Il entra dans mon monde aux alentours de l'adolescence. Demeurait sur la Quatrième Avenue. Son père travaillait au moulin comme le mien. Sa mère, j'avais coutume de la voir à l'église: elle souriait toujours. Il devint l'ami de coeur de ma cousine, ce qui me le rendit spécial.
Avait des qualités qui me faisaient défaut: sourire facile et bon, optimisme, entregent dont je ne pouvais me targuer. Surtout, il savait parler aux filles, ce dont nous n'étions pas capables. Ce n'est qu'au bout de plusieurs années de vie adulte que j'en arriverais à pouvoir parler aux femmes avec confort. Je l'avais toujours admiré pour cela.
Je le perdis de vue, et cela dura longtemps. Puis, je le retrouvai. Il me fit visiter le Marché aux Puces à Paris, le coeur de Rome ensuite. Nous échangeâmes. Me fit l'honneur de bénir le mariage de ma fille. Fin causeur. Vivant au rythme de l'univers.
Sa mère était devenue aveugle. Perte d'autonomie. Je l'avais soignée il y a de ça près de vingt ans, alors qu'elle était gravement malade. Allait avoir cent ans...
La cérémonie funèbre eut lieu à l'église Saint-Alphonse. Il officia, entouré de plusieurs des prêtres diocésains. Que peut-on penser durant ces services religeux? On regarde ceux qui sont dans le choeur. Il y avait la belle-soeur de B., ainsi que l'abbé B., que nous appelions "Grand Galop" au Petit Séminaire. Monseigneur P., dont le sobriquet, alors, était: Tonton Molécule. Il nous enseignait la chimie, effectivement.
Il officiait dignement, ainsi qu'il sied à un fils.
On regarde autour. Ceux qu'on n'a pas vu depuis longtemps. J'ai deviné que ma cousine était venue quand j'ai vu son mari aller communier. J'ai surtout pensé, en ce qui me concernait, qu'un jour ce serait mon tour. Qu'il n'y avait rien que je pouvais y faire... J'entendis l'Ave Maria de Schubert, ainsi que le O Jésus ma Joie, de Jean Sébastien Bach. Je me dis alors que j'aimerais qu'on les jouât lors de mon propre service funèbre.
La cérémonie achevait. Il s'avança au milieu du choeur, à l'endroit surplombant le cercueil de sa mère:
-Laissez-moi maintenant vous donner le Viatique.
Je demeurai interloqué l'espace d'un instant. N'avais point entendu ce mot depuis des lustres. Il enchaîna aussitôt:
-On n'est point orphelin parce que l'on perd son père et sa mère; on n'est orphelin que lorsque l'on perd l'Espérance!
Je le remerciai, dans mon for intérieur. Dieu que ça faisait du bien!
Parlez-moi d'un Viatique! Quel meilleur viatique que l'espoir quand on poursuit le voyage de la vie, quand on sort d'un enterrement! J'ai tout de suite repensé au court texte de Paul Eluard, viatique que nous offrons quelquefois à nos malades désespérés, à l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier:
La nuit n'est jamais complète,
Il y a toujours,
Puisque je le dis,
Puisque je l'affirme,
Au bout du chagrin,
Une fenêtre ouverte,
Une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve
Qui veille.
Delhorno
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