mercredi 24 décembre 2008

NE PAS RATER SA SORTIE

Elle m'appela en catastrophe un lundi matin, de St-Gédéon au Lac St-Jean. La dernière des vieilles tantes de ma femme. Avait mal au ventre sans bon sens. Je lui dis de prendre un taxi et de s'en venir me rencontrer à l'Urgence de l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier. J'écris "vieille tante"; pourtant elle n'était pas si vieille! Pas encore octogénaire. N'avait jamais enfanté. Mariée trop tard à un veuf qui mourut trop tôt de silicose pulmonaire... Avait voyagé un peu partout dans le monde, à une époque où son entourage n'en avait pas les moyens. Avait pris soin de sa vieille mère jusqu'au bout.



L'attente diagnostique ne fut pas très longue. Jaunisse débutante. Nos moyens diagnostiques avaient évolué. Je sus en quarante-huit heures qu'elle allait mourir d'un cancer incurable des voies biliaires. Le matin du troisième jour,  je lui annonçai l'irréparable de la façon la plus douce que je connusse... Ne s'attendait pas à devoir mourir un jour comme tout le monde. Notre conversation prit une tournure orageuse que je n'avais point escomptée. Ton hargneux, reproches, dénégation, incrédulité.



Quelques semaines plus tard, nous l'allâmes installer dans un mouroir.  Ne pouvait plus en effet mener sa maison. Ne semblait pas se rendre compte qu'elle vivait ses dernières semaines, ce qui nous surprit. Du temps de sa jeunesse, du temps qu'elle était belle, elle nous avait paru si intelligente, tellement rationnelle. Quel contraste!



Peu avant son décès, nous emmenâmes la visiter ma belle-mère nonagénaire, sa marraine par surcroît, qui l'avait pour ainsi dire élevée. Rose, en effet, avait vingt-cinq ans, n'était pas encore mariée, quand naquit la cadette de la famille. Avions escompté que ces retrouvailles mère-fille lui seraient thérapeutiques, qu'une certaine paix pourrait en découler... que les vraies affaires seraient déballées.  Rien de tout cela ne se produisit. La vieille tante s'apprêtait à franchir le Styx dans la rancoeur, la hargne et le désenchantement. Au départ de l'ultime de ses voyages, elle se fourvoyait...  Nous ne comprenions toujours pas. Prîmes bien soin d'essayer de ne pas juger... Je m'entends encore me réciter intérieurement "La Mort et le Mourant" de La Fontaine.



Nous n'en pensions pas moins! N'avait jamais été malade depuis sa naissance. Ne s'était jamais préoccupée de logis, de manger, de logistique, car avait vécu à l'abri de ces grands problèmes de la vie dans la maison de sa mère jusqu'à l'hospitalisation de celle-ci. S'était mariée sur le tard, c'est vrai, mais en avait été tout de même heureuse... N'avait point connu les affres des parents qui ont des enfants... Mais allez donc comprendre, tout de même! Ne pas, à presque quatre-vingt ans, escompter qu'on est mortelle comme tout le monde et ne pas l'accepter. Rater, le terme n'est pas trop fort, son ultime sortie. La jaunisse avait-elle pu, à ce point, altérer un jugement que nous avions tant admiré?

Sa soeur aînée mourrait l'année suivante et nous indiquerait comment le faire avec grandeur. A plusieurs reprises, elle nous préviendrait de son départ prochain, ajoutant que le temps était venu de rejoindre ceux de sa génération, dont elle était la dernière survivante. Le moment venu, -département Sacré-Coeur, Hôtel-Dieu Saint-Vallier, le dernier lit de la grand-salle- elle prendrait la main de sa fille, la joindrait à la mienne sur son ventre et couvrirait ainsi nos deux mains des deux siennes, sans dire quoi que ce soit, mais nous faisant bien comprendre qu'elle s'en allait en paix, qu'elle nous avait aimés et nous aimerait, éternellement. Ma belle-mère qui, sur près d'un siècle, avait vécu si humblement, mourut comme une reine.
Delhorno

mercredi 29 octobre 2008

VIATIQUE

Il entra dans mon monde aux alentours de l'adolescence. Demeurait sur la Quatrième Avenue. Son père travaillait au moulin comme le mien. Sa mère, j'avais coutume de la voir à l'église: elle souriait toujours. Il devint l'ami de coeur de ma cousine, ce qui me le rendit spécial.
Avait des qualités qui me faisaient défaut: sourire facile et bon, optimisme, entregent dont je ne pouvais me targuer. Surtout, il savait parler aux filles, ce dont nous n'étions pas capables. Ce n'est qu'au bout de plusieurs années de vie adulte que j'en arriverais à pouvoir parler aux femmes avec confort. Je l'avais toujours admiré pour cela.

Je le perdis de vue, et cela dura longtemps. Puis, je le retrouvai. Il me fit visiter le Marché aux Puces à Paris, le coeur de Rome ensuite. Nous échangeâmes. Me fit l'honneur de bénir le mariage de ma fille. Fin causeur. Vivant au rythme de l'univers.

Sa mère était devenue aveugle. Perte d'autonomie. Je l'avais soignée il y a de ça près de vingt ans, alors qu'elle était gravement malade. Allait avoir cent ans...

La cérémonie funèbre eut lieu à l'église Saint-Alphonse. Il officia, entouré de plusieurs des prêtres diocésains. Que peut-on penser durant ces services religeux? On regarde ceux qui sont dans le choeur. Il y avait la belle-soeur de B., ainsi que l'abbé B., que nous appelions "Grand Galop" au Petit Séminaire. Monseigneur P., dont le sobriquet, alors, était: Tonton Molécule. Il nous enseignait la chimie, effectivement.

Il officiait dignement, ainsi qu'il sied à un fils.

On regarde autour. Ceux qu'on n'a pas vu depuis longtemps. J'ai deviné que ma cousine était venue quand j'ai vu son mari aller communier. J'ai surtout pensé, en ce qui me concernait, qu'un jour ce serait mon tour. Qu'il n'y avait rien que je pouvais y faire... J'entendis l'Ave Maria de Schubert, ainsi que le O Jésus ma Joie, de Jean Sébastien Bach. Je me dis alors que j'aimerais qu'on les jouât lors de mon propre service funèbre.

La cérémonie achevait. Il s'avança au milieu du choeur, à l'endroit surplombant le cercueil de sa mère:
-Laissez-moi maintenant vous donner le
Viatique.
Je demeurai interloqué l'espace d'un instant. N'avais point entendu ce mot depuis des lustres. Il enchaîna aussitôt:
-On n'est point orphelin parce que l'on perd son père et sa mère; on n'est orphelin que lorsque l'on perd l'Espérance!
Je le remerciai, dans mon for intérieur. Dieu que ça faisait du bien!

Parlez-moi d'un
Viatique! Quel meilleur viatique que l'espoir quand on poursuit le voyage de la vie, quand on sort d'un enterrement! J'ai tout de suite repensé au court texte de Paul Eluard, viatique que nous offrons quelquefois à nos malades désespérés, à l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier:

La nuit n'est jamais complète,
Il y a toujours,
Puisque je le dis,
Puisque je l'affirme,
Au bout du chagrin,
Une fenêtre ouverte,
Une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve
Qui veille.

Delhorno




mardi 28 octobre 2008

DU FOND DES TEMPS

Je lui demandai comment elle allait. Sa réponse, agrémentée d'un large sourire, commença ainsi:
-
Cher...
Non pas "cher Claudio", ni "mon cher cousin", seulement, uniquement, "cher". Je sus tout de suite, au son de ce mot de quatre lettres, qu'elle était de mon sang, de ma phratrie. Dès mon tout jeune âge, en effet, j'ai endtendu les Delhorno utiliser ce terme affectueux en s'adressant à autrui. Autrui: entendons-nous. Autrui veut dire, ici, l'entourage, la parenté, le boucher, l'épicier, le voisin. L'étranger obscur est à peu près exclu du mot
cher , sauf circonstances spéciales.
Cher vient du latin "carus". Il indique l'affection, la bienveillance. Son usage n'est point pédant, non. Un Delhorno qui prend la peine de te dire "cher", ça veut dire qu'il te considère singulièrement, qu'il ne veut point te brusquer, qu'il ne désire point d'embrouille. "Cher" est un vocable à classer dans la même catégorie que le "tu": à n'employer qu'avec les intimes, ceux qui comptent tout spécialement.Cher, à mon sens, est un legs qui provient de nos lointains ancêtres. J'entends encore mes défunts oncles et tantes entonner "cher" en répondant à une de mes questions. Nul doute que ça leur venait de leurs parents, qui le tenaient des leurs. Ce cher, incontestablement, nous vient du fond des temps, d'où sa cherté! Plus qu'un legs, c'est une relique.

Delhorno

samedi 25 octobre 2008

MIL SEPT CENT ASSASSINATS

Le journaliste du Quotidien n'en finissait plus de pavoiser! Le décompte venait de sortir: il s'est tué plus de mil sept cent orignaux mâles cet automne au Saguenay-Lac-Saint-Jean. L'an prochain, alors que l'abattage des femelles sera permis, le chiffre des assassinats pourrait fort bien grimper à plus de deux mille sept cents! La forêt domaniale, véhicule-t-on, regorge d'orignaux: le cheptel ne s'est jamais si bien porté.

La chasse à l'orignal s'est adaptée au développement de la technologie! Ses adeptes roulent en tout-terrain; se guident à l'aide de GPS; les télescopes qui surmontent les carabines de ces Nemrod en font des "snipers" de premier ordre; ils installent des caméras aux endroits stratégiques, de sorte que les allées-venues de l'élan d'Amérique sont un secret de polichinelle.

Tu détesteras sans doute mon vocabulaire, lecteur. Les vocables "meurtre" et "assassinat" te déplairont probablement. Pourtant, ils reflètent exactement ce qui se passe dans ma tête.

LE MEURTRE COMME LOISIR

Tuer l'orignal, ça pouvait se justifier en un autre temps, quand la nourriture se faisait rare. Plus maintenant! Les étals des bouchers croulent sous l'abondance: on jette de la viande de nos jours. Venaison? Il y a tellement de façons de changer le goût du boeuf et du porc, maintenant. Faut-il occire l'orignal pour le plaisir de la bouche? Le Québec d'aujourd'hui, ce n'est pas le Darfour, ce n'est pas le Biafra.

La vérité, celle que peu osent affronter, c'est qu'on tue par plaisir, pour passer le temps. Occire l'orignal est devenu un loisir! Depuis quand tuer est-il un loisir?

LE MEURTRE COMME ACTIVITE ECONOMIQUE

C'est l'argument-massue des apparatchiks du Ministère: la chasse à l'orignal constitue un ajout non-négligeable au produit intérieur brut du pays. Et ils ont raison. Pas besoin de détailler, de décortiquer. L'apport économique est-il interchangeable? Le chasseur à l'orignal qui tue pour son plaisir est-il recyclable? Pourrait-il sublimer son bonheur en cessant de tuer? Se contenter d'observer, comme un ornithologue?

C'était il y a quelques années. Nous étions à pêcher, ma fille et moi, en plein coeur du parc des Laurentides. Seuls dans une chaloupe au bout d'un grand lac aux eaux calmes sous un soleil dévastateur. Ça ne mordait pas. Nous dormions presque, philosophant sans doute, quand notre quiétude fut bousculée par une apparition soudaine: une jeune orignale sortit du bois, à cinquante mètres de nous. Elle nous dévisagea, le regard méprisant, une minute, peut-être deux, et s'en retourna. Notre journée était faite. Elle aura été merveilleuse. Regarder, admirer, auront suffi.

LE MEURTRE COMME REGULATEUR DU CHEPTEL

Autre paragraphe de l'argumentaire du Ministère. "Ils sont trop nombreux." "Ils meurent de toute façon!" "Quand le cheptel est trop important, les épidémies s'y propagent, et ils meurent!" "Le jour où tu auras vu un meute de loups s'attaquer l'hiver à un élan diminué, ce jour-là tu béniras le chasseur d'orignal." Moi, je pense que les biologistes du Ministère se sont arrogés ce droit de décideur de vie et de mort des orignaux de la Belle Province. La biologie est la science de la vie... Son essence même, c'est de comprendre la vie. Le respect de la vie vient tout de suite après. Au nom de quels principes, la biologie québécoise décide-t-elle du meurtre de dix mille orignaux chaque année? Pourquoi ceux-ci n'auraient-ils pas le droit de mourir de leur belle mort?

LES APPARATCHIKS DES MINISTERES NE SONT PAS INFAILLIBLES

Il n'y a plus une morue dans l'Atlantique. Ce génocide est survenu sous l'égide des spécialistes du Ministère des Pêcheries. Il n'y aura bientôt plus un sébaste dans la baie des Ha! Ha!. On a pratiquement exterminé la truite des lacs Ha! Ha! Allez demander aux Cris du village de Mistissini s'il y a encore de l'orignal autour, s'ils en ont laissé vivre. Ils vous avoueront qu'ils doivent voler à cent et deux cent milles plus au nord pour en rencontrer. Le crabe des neiges a diminué dans le Golfe. Et la pêche au homard n'est plus ce qu'elle était en Acadie. Tout ça sous l'égide des apparatchiks du Ministère!

LE RESPECT DE LA VIE

C'est ce que m'ont appris mes trente-cinq années de chirurgie. Le respect de la vie. Je n'ai jamais cru avoir droit de vie ou de mort sur mes semblables. Je ne crois pas non plus que, pour ce qui touche le cheptel orignal du pays, ni le chasseur à l'orignal, ni le commis du Ministère, ni le vendeur de carabines, ne soient nés nantis de ce droit. Respecter la vie... c'est laisser vivre.

Delhorno

vendredi 24 octobre 2008

LE MAITRE

C'est Myriam Ségal, dans le Quotidien de ce matin, qui suscite mon discours. Elle y parle du "professeur qui fait la différence". On appelle ça un Maître, madame Ségal. Et je crains qu'il ne soit une espèce en voie de dispaître. A mes trois enfants qui viennent d'atteindre le marché du travail, j'ai demandé:
-As-tu rencontré, durant le quart de siècle qu'ont duré tes études, un Maître, un maître à penser, un modèle, une idole, quelqu'un dont le souvenir n'a cessé ni ne cessera de t'inspirer?
Ils ont balbutié, hésité, m'ont relaté quelques anecdotes, le cadet m'a parlé d'un vague professeur de mathématiques, l'aîné d'un oncle professeur de français, ma fille d'un professeur d'Histoire qu'elle a eu à Concordia. J'en ai conclu que leur vie d'étudiant ne leur avait pas fait rencontrer de Maître.
En fait, le "Maître" est aujourd'hui un sujet oublié. Il ne s'en parle plus dans les les familles, les médias ne nous montrent que les chefs syndicaux des centrales de l'enseignement, le Ministère ne semble plus songer qu'aux instituteurs syndiqués dont il faudra renouveler le contrat de travail, les professeurs eux-mêmes semblent s'être oubliés. Cherchez-en-un autour de vous qui ait publié quelque chose, qui ait cherché quelque chose, qui ait pensé quelque chose. Pas facile à trouver. Commencez par l'Hôpital de Chicoutimi et l'Université du Québec à Chicoutimi. Votre cueillette ne sera pas très fructueuse.
Pourtant, il n'y a pas si longtemps que cela, j'en ai connu des Maîtres. Années soixante. Années soixante-dix. Collège St-Edouard à Port-Alfred, Petit Séminaire de Chicoutimi, Hôtel-Dieu de Montréal...
Frère Clément. Mon vieux professeur d'algèbre. Un passionné, qui avait passionné toute sa classe.  Frère Fernand. 1956.  M'avait fait lire toute la bibliothèque du collège St-Edouard.  Frère Pierre. Metteur en scène du "Malade Imaginaire". Nous avions seize ans. Marqués toute la vie par Molière.  Monsieur Desmeules. Petit Séminaire. Metteur en scène lui aussi. Théâtre de Félix Leclerc.  Michel Dufour. Le champion de tennis. Champion de trigonométrie aussi. J'avais eu 100% ce semestre-là et battu le champion de mathématiques Marcel Laforte.  L'abbé Guy Potvin. Directeur de l'orchestre de jazz du Séminaire. Suis devenu saxophoniste grâce à lui.      L'abbé Jacques Tremblay. M'a appris à peu près tout ce que je sais de la littérature française et québécoise.  L'abbé Jean-Paul Tremblay. Petit Séminaire. M'a présenté Aristote, Platon, Socrate, St-Exupéry, Jean Barois, etc... "Il vous faut vous placer", disait-il. Comment raisonner juste...  Khattar Rachoin, un chirurgien libanais. Le meilleur que j'aie rencontré. Me suis appliqué à l'imiter dès que je l'eus vu.  Jacques Cantin. Hôtel-Dieu de Montréal. Chirurgien cancérologue. Intelligent, brillant même. M'a inspiré un travail sur les tumeurs villeuses du colon et du rectum.

Sans compter
Daniel Pennac, dont j'ai parlé à deux ou trois reprises depuis un an. Ecoutez ceci:1. IL SUFFIT D'UN PROFESSEUR -UN SEUL!- POUR NOUS SAUVER DE NOUS-MEMES ET NOUS FAIRE OUBLIER TOUS LES AUTRES.
2. ...LES PROFS NE SONT PAS PREPARES À LA COLLISION DU SAVOIR ET DE L'IGNORANCE.
3. IL N'Y A PAS PLUS ETANCHE QUE LE CHAGRIN POUR FAIRE ECRAN AU SAVOIR.
4. CINQUANTE-CINQ MINUTES DE FRANÇAIS, EXPLIQUAIS-JE À MES ELEVES, C'EST UNE PETITE HEURE AVEC SA NAISSANCE, SON MILIEU ET SA FIN, UNE VIE ENTIERE, EN SOMME.
5. LA PREMIERE QUALITE D'UN PROFESSEUR, C'EST LE SOMMEIL. LE BON PROFESSEUR EST CELUI QUI SE COUCHE TOT.
6. LE PROBLEME, C'EST QU'ON VEUT LEUR FAIRE CROIRE A UN MONDE OU SEULS COMPTENT LES PREMIERS VIOLONS.

Daniel Pennac vient de prendre sa retraite comme professeur de littérature française dans le système public français. Une bonne dizaine de livres à son actif.
CHAGRIN D'ECOLE. Titre de son dernier ouvrage. Vous me direz qu'il y a cinquante millions de Français et que nous ne sommes que sept millions... Je pense savoir pourquoi le Québec de maintenant...

Delhorno

mercredi 22 octobre 2008

MON AMI PENNAC

De grâce, qu'il ne sache jamais que j'ai prétendu à son amitié. J'en serais humilié. Peut-on devenir l'ami de quelqu'un qu'on n'a jamais rencontré? Moi, je pense que oui, si l'on a saisi son âme. Mais... Pennac? Qu'en penserait-il? Qui est le dieu qui a placé son livre "Chagrin d'école" devant un de mes regards inquiets? Car c'est bien exactement comme cela que ça s'est passé.

Pennac m'a fait découvrir Jules Supervielle. Lisons ensemble...

NE TOUCHEZ PAS L'EPAULE
DU CAVALIER QUI PASSE!

IL SE RETOURNERAIT
ET CE SERAIT LA NUIT
UNE NUIT SANS ÉTOILE
SANS COURBE NI NUAGES.

-QUE DEVIENDRAIT ALORS
TOUT CE QUI FAIT LE CIEL,
LA LUNE ET SON PASSAGE
ET LE BRUIT DU SOLEIL?

-IL VOUS FAUDRAIT ATTENDRE
QU'UN SECOND CAVALIER
AUSSI PUISSANT QUE L'AUTRE
CONSENTÎT A PASSER. "L'allée"

Et encore...

PALE SOLEIL D'OUBLI, LUNE DE LA MEMOIRE
QUE DRAINES-TU AU FOND DE TES SOURDES CONTREES?
EST-CE DONC LA CE PEU QUE TU DONNES A BOIRE,
CES GOUTTES D'EAU, LE VIN QUE JE TE CONFIAI?

Plus...

QUAND LES CHEVAUX DU TEMPS S'ARRETENT A MA PORTE.
J'HESITE UN PEU TOUJOURS A LES REGARDER BOIRE
PUISQUE C'EST DE MON SANG QU'ILS ETANCHENT LEUR SOIF.
ILS TOURNENT VERS MA FACE UN OEIL RECONNAISSANT
PENDANT QUE LEURS LONGS TRAITS M'EMPLISSENT DE FAIBLESSE
ET ME LAISSENT SI LAS, SI SEUL ET DECEVANT
QU'UNE NUIT PASSAGERE ENVAHIT MES PAUPIERES
ET QU'IL ME FAUT SOUDAIN REFAIRE EN MOI DES FORCES
POUR QU'UN JOUR OU VIENDRAIT L'ATTELAGE ASSOIFFE
JE PUISSE ENCORE VIVRE ET LES DESALTERER.

Delhorno

mardi 21 octobre 2008

JE BATIS DES CATHEDRALES

L'histoire est attribuée à Raymond Lulle. Il n'y a pas qu'une façon de classer un tailleur de pierre... Le premier casse du caillou pour gagner sa pitance; le deuxième: "Je construis une route!"; le troisième: "Moi, je bâtis des cathédrales!"
A Paris, il n'y a pas si longtemps... Il venait de quitter sa garçonnière du Marais et se dirigeait, rue des Francs-Bourgeois, vers la Comédie Française. Son regard fut attiré par un gros camion vert autour duquel s'activaient de grands et plus petits bonhommes de vert habillés eux aussi. PROPRETÉ DE PARIS. Ces mots étaient inscrits en lettres blanches, tant sur le camion que sur les uniformes des travailleurs. Ceux-ci s'activaient dans tous les azimuts. Certains ramassaient des vidanges, d'autres s'affairaient à déboucher un égoût, quelques-uns à balayer un trottoir. PROPRETÉ DE PARIS, pensa-t-il. Plutôt que VIDANGES DE PARIS ou POUBELLES PARISIENNES. Quelle belle manière de donner du style, du panache, d'honorer un métier qu'il n'avait jamais cru si respectable...
Il se rappela alors que Mutt, son père, avait été quelque temps éboueur, à peine sorti de l'école primaire. Eboueur, oui, ramasseur de vidanges. Métier dont Mutt avait eu honte jusqu'à sa mort...
-Quand je voyais s'en venir une de mes blondes, je courais me cacher derrière les maisons!
C'est ainsi qu'ils grandirent... Bonne famille, certes, des gens honnêtes, oui, mais... une certaine distance, un certain mépris. Mépris... Est-ce le bon mot? Peut-on grandir sans une quelconque échelle de valeurs et se distancer des valeurs moins estimables? Car tout n'est pas sur le même pied! Un certain mépris, donc. Bien illustré par la moins-value qu'ils apposaient à certains métiers, celui d'éboueur, en particulier, comme à d'autres aspects de la vie: les élèves sous-doués, les idées différentes, le parti politique opposé et... bien d'autres choses. Peut-on grandir sans aucun préjugé?
-Si tu n'étudies pas mieux, tu ramasseras les vidanges, lui avait-on seriné d'un regard où il n'avait pas manqué de déceler le mépris.
C'est ainsi que le message avait été véhiculé.
Il avait grandi comme ça. Il lui faudrait toute une vie d'adulte pour découvrir la vérité. IL N'Y A PAS DE SOT METIER. L'école des années cinquante n'était pas faite pour ceux qu'on étiquette aujourd'hui "manuels". Il rencontrerait des années plus tard les cancres de sa jeunesse. Ces "cruches" avaient pu survivre, élever des familles, s'en sortir, avec leurs deux mains, un peu d'astuce, un peu de débrouillardise. Il avait suffi de les faire jouer à la bonne place.
Quel est mon propos? Mai 2008. Le gros camion qui passe tous les mardis pour recueillir les déchets recyclables vient de s'arrêter devant ma demeure. Je cours dehors lui porter le bac de plastic bleu que j'avais oubliéde laisser la veille.
Il me salue:
-Vous êtes un Delhorno, je pense?
-Oui.
-Je suis un Delhorno moi aussi. Vous êtes baieriverain comme moi?
-Oui, nous vivions sur la Cinquième Avenue à Port-Alfred.
-Moi aussi, je suis de Port-Alfred.
-Ca va mal à Port-Alfred! Le moulin vient de fermer.
-Je comprends que ça va mal!
-Vous y travailliez?
-Certainement! Ce métier d'éboueur, c'est tout ce que j'ai pu trouver à la fermeture. Au salaire minimum, par surcroît! Moi, qui étais habitué aux gros salaires de la Consol. Y a quand même de beaux côtés à cet emploi. J'ai maigri de quarante livres depuis que j'y suis. Descendre et monter de la cabine à coeur de journée, c'est tout un exercice. Je n'ai jamais été aussi en forme. Puis, les vidanges, ce n'est plus ce que c'était. Tu vois, tout ce qu'il y a dans mon camion, c'est du recyclable! Je me couche le soir avec le sentiment d'avoir fait quelque chose d'utile, de faire un métier d'avenir.
Je n'en croyais pas mes oreilles! J'aurais voulu que Mutt revienne sur terre. Que Lulu entende cela. Voilà un gars qui venait de me dire:
-JE BATIS DES CATHÉDRALES!
Delhorno

samedi 18 octobre 2008

CONVALESCENCE

Je me répéterai un peu sans doute. Pardonne-moi, lecteur. C'est arrivé le 27 juillet dernier. Un dimanche matin. Mon vélo se cabra subitement. Il y avait une anfractuosité dans l'asphalte de la piste cyclable. Mon corps, mu par la force centrifuge, s'envola par-dessus la bécane: c'est ma hanche gauche qui absorba l'impact. Incapable de me relever. Une première dans ma vie jusqu'ici. Penser à l'outarde plombée, qui se voit tomber au sol, à l'orignal transperçé qui se demande pourquoi ... Fracture intertrochantérienne du fémur. Enclouage de la hanche le 3 août. Lit d'hôpital. Infirmières surchargées. Peinent à assurer l'essentiel. Chanceux d'avoir une femme qui m'aimât...

Deux mois à claudiquer d'un fauteuil à l'autre. N'ai à peu près rien manqué des olympiades pékinoises ni du US Open Tennis. Ai pu délaisser la marchette fin-août et les béquilles à la mi-septembre. Je fonctionne -c'est un bien grand mot!- avec une canne depuis, sans cesser de claudiquer. Suis à peu près bon à rien. Toute démarche que j'ose entreprendre est lente, longue et pénible.

Le pire, c'est la nuit. On est seul avec soi-même. On ne veut pas déranger. On dort mal, on a peine à bouger. Il faut se lever pour uriner. Sans compter que l'imagination divague, qu'elle pose des questions. Sans en esquiver aucune. L'aube tarde...

Le jour, ça va mieux. Déjeuner, ablutions, jasette avec la conjointe. Conjointe. Voici un vocable qui n'était pas coutumier, il y a vingt ans... Quelques amis. Téléphones des enfants. Mais on se sent toujours inutile... C'est ça, la convalescence, c'est ne rien faire, se demander quand on pourra faire quelque chose. Si on pourra, finalement, réussir à faire quelque chose. Quand on va cesser de boîter. Un été perdu. Un automne amputé. Le golf, qui allait mieux. Un remplacement à Campbellton, qui a dû être annulé. Honoraires, sur lesquels j'avais compté. Car il faut compter! Même quand on est invalide.

Une vie en marge, quoi! Un bout de vie. Sur une voie de garage. Ce sera sans doute ainsi, à la fin. Et si cette fin, c'était déjà elle?

Delhorno

vendredi 17 octobre 2008

RIEN NE VAUT UN BON FILM

J'avais lu quelque part -dans Le Figaro électronique probablement- que le film promettait. De Barratier, celui des Choristes. Y suis allé hier soir. Soir de première. Il n'y avait pas dix personnes dans la salle. Je crois y avoir été, à 64 ans, le plus jeune des spectateurs. Presque deux heures de pur bonheur. FAUBOURG 36. Il te faut, lecteur, aller voir ce film, où il y a de tout. Peu de violence, peu de sexe, peu d'effets spéciaux, cependant. En contrepartie, les thèmes universels y sont abordés: l'amour, l'amitié, l'entraide, l'humour, l'hommerie. Ça se passe à Paris, "Paname", comme ils disent. Gérard Jugnot. Pierre Richard. Merci, Barratier! Je n'en dis pas plus.

De retour à la maison... Un peu de télévision. Canal 202. Super Ecran. Commence à peine "Les Cerf-volants de Kaboul". J'ai lu ce livre il y a deux ou trois ans... Un autre bon film, deux, donc, dans la même soirée. C'est souvent comme ça. Se passent des semaines où les bons films n'existent simplement pas. Puis, comme ça, "la lune devient bleue"! Les chef-d'oeuvre sont une rareté...

Je me rappelle que, depuis la fin des années quarante, alors que Mutt me lisait des articles du "Sélection du Reader's Digest", j'ai toujours aimé me faire raconter une bonne histoire. Je ne dois pas être le seul comme ça. Les films que je n'ai jamais oubliés? Que je revois volontiers?
BEN HUR
DOCTEUR JIVAGO
DAS BOOT
LES UNS LES AUTRES
LA GLOIRE DE MON PERE
LE CHATEAU DE MA MERE
LA MELODIE DU BONHEUR
RAOUL WALLENBERG
LA LISTE DE SCHINDLER
LA COULEUR POURPRE
LES CHORISTES

Mon champion? DOCTEUR JIVAGO.

Merci, Lulu, de m'avoir permis mon premier cinéma -je n'avais pas treize ans. Le théâtre Château, à Port-Alfred. T'en souviens-tu? Tu aimais le cinéma toi aussi, maman. Dommage...

Delhorno

lundi 29 septembre 2008

QU'AURAIS-JE FAIT?

Je viens de lire que les Espagnols ont choisi le film qui les représentera aux prochains Oscars à Hollywood. Tout un film, paraît-il. Un thème qui, longtemps, a été tabou au pays du taureau: la guerre de 36-39.

Avant que tu n'ailles voir le film, lecteur, je te suggère de lire
LA VOZ DORMIDA, le roman sorti de la plume de Dulce Chacòn en 2002. Retour fort documenté sur les années fratricides. C'est Plon qui a imprimé la traduction française en 2004: VOIX ENDORMIES. Livre de l'année en Espagne en 2002! La dédicace du bouquin? "A los que se vieron obligados a guardar silencio." "A ceux qui furent contraints à garder le silence."

Livre acheté chez Renaud-Bray, rue Saint-Denis, Montréal, en novembre deux mil quatre, sur un clin d'oeil. Comme si une main invisible m'avait signifié: "Lis ça!" Lu en quelques heures. Quel bon coup! Quel heureux hasard! Chacòn écrit avec style: c'est d'abord ce que j'ai savouré. Elle est une écrivaine, une vraie. Ai classé son livre dans la première dizaine de ceux qui ont contribué à mon bonheur depuis un demi-siècle. Je n'en divulgue pas plus: il faut lire ce livre.

Les Espagnols s'entretuèrent en 36-39. Les familles se déchirèrent. Le neveu dénonçait son oncle, le cousin abattait son cousin. L'Église couchait avec les Grands, les pauvres avec Staline. Federico Garcia Lorca, vendu par un cousin, fut fusillé et enterré sommairement dans une fosse commune -qu'on vient tout juste de découvrir, semble-t-il. La question m'a tenaillé depuis un séjour à Alicante, il y a quelques années: je me la suis posée presque quotidiennement. "Qu'aurais-je fait?" Aux côtés de Franco, ou avec les Républicains?

Nous fûmes confrontés à un problème similaire, ici, lors des questions référendaires. Familles déchirées, frères et soeurs ulcérés, amitiés anéanties... Haine, mépris, rancoeur... Les Québécois, toutefois, à l'exclusion des frères Rose et contrairement aux Espagnols, n'allèrent point jusqu'à s'entretuer! Voilà pourquoi l'Espagne a ignoré cette grande tache rouge de son passé pendant un demi-siècle... Je te la pose à toi, lecteur, cette question: "Qu'aurais-tu fait, entre 1936 et 1939, dans l'Espagne des Républicains et de Franco?"

Mon professeur d'espagnol, Cubain d'origine, sut y répondre, quand je l'interrogeai, un soir de juillet, à Alicante:
-Claudio, j'ai déjà résolu ce dilemme quand Castro prit le pouvoir en 1959. J'ai quitté Cuba, mon pays natal.

C'est aussi ce que firent bien des Républicains espagnols. Cent mille d'entre eux se réfugièrent à Toulouse durant la guerre fratricide. Ils avaient choisi de survivre...

Il te faudra, lecteur, voir ce film, lire ce roman et te la poser, cette question, un jour. Car on te la reposera assurément, sous une forme ou sous une autre... Plus facile de répondre quand on a déjà réfléchi au sujet. Les grandes questions reviennent toujoursl...

Delhorno

samedi 27 septembre 2008

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Des motifs logistiques m'ont poussé à clore mes conversations avec Gibus et McPherson. Nouvelle adresse-courriel, en effet: claudiodelhorno@sympatico.ca

Ai donc colligé en un volume d'une centaine de pages mes écrits de la dernière année, de crainte que tout ne s'efface, début octobre, quand le contrat avec Bell Affaires se sera terminé. Deux semaines de sur-place et... me voilà reparti.

Mon nouveau blogue s'intitule
ON NE PEUT PAS ETRE HEUREUX TOUT LE TEMPS . Non, ce n'est pas de moi! C'est de Françoise Giroud, oui, celle de la Résistance, d'Elle et de l'Express. Titre de l'un de ses derniers écrits, lequel est largement, sinon totalement, autobiographique.

J'étais en transit à Charles-de-Gaulle et me croyais enfin heureux... Une triste nouvelle m'assaillit soudain et, déconfit, je me mis à errer sur l'étage des vols internationaux, celui que vous savez, jusqu'à cette obscure librairie, où mon regard fut attiré par un petit livre qui venait de paraître. J'avais entendu parler de Giroud peu de temps auparavant: émission télévisée, je pense. Je dévorai le bouquin en quelques heures: il me fit l'effet d'une potion miraculeuse. Je pus ainsi oublier ma détresse durant le trajet Paris-Montréal et retrouver un certain goût de vivre.

De quoi parlerai-je dans cette deuxième aventure littéraire? De la vie, certes, du bonheur et du malheur, de tout et de n'importe quoi et, pourquoi pas, de "l'insolite, qu'il ne faut surtout pas refuser, quand il se présente". (1)

Delhorno


(1)  Tiré de l'autobiographie d'Agatha Christie