "meurtre" et "assassinat" te déplairont probablement. Pourtant, ils reflètent exactement ce qui se passe dans ma tête.
LE MEURTRE COMME LOISIR
Tuer l'orignal, ça pouvait se justifier en un autre temps, quand la nourriture se faisait rare. Plus maintenant! Les étals des bouchers croulent sous l'abondance: on jette de la viande de nos jours. Venaison? Il y a tellement de façons de changer le goût du boeuf et du porc, maintenant. Faut-il occire l'orignal pour le plaisir de la bouche? Le Québec d'aujourd'hui, ce n'est pas le Darfour, ce n'est pas le Biafra.
La vérité, celle que peu osent affronter, c'est qu'on tue par plaisir, pour passer le temps. Occire l'orignal est devenu un loisir! Depuis quand tuer est-il un loisir?
LE MEURTRE COMME ACTIVITE ECONOMIQUE
C'est l'argument-massue des apparatchiks du Ministère: la chasse à l'orignal constitue un ajout non-négligeable au produit intérieur brut du pays. Et ils ont raison. Pas besoin de détailler, de décortiquer. L'apport économique est-il interchangeable? Le chasseur à l'orignal qui tue pour son plaisir est-il recyclable? Pourrait-il sublimer son bonheur en cessant de tuer? Se contenter d'observer, comme un ornithologue?
C'était il y a quelques années. Nous étions à pêcher, ma fille et moi, en plein coeur du parc des Laurentides. Seuls dans une chaloupe au bout d'un grand lac aux eaux calmes sous un soleil dévastateur. Ça ne mordait pas. Nous dormions presque, philosophant sans doute, quand notre quiétude fut bousculée par une apparition soudaine: une jeune orignale sortit du bois, à cinquante mètres de nous. Elle nous dévisagea, le regard méprisant, une minute, peut-être deux, et s'en retourna. Notre journée était faite. Elle aura été merveilleuse. Regarder, admirer, auront suffi.
LE MEURTRE COMME REGULATEUR DU CHEPTEL
Autre paragraphe de l'argumentaire du Ministère. "Ils sont trop nombreux." "Ils meurent de toute façon!" "Quand le cheptel est trop important, les épidémies s'y propagent, et ils meurent!" "Le jour où tu auras vu un meute de loups s'attaquer l'hiver à un élan diminué, ce jour-là tu béniras le chasseur d'orignal." Moi, je pense que les biologistes du Ministère se sont arrogés ce droit de décideur de vie et de mort des orignaux de la Belle Province. La biologie est la science de la vie... Son essence même, c'est de comprendre la vie. Le respect de la vie vient tout de suite après. Au nom de quels principes, la biologie québécoise décide-t-elle du meurtre de dix mille orignaux chaque année? Pourquoi ceux-ci n'auraient-ils pas le droit de mourir de leur belle mort?
LES APPARATCHIKS DES MINISTERES NE SONT PAS INFAILLIBLES
Il n'y a plus une morue dans l'Atlantique. Ce génocide est survenu sous l'égide des spécialistes du Ministère des Pêcheries. Il n'y aura bientôt plus un sébaste dans la baie des Ha! Ha!. On a pratiquement exterminé la truite des lacs Ha! Ha! Allez demander aux Cris du village de Mistissini s'il y a encore de l'orignal autour, s'ils en ont laissé vivre. Ils vous avoueront qu'ils doivent voler à cent et deux cent milles plus au nord pour en rencontrer. Le crabe des neiges a diminué dans le Golfe. Et la pêche au homard n'est plus ce qu'elle était en Acadie. Tout ça sous l'égide des apparatchiks du Ministère!
LE RESPECT DE LA VIE
C'est ce que m'ont appris mes trente-cinq années de chirurgie. Le respect de la vie. Je n'ai jamais cru avoir droit de vie ou de mort sur mes semblables. Je ne crois pas non plus que, pour ce qui touche le cheptel orignal du pays, ni le chasseur à l'orignal, ni le commis du Ministère, ni le vendeur de carabines, ne soient nés nantis de ce droit. Respecter la vie... c'est laisser vivre.
Delhorno
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