La demande de consultation concernait une madame Busque. Busque. Un nom, un mot qui ne cesse de me séduire... Je pense à l'espagnol BUSCAR et au français DÉBUSQUER. Ce n'est pas tout! À peine entré dans la chambre 454, je me présentai et lui dit:
-Vous êtes madame Busque, n'est-ce pas?
-Oui.
-Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous brusquer.
Elle ne put s'empêcher de sourire et je ne pus moi-même réprimer un sourire équivalent. Car à chaque fois que ce vocable vient à mes oreilles, je revois instantanément cette petite fille qui disait BRUXER au lieu de BRUSQUER.
Madame Busque n'est pas très malade, je pense. De toute façon, il n'y a pas grand-chose à dire pour l'instant. Ce que je veux raconter, c'est la petite conversation qu'ensemble nous avons eue.
-Vous avez encore votre mari, madame Busque?
-Non. Il est mort il y a longtemps. J'avais 50 ans à peine, et cinq enfants.
-De quoi est-il mort?
-Sclérose en plaque. Je m'en suis occupée pendant 20 ans. La chaise roulante, les bains au lit, toute la bastringue.
-Mon Dieu, vous avez dû y goûter? Cinq enfants. Avez-vous manqué d'argent?
-Tu me le dis! J'avais juste une petite pension.
-Vous devez signer votre nom ici, madame, c'est le permis opératoire. Et faites attention de ne pas faire de faute! Car nous corrigeons les fautes de français et votre gastroscopie pourrait en être différée.
-Tu vas en voir une tonne, des fautes de français! J'ai laissé l'école en deuxième année.
-Vous n'avez pas laissé l'école en deuxième année?
-Oui, mes parents m'ont dit: «Viens-t-en torcher à la maison.» J'ai donc laissé l'école et suis venue torcher à la maison. Nous avions treize enfants.
-Treize enfants... Ma belle-mère aussi s'est occupée d'une trâlée d'enfants dans le Rang Sept d'Alma.
-Y a pas rien que ça. Mon plus vieux est mort à quarante ans. S'est pendu. Y a rien de pire que ça!
-Il s'est suicidé? Dépressif? Ça n'avait pas paru?
-Il avait laissé sa première femme et trois enfants. La première, elle n'était pas trop tentée par le sexe, tandis que Raoul était pas mal plus chaud. Il a connu une autre femme. Je lui disais d'arrêter de prendre un coup, de retourner avec sa première femme, que la deuxième ne faisait l'affaire. Il me répondait qu'il l'aimait.
-Il s'est pendu dans son hangar?
-Non, dans son logement.
...
-Madame Busque, je note que vous prenez beaucoup de médicaments, au moins une quinzaine. Connaissez-vous le nom des maladies pour lesquelles vous prenez ces pilules?
-Non. Au fait, je veux aller mon docteur pour tirer tout ça au clair. Je prends neuf pilules chaque matin.
-Vous n'avez qu'à dire que vous désirez des explications.
Voilà. Madame Busque a soixante-dix ans. En paraît quatre-vingts, pourtant. Sans doute en raison de ce passé, que je n'aurais jamais connu si je ne m'étais pas assis à son côté et posé une innocente question sans arrière-pensée. Souvent, dans ces situations, une phrase de quelqu'un dont j'ai oublié le nom, me revient en mémoire: LES GENS DIFFÈRENT PAR CE QU'ILS MONTRENT ET SE RESSEMBLENT PAR CE QU'IL CACHENT.
P.S. J'ai rencontré aussi un patient anglophone dont le nom de famille était RECORD. Peux-tu croire, Gibus? Mr RECORD! Et «torcher» est le terme exact qu'elle a employé. Je me suis senti mal à l'aise d'écrire ce mot que je juge un peu bas-de-gamme. Or, je me rends compte que «torcher» fut utilisé par François Rabelais et plusieurs autres par la suite!
Delhorno
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire