Chez Apple. Carrefour Laval. A Laval, évidemment. La deuxième ville en importance de la Belle Province. La boutique Apple. Il y a deux boutiques Apple dans le grand Montréal; et il n'y a que deux boutiques Apple dans le grand Montréal. Celle de Laval et celle de la rue Ste-Catherine Ouest.
Problème d'ordinateur. Eh oui! Même les portables d'Apple tombent malades au moment où l'on s'en attend le moins. J'avais pris rendez-vous par internet. Quelle belle façon de procéder! Pas de téléphoniste, pas d'attente au bout du fil, tu choisis ta date et ton moment. J'avais rendez-vous à 15 heures, donc.
Il ne s'écrit rien à la main, chez Apple. Les employés revêtent un T-shirt rouge et déambulent fébrilement, soit avec un iPhone, soit avec un iPad. Tout le savoir collectif est caché dans ces bidules, que l'on pitonne de l'index. Une bonne trentaine de commis rouge-communiste dans cette boutique, et... trop de clients, presqu'une centaine. Un bruit de fond qui serait intolérable si je n'étais pas si dépendant. Le MacPro de ma fille ne fonctionne plus, il est encore sur la garantie, j'ai besoin des Bolcheviks rouges d'Apple.
Je m'installe donc devant le «Genius Bar», «le Bar du Génie ou des génies» en français, et scrute les alentours comme un rapace: devant, à droite, à gauche, derrière, à la recherche d'un Octobre Rouge qui daignera s'intéresser à ma personne. J'accroche finalement cette jeune fille, de rouge elle aussi vêtue:
-Pourriez-vous vérifier si vous avez bien mon nom sur votre liste de rendez-vous? Claudio Delhorno, mon nom.
-Oui, je l'ai. Gardez proche, on va vous appeler.
«Gardez proche»! Première fois de ma vie qu'on me lance cette mise en garde. Sans accent anglophone aucun! Je me dis que ça veut sans doute dire «restez tout près», «ne vous éloignez point», «soyez aux aguets». Je me demande aussi s'il ne s'agirait pas d'une nouvelle locution française... Quand on approche comme moi de la septième décade, on se rend compte qu'en bien des domaines, on n'est plus de taille. «Gardez proche»... La décadence de ma langue maternelle m'exaspère. Je suis un produit des années cinquante et soixante. Les dictées sans faute, le français sans bavure, ça été mon mode de vie, mon souffle, mon être, depuis ce jour de septembre 1950 où Gertrude Tremblay, mon institutrice de première année, m'a instruit de «la souris qui fait i» au collège St-Edouard.
Tout en restant près du Genius Bar, j'ai cogité en survolant mon voisinage. «Gardez proche», ça ne pouvait être qu'une traduction littérale, sinon simpliste, de l'anglais Keep close! Par quel mystère de la vie cette jeune québécoise avait-elle pu en arriver à me lancer ce Gardez proche? Une sorte de «chiac» qui commencerait à sévir sur l'Île Jésus?
Je puis t'assurer, lecteur, que Gardez proche, ça ne se dit pas au Saguenay-Lac-St-Jean.
Delhorno
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