Samedi matin à Campbellton. Bon Dieu qu'il fait froid sur les rives de la Restigouche! L'air marin pince mes chairs avec une agressivité dont je me demande si elle est n'est pas vengeresse. Je ne fais pas cachette en effet de mes préférences pour l'air marin de Puerto Plata.
Mon patient vedette, aujourd'hui, s'appelle Jean-Yves Blanchard. C'est un «nom de plume», évidemment, cher Gibus. A été opéré par l'un des deux chirurgiens de l'hôpital il y a quelques jours. On a pansé son ventre avec des bandes collantes qui se nomment ELASTOPLAST. Hier soir, appel plus ou moins urgent de l'infirmière au chevet. L'Elastoplast lui fait mal. La soeur de monsieur Blanchard est infirmière et exige que je me rende au chevet. Je m'exécute donc et observe, après soulèvement partiel du pansement, que le patient est allergique à l'Elastoplast et que la peau collée à l'Elastoplast s'arrache du derme sous-jacent. J'ordonne donc qu'on enlève la pellicule collante, qu'on place sur les lésions un pansement graisseux et j'explique le tout à la soeur infirmière.
Ce matin, la situation semble contrôlée. Les exulcérations cutanées ont commencé à sécher et monsieur Blanchard se dit prêt à retourner chez lui. J'autorise donc son départ. Il fera enlever ses agrafes au dispensaire de Dalhousie et s'y rendra quotidiennement faire changer son pansement. Je quitte l'hôpital, traverse la Restigouche sur le pont vert et m'attable au restaurant «Chez Claudine». Un de mes plaisirs: lire le Journal de Québec en mangeant des crêpes au sirop d'érable.
Plaisir de courte durée! On m'appelle tout de suite. La famille de monsieur Blanchard vient d'arriver. Ils ont dit à l'infirmière:
-Jean-Yves n'a pas d'auto; il lui sera impossible de se rendre à Dalhousie tous les jours faire changer son pansement. Il lui faudrait bénéficier du service «Extramural».
L'infirmière me débite ces informations d'un ton monocorde et rajoute:
-Allez-vous revenir à l'hôpital avant ou après le souper? Car, pour ce qui touche le service Extramural, le médecin doit remplir le formulaire AD HOC.
En réalité, le AD HOC est de mon crû, souvenir inaltérable de mes six années d'apprentissage de la langue latine. J'acquiesce, je retournerai à l'hôpital remplir le formulaire! L'infirmière est tout rouge à mon arrivée, elle se sent coupable.
-Je suis désolée, docteur Delhorno, le patient ne nous a jamais dit qu'il n'a pas d'auto et ne peut se rendre à la clinique de Dalhousie, mozusse! Si seulement il nous l'avait dit à temps!
Je remplirai consciencieusement l'insignifiant formulaire, non sans cogiter... Ce service Extramural, ce sont à proprement parler des infirmières qui vont au chevet des malades avec leur auto; la dame, à partir de Dalhousie, conduira une quinzaine de minutes pour se rendre à Balmoral. L'auto, l'essence, l'infirmière, les pansements, tout ça sera défrayé par l'ensemble des payeurs de taxes. Quel merveilleux coussin social!
Delhorno
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