-Viens t'en! Tu te reprendras l'année prochaine.
Lucile et moi avons ri des années en nous remémorant ces instants.
Ma bronchopneumonie, en 1956. La semaine que je divaguais, elle me veilla jour et nuit. Elle fit venir le docteur Tanguay, qui m'injecta une dose de pénicilline. Je manquai un mois d'école.
L'année que nous déménageâmes dans notre nouvelle maison. Elle travaillait tout le temps. Cousait soir et nuit pour diminuer les dépenses. Jamais de vacances, ou si peu. Un voyage à New York, en 1953, si ardûment gagné. Août 1960. L'infarctus. Nous montions à Chicoutimi tous les soirs. Trois semaines dans la 309, St-Camille. Ils avaient $5000. «de côté». N'avaient plus un cent quand il recommença à travailler. L'épicier ne voulait plus leur faire crédit. Je ne l'ai jamais entendu se plaindre, ne l'ai jamais vue pleurer. Malgré l'incertitude... Allait-il jamais réintégrer son emploi? La vie des enfants n'en fut jamais perturbée.
Elle était mon amie. Nous arrêtions chez Vio Rest-o-Rang en revenant de l'hôpital. Hot-dog, coke et frites. D'autres fois, j'allais chez Polo Cossette. Ou chez Lucien Ouellet: Radiomonde, Nouvelles et Potins, Paris Match. Le voisin me voyait passer, souvent, et venait emprunter les journaux avant qu'elle ne pût les lire, ce qui la mettait hors d'elle.
Pensionnaire au Séminaire. Je venais à la maison les dimanche midi. Un gros repas m'attendait. C'était encore elle. Elle passait l'après-midi à laver mon linge. Ce temps des études où personne n'arrivait à la même heure pour souper; il y avait toujours un repas pour chacun. Toujours, ou presque, de bonne humeur. C'est à elle que j'annonçai, décembre 62, que Bill Wabo ne me voulait plus dans son pensionnat. Il fallait ménager Mutt...
Le matin, au lever. Le radio que Mutt avait acheté. C'est ensemble que nous entendîmes pour la première fois PETITE FLEUR de Sydney Béchet et LE CHAPEAU de Guy Béart. Quelques jours plus tard, elle jouerait PETITE FLEUR, «à l'oreille», au piano...
-Qu'est-ce que je te prépare pour déjeuner?
Je ne le savais jamais. Elle se fendait en quatre pour m'offrir quelque chose qui me plût. Encore de bonne humeur. Mutt était là, à ne rien dire.
L'université. Mon linge, que je lui descendais aux deux semaines, et qu'elle lavait et repassait. Les gâteaux aux fruits que je ramenais. Les cinq piastres hebdomadaires qu'elle me ramassait indéfectiblement et que je plaçais dans mon porte-monnaie comme s'ils m'avaient été dus. Nos conversations impromptues dans la cuisine. J'aurais dû la questionner davantage. J'aurais dû l'aider davantage. J'aurais dû...
J'étais là, ce vendredi après-midi funeste. Jamais je n'oublierai son regard inquiet quand on la sortit de l'ambulance. J'étais là quand son coeur la lâcha. Il était trop tard. J'aurais donc dû...
Bonne fête, maman.
Cl.
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