lundi 30 avril 2012

CE QUE J'AI LU CHEZ LE FRÈRE UNTEL...

J'espère ne pas me répéter.  J'ai suivi les écrits du frère Desbiens jusqu'à cet instant où il cessa de respirer.  
J'ai pris des notes...


1.  La plupart des choses du monde se font par elles-mêmes.  Montaigne


2.  Le plus difficile, le vrai test, c'est de se retirer avec grâce, avec désinvolture, puisque c'est le mot qui convient.  Frère Untel


3.  C'est au moment où l'on saurait vivre que l'on meurt.  Bergson


4.  On se lasse de tout, sauf de comprendre.  Frère Untel


5.  J'irais jusqu'au bout du monde pour un bout de conversation.  B. d'Aurevilly


6.  Viser bas, ce n'est pas viser juste.  Frère Untel


7.  On a le droit de tout penser.  Tout dire, c'est autre chose.  Philippe Bilger


8.  Il ne suffit pas d'être pauvre pour avoir raison.  Frère Untel


9.  La justice n'est ni la vengeance, ni l'égalité.  Thibon


10.  Yanqui go home and take me with you.  Graffiti en Colombie


11.  Tais-toi, ou dis quelque chose de meilleur que le silence.  Pythagore


12.  Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.
       Guillaume d'Orange, dit le Taciturne


DELHORNO 

dimanche 29 avril 2012

PLATON

«Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les  enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien et de personne, alors, c'est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie...»


J'ai vécu à Athènes entre 427 et 347 A.C.
Platon




Философ Платон

jeudi 26 avril 2012

LAVEUR DE VITRES À L'ÉCOLE NOTRE-DAME

Cet été-là, la Commission scolaire m'engagea comme laveur de vitres à l'École Notre-Dame.  C'était la plus vieille école de Port-Alfred, aussi vieille que les premiers balbutiements de ma ville natale.  J'ignorais 





à l'époque qu'elle avait été l'Alma Mater de Mutt, mon père.  Au décès de son père, Réal Ouellet retrouva cette photo oubliée de tous; Lucien Ouellet, que j'ai bien connu dans ma jeunesse, avait été le confrère de classe de Mutt, que l'on peut voir tout juste à la droite de la tête du curé Médéric Gravel, que j'ai bien connu lui aussi.  La photo est prise contre un mur de la dite école.  C'est une soeur du Bon Conseil qu'on y voit.  Bien des années plus tard, j'irais visiter de vieilles soeurs malades à l'infirmerie du couvent principal des Soeurs du Bon Conseil à Chicoutimi.  Elles devaient être une vingtaine à l'École Notre-Dame durant les années cinquante, quand je servais la messe.  Je les revois encore à cinq heures et demie du matin marcher de l'école à l'église, à la queue leu leu, pour assister à la messe de six heures.  En fallait-il du courage pour vivre cette sorte de vie?   

Si j'avais su tout ça, je ne me serais probablement pas conduit de manière aussi folichonne dans l'incident que je vais vous raconter.  Je lavais les vitres, donc.  Il me semblait qu'il n'y avait que des vitres dans cette école.  Se trouvait, face à la maison de Jacques Temblay, une petite porte qui s'ouvrait sur un escalier d'une vingtaine de marches, lequel donnait accès au sous-sol.  Nous étions deux ou trois qui lavions les vitres des alentours.  Germain Bouchard, lui, plus vieux, peinturait les deux murs qui bordaient l'escalier.  Quand je le vis, au bas de l'escalier, il me prit l'idée saugrenue de lui jeter mon seau d'eau chaude.  Il reçut tout le liquide et son savon sur la tête et le dos!
-Hostie de crisse de quâlisse de tabarnaque!

Action-réaction!  Germain remonta l'escalier en courant avec son pinceau dans sa main droite.  Je pris mes jambes à mon cou en direction de la pharmacie Chez Petol.  J'étais alors le meilleur coureur de ma génération...  Jamais il ne me rejoignit.  Tout ce que je vis dans ma fuite, ce fut le pinceau de Germain, qui me frôla l'oreille droite. 

Delhorno        

mercredi 25 avril 2012

PEINTRE AU COLLÈGE ST-EDOUARD

Les patriarches des années cinquante ne riaient pas beaucoup quand il s'agissait de la vie.  Je te parle ici, Gibus, de la vraie vie, celle de tous les jours, celle où il faut chaque jour gagner le pain quotidien.  Nous, leurs garçons, avions à peine quinze ou seize ans qu'il nous fallait trouver un emploi pour l'été qui s'en venait.  Et les bonhommes ne badinaient pas du tout avec la chose!

Chez nous, ça commençait le matin du jour de l'An.  Mutt trônait dans la cuisine et entonnait ce qui au fil des ans devint une rengaine:
-Les p'tits garçons, qu'allez-vous faire l'été prochain?
Il n'était pas question de se défiler.  

Les plus belles «jobs», les plus payantes, c'étaient celles de la Consol.  Beaucoup d'aspirants, mais peu d'élus.  La Consol engageait d'abord le fils du gérant et celui du président du syndicat.   Venaient ensuite les fils  de ceux qui faisaient bon usage d'une loi millénaire, celle des Quatre T: «Quand t'es Téteux, T'as Toutte pis Toutte va ben... pis t'es-T-heureux.»  Hélas!  Mutt n'appartenait à aucune de ces catégories, ce qui anéantissait presque nos chances d'atteindre le Saint des Saints. 

J'ai eu mon premier job officiel l'été de 1960.  Peintre en bâtiment pour la Commission Scolaire de Port-Alfred.  Je n'avais jusqu'alors peinturé que la garde-robe de ma chambre à coucher.  Je me présentai pour huit heures au Collège St-Edouard.  Jos Potvin, le chantre de l'église St-Edouard, était concierge à l'époque.
-Les petits garçons, vous allez me peinturer le plafond du réfectoire des Frères en vert-pâle.  

Il me coupla au grand Simard du P'tit Montréal.  C'était un long plafond...   J'entrepris de peinturer le côté Chicoutimi et Simard le côté Québec.  Nous rejoignîmes nos pinceaux sur le coup de midi, alors que monsieur Potvin fit son entrée.  
-Bon Dieu de Sorel!  Qu'est-ce que vous avez fait là?

Le plafond avait deux tons, l'un foncé, l'autre pâle.  Car le grand Simard avait peinturé mince alors que j'avais peinturé épais.  Le chantre paroissial, en si bémol, s'arrachait les quelques cheveux qui lui restaient.

La crise fut réglée à notre retour de dîner.  On nous sépara.  Monsieur Potvin me fit reprendre le côté clair du plafond. 

Delhorno   
   

dimanche 22 avril 2012

LE MÉTIER DE «SPOTTEUR»

J'avais oublié ça.  «Spotteur».  Le vocable m'est revenu soudainement hier quand j'ai vu à la télé un film qui nous montrait un petit garçon assis au côté d'un Français de France immigré au Québec qui «spottait» des quilles au bout d'une allée.  En même temps que le mot, quelques images sont apparues instantanément dans le fin-fond de mon cerveau...


Port-Alfred.  Le Palais Municipal.  Il y avait des allées de quilles au-dessus du garage municipal.  Il fallait monter l'escalier qui donne sur la sixième avenue.  Parcourir un vestibule de quelques mètres, puis tourner vers le corridor de droite.  Au bout de celui-ci, le salon de quilles et ses tables de billard.  Peu avant d'entrer,  nous étions passés devant le local de la Fanfare de Port-Alfred.


Les quilles.  L'école nous y amenait les jeudi après-midi.  Histoire de changer le mal de place.  C'est ainsi que j'ai fait connaissance avec le métier de SPOTTEUR.  Pas très rémunérateur, ce travail.  Si je me souviens bien, ceux qui le faisaient n'avaient pas été très favorisés par les dieux.  Il y avait tout juste dans leur cervelle ce qu'il fallait pour remettre les quilles au bon endroit.  Le plancher était troué de dix pertuis où un mécanisme faisait monter puis descendre des tiges de métal sur lesquelles le spotteur plaçait les quilles, lesquelles étaient trouées également au centre de leur base.  Tout ceci assurait une position exacte et répétitive des dix quilles.  Le spotteur était assis plus haut, en sécurité, et sautait dans le «pit» pour enlever les quilles qui nuisaient après la première boule et pour replacer les quilles après la deuxième.  Je n'avais pas douze ans que déjà les anglicismes s'introduisaient en douce dans ma vie.  «Spotteur», «pit», «pin», «strike», «spare», voilà les mots que nous léguaient les plus vieux, les habitués.


Je n'ai pas «spotté» bien souvent, Gibus.  Le métier et ses ouvriers ne m'attiraient pas.  Mais, j'ai bel et bien «spotté» au salon de quilles du Palais Municipal.


Delhorno


Le spécialiste du spottage à Port-Alfred s'appelait  J-J Simard dit Banane. Et il avait comme particularité de caler un Jumbo ( autre mot anglais à ajouter à ton répertoire ) de coke durant son déplacement de l'aire de lancer à celle du spottage ! 
André


Spotteur, c'est ce je fais à chaque automne. Ne le dites pas à Francine. Je me spotte derrière un arbre, un rocher, espérant voir apparaître une belle bête. C'est une activité  exigeante, parfois au froid, à la pluie...
De longues heures souvent sans succès. 
Surtout depuis 2 ans ou il n'y a pas eu "d'abat" ni "strike". 
Je suis devenu plus un spotteur qu'un chasseur. Et peut-être même que dans mon spot, j'ai l'air d'une...quille. 

De Marcel Dufour

samedi 14 avril 2012

VITALITÉ XII: LA BOÎTE DE PANDORE

Je doutais, Gibus, de pouvoir aujourd'hui te raconter une histoire intéressante.  Ai dû me rendre à l'hôpital plus tôt que d'habitude.  Une gastroscopie.  Pourquoi faire le samedi matin une gastroscopie non-urgente?  Pour sauver trois ou quatre jours d'hospitalisation.  Parce que l'hôpital est rempli.  Parce que nous n'avons plus de lits disponibles.  La surveillante, à laquelle j'ai demandé conseil, m'a certifié que le per diem s'établit à près de quatre cent dollars à Campbellton.  Très évidemment, personne ne saura jamais que nous avons épargné mille cinq cent piastres à la communauté ce matin.  Et ça ne se rendra certainement pas sur le bureau du ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick.  J'ai fait ma tournée ensuite.  Rien de bien notable.  Sauf peut-être cette infirmière de pédiâtrie qui m'accompagnait ce matin.  Allumée, avec le sourire et un évident désir de vivre.

Ai dû retourner à l'étage de pédiatrie sur l'heure du souper.  Elle était encore là.  Les quarts de travail sont de douze heures à Campbellton.  Je ne sais encore trop comment j'ai pu en arriver à ce qu'elle me fasse ces confidences...

Impliquée dans un accident d'auto en 2009 sur la route qui va de St-Quentin à Campbellton.  Je connais bien cette route pour l'avoir parcourue une demi-douzaine de fois.  Un face-à-face.  La conductrice de l'autre véhicule était une avocate qui était en train de texter sur son iPhone.  Elle mourut sur-le-champ.  L'infirmière dont je te parle se réveilla aux soins intensifs de l'hôpital d'Edmunston paralysée des pieds jusqu'au nombril, l'orthopédiste lui annonçant qu'elle ne marcherait plus jamais.  Hémopneumothorax, volet thoracique, fractures multiples du pied et de la cheville droite.  Elle achevait alors son cours d'infirmière.  Tout s'envolait.

Sa moëlle épinière lombaire était enrobée d'un hématome jugé inopérable.  Les dieux sans doute étaient en désaccord avec l'évaluation orthopédique, car la petite infirmière recouvra complètement l'usage de ses jambes, put marcher et terminer son cours.  C'est ainsi qu'elle pouvait m'accompagner sur l'étage, paraître si allumée, si heureuse de simplement déambuler.

Ce n'est pas fini!  Sa mère décédait l'année d'après.  Cinquante et quelques années,  Cancer fulminant.

Son père?  En chaise roulante dans la maison de sa fille!  A fait un accident vasculaire cérébral à cinquante-cinq ans, a dû quitter son poste de responsable des finances dans un gros hôpital.

-Il est avec moi, je m'en occupe!

Un monde qui s'effondre en moins de trois années.  Et l'on peut continuer à vivre, à sourire, à travailler.  Je t'ai déjà dit que les gens diffèrent par ce qu'ils montrent et se ressemblent par ce qu'ils cachent.  J'ai oublié celui qui a écrit ça.  Je n'aurais pu te raconter ce bout de vie si, pour une raison que j'ignore, je n'avais posé la question qui permettait d'ouvrir cette boîte de Pandore.

Delhorno

vendredi 13 avril 2012

VITALITÉ XI: VENDREDI XIII

La demande de consultation concernait une madame Busque.  Busque.  Un nom, un mot qui ne cesse de me séduire...  Je pense à l'espagnol BUSCAR et au français DÉBUSQUER.  Ce n'est pas tout!  À peine entré dans la chambre 454, je me présentai et lui dit:
-Vous êtes madame Busque, n'est-ce pas?
-Oui.
-Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous brusquer.


Elle ne put s'empêcher de sourire et je ne pus moi-même réprimer un sourire équivalent.  Car à chaque fois que ce vocable vient à mes oreilles, je revois instantanément cette petite fille qui disait BRUXER au lieu de BRUSQUER.


Madame Busque n'est pas très malade, je pense.  De toute façon, il n'y a pas grand-chose à dire pour l'instant.  Ce que je veux raconter, c'est la petite conversation qu'ensemble nous avons eue.
-Vous avez encore votre mari, madame Busque?
-Non.  Il est mort il y a longtemps.  J'avais 50 ans à peine, et cinq enfants.
-De quoi est-il mort?
-Sclérose en plaque.  Je m'en suis occupée pendant 20 ans.  La chaise roulante, les bains au lit, toute la bastringue.
-Mon Dieu, vous avez dû y goûter?  Cinq enfants.  Avez-vous manqué d'argent?
-Tu me le dis!  J'avais juste une petite pension.
-Vous devez signer votre nom ici, madame, c'est le permis opératoire.  Et faites attention de ne pas faire de faute!  Car nous corrigeons les fautes de français et votre gastroscopie pourrait en être différée.
-Tu vas en voir une tonne, des fautes de français!  J'ai laissé l'école en deuxième année.
-Vous n'avez pas laissé l'école en deuxième année?
-Oui, mes parents m'ont dit: «Viens-t-en torcher à la maison.»  J'ai donc laissé l'école et suis venue torcher à la maison.  Nous avions treize enfants.  
-Treize enfants...  Ma belle-mère aussi s'est occupée d'une trâlée d'enfants dans le Rang Sept d'Alma.
-Y a pas rien que ça.  Mon plus vieux est mort à quarante ans.  S'est pendu.  Y a rien de pire que ça!
-Il s'est suicidé?  Dépressif?  Ça n'avait pas paru?
-Il avait laissé sa première femme et trois enfants.  La première, elle n'était pas trop tentée par le sexe, tandis que Raoul était pas mal plus chaud.  Il a connu une autre femme.  Je lui disais d'arrêter de prendre un coup, de retourner avec sa première femme, que la deuxième ne faisait l'affaire.  Il me répondait qu'il l'aimait.
-Il s'est pendu dans son hangar?
-Non, dans son logement. 
...


-Madame Busque, je note que vous prenez beaucoup de médicaments, au moins une quinzaine.  Connaissez-vous le nom des maladies pour lesquelles vous prenez ces pilules?
-Non.  Au fait, je veux aller mon docteur pour tirer tout ça au clair.  Je prends neuf pilules chaque matin.
-Vous n'avez qu'à dire que vous désirez des explications. 


Voilà.  Madame Busque a soixante-dix ans.  En paraît quatre-vingts, pourtant.  Sans doute en raison de ce passé, que je n'aurais jamais connu si je ne m'étais pas assis à son côté et posé une innocente question sans arrière-pensée.  Souvent, dans ces situations, une phrase de quelqu'un dont j'ai oublié le nom, me revient en mémoire: LES GENS DIFFÈRENT PAR CE QU'ILS MONTRENT ET SE RESSEMBLENT PAR CE QU'IL CACHENT.


P.S.  J'ai rencontré aussi un patient anglophone dont le nom de famille était RECORD.  Peux-tu croire, Gibus?  Mr RECORD!  Et «torcher» est le terme exact qu'elle a employé.  Je me suis senti mal à l'aise d'écrire ce mot que je juge un peu bas-de-gamme.  Or, je me rends compte que «torcher» fut utilisé par François Rabelais et plusieurs autres par la suite!  


Delhorno

jeudi 12 avril 2012

VITALITÉ X: UN JEUDI FORT TRANQUILLE

Arrivé à l'hôpital autour de dix heures.  Rien de bien spécial.  Ma grosse démarche, aujourd'hui, ce sera, mon cher Gibus, de te relayer ce court texte que j'ai placé dans le blogue de Gilbert Lavoie du Soleil-La Presse, en réponse à une interrogation de celui-ci.  Voici donc, suivi de ma réponse, «l'appât» de Gilbert Lavoie.  


La nécessaire alternative au débrayage


Les grèves perdues, ça existe dans le monde du travail. Et c’est ce qui est en train de se produire dans le monde de l’éducation.
Le débrayage de 57 jours mené par des étudiants de Cégeps et d’universités tire à sa fin.
C’est l’heure de retourner dans les salles de cours. Le gouvernement ne bougera pas et les étudiants seront doublement perdants s’ils sacrifient leur année scolaire.
Mon avis aux intéressés: si vous croyez vraiment que le Parti québécois fera mieux que le Parti libéral, vous devez faire porter vos espoirs et vos énergies du coté de Pauline Marois. Il y aura des élections dans moins d’un an, donc avant les quatre hausses de 325$ qui suivront celle de septembre prochain. Vous avez donc le temps de vous faire entendre auprès du prochain gouvernement.
En attendant, vous avez tout intérêt à reprendre vos cours avant qu’il ne soit trop tard. Il est minuit moins cinq.
Bonne semaine
Gilbert Lavoie





delhornissimo

10 avril 2012
08h28


Je comprends mal qu’on se punisse soi-même en boycottant une activité qu’on aime par-dessus tout à la recherche d’un résultat incertain. J’adorais mes études de médecine et je n’aurais jamais quitté mes cours pour quelques centaines de dollars. J’étais pourtant fils d’ouvrier et sans le sou.
Plus tard, chirurgien, on m’avisa le mardi soir que les médecins spécialistes faisaient grève le lendemain, alors que deux patients souffrant de cancer du sein devaient être opérées. J’avisai mon chef sur-le-champ: il était hors de question que je fasse cette grève aux dépens de mes deux patientes.
Je ne comprends pas du tout qu’à vingt ans on puisse choisir de se crétiniser pendant deux mois sur les boulevards et terrains vagues.
Claude Dufour


Je trouvais mon texte relativement anodin et je n'ai jamais imaginé que je susciterais la fureur de DCSAVARD...
theosaurus
10 avril 2012
10h41
@delhornissimo
Votre refus de faire la grève pour opérer deux patientes est honorable et légitime.
Mais vous auriez intérêt à éviter les comparaisons boiteuses pour défendre votre point de vue…

dcsavard
@delhornissimo,
en tant que fils d’ouvrier, vous devriez bien savoir ce qui vous a permis de faire des études de médecine. Et c’est pour préserver ces conditions qui vous ont permis à vous de faire ces études et pour que d’autres puisse sortir de leur condition de fils d’ouvriers que les étudiants sont dans la rue. Vous appeliez-ça se crétiniser. Je pense que c’est plutôt vous qui vous vous êtes crétinisé avec les années nous pourrions dire aussi embourgeoisé, c’est la même chose.
Quant à M. Lavoie qui parle de récréation comme si les étudiants étaient des élèves. Comme si les étudiants n’étaient pas des citoyens à part entière comme lui-même. Comme si faire porter à cette génération le fardeau de 40 ans d’histoire de l’éducation pour que les gens comme lui et notre chirurgien ouvrier puisse réduire leurs impôts et ne pas payer leur juste part de ce système qui leur aura permis de faire des études à bon compte comme ce fût le cas de tous ceux de ma propre génération et de celles qui m’ont précédé sur une période de 40 ans, comme si tout ça était juste pour la génération actuellement aux études et pour celles qui vont suivre. Comme si l’éducation n’était plus un bien collectif.
Au nom de quel principe peut-on justifier à la génération actuelle de hausse les frais de scolarité au-delà de l’indexation du coût de la vie pour la période qui les concerne, soit depuis maintenant et non depuis 1970. Devrait-on faire un rattrapage historique des tarifs de l’électricité depuis 1970 aussi? Pourquoi pensez-vous que Raymond Bachand et Jean Charest s’attaquent aux étudiants plutôt qu’à toute la population avec les tarifs d’électricité? Ils n’ont pas le courage de leurs opinions et ils cherchent simplement à s’attaquer à ceux qu’ils croient pouvoir manipuler, à ceux contre lesquels ils croient pouvoir monter leurs semblables. Qui est le plus méprisable?

J'ai donc décidé de répondre à mes nouveaux ennemis!

delhornissimo
10 avril 2012
12h25
@dcsavard. Merci pour l’argumentation AD HOMINEM. J’étais sûr de me faire pousser le terme BOURGEOIS en m’affichant comme chirurgien. C’est un classique qui émane des gens de votre espèce, depuis mes débuts dans les hôpitaux, dès que nous osons exprimer une opinion. Vous avez raison, fils d’ouvrier j’ai appris à la dure comment m’en sortir: un travail acharné quotidien, recherche constante de la compétence et de l’excellence, travailler les étés pour gagner l’année suivante. Il n’y avait pas de place pour fermer les rues, les ponts, les entrées de ports et celles des bureaux de ministres. Perdre deux mois d’apprentissage à 20 ans, c’est beaucoup, c’est trop. Le Québec a besoin de travailleurs, non de boycotteurs. Finalement, il ne se donne pas de diplômes pour deux mois de crétinisme dans les rues.
@theosaurus. Vous avez raison, la comparaison cloche un peu. Il semble y avoir toute une différence entre nuire au trafic urbain et mépriser deux cancers du sein. Mais pas tant que ça. Quand, à 20 ans, on est prêt à «boulechiter» son apprentissage pour quelques centaines de piastres, on n’est pas loin, 20 ans plus tard, de «boulechiter» ses patients pour quelques milliers de piastres.
Claude Dufour
dcsavard
10 avril 2012
20h27
@delhornissimo,
vous ne répondez toujours rien à ce que je dis. Je vous ferai remarquer que vous avez usé de l’attaque ad hominem à l’égard des étudiants en tout premier lieu. Que le balancier vous revienne dans les dents n’est que chose normale. Alors, vous dites quoi concernant le fait que ces frais de 1625$/année se retrouvent pelletés dans le budget de papa ouvrier et maman ouvrière? Comment pourront-ils continuer d’envoyer leurs enfants à l’université? Il est impossible pour un étudiant qui travaille déjà pour payer ses études d’accumuler 1625$ de plus par année, il faudra inventer l’année de 13 mois. Il faut être bouché rare pour ne pas voir que cette mesure est inacceptable.
Mais, vous, vous avez bénéficié du gel des frais de scolarité à l’époque. Comment vous auriez pris ça à l’époque une hausse de 75%? Vous dites que vous travailliez déjà comme un chien et durement, comme si les étudiants d’aujourd’hui ne le faisaient pas eux, alors, où vous auriez trouvé moyen d’accumuler l’argent supplémentaire pour cette augmentation de 75%?
Enlevez les oeillères que votre condition vous oblige à porter et regarder donc d’où vous venez une fois.

Heureusement, deux alliés sont venus me rejoindre sur le champ de bataille!

Celle-ci, une dame dont j'ai perdu le nom:
@delhornissimo : de la musique pour les oreilles vos propos.

belleu
11 avril 2012
12h24
@delhornissimo
Est-ce que vous avez un fan club ? Je m’abonne immédiatement!
@dcsavard
Je ne sais pas dans quel langue va-t-il falloir vous le répéter, mais les études coûtaient PLUS cher dans les années 1970, en dollar courant, qu’en 2017 APRÈS la hausse. Alors arrêtez de culpabiliser ceux qui ont fait leurs études dans ces années.
Deuxièmement, avec les annonces de la semaine passé sur les prêts et le remboursement proportionnel, papa ouvrier ne paiera plus pour son enfant universitaire, ce dernier aura des prêts qu’il remboursera comme un grand garçon responsable qui a décidé de se payer un diplôme. C’est pas beau ça ?
Voici ma réponse finale à DCSAVARD.
@dcsavard
Je ne crois pas avoir utilisé d’argument AD HOMINEM contre les boycotteurs. Vous n’avez peut-être pas aimé le terme SE CRÉTINISER? Avez-vous vu ce que les boycotteurs font à longueur de journée? Ils sont loin de fourbir leur cerveau!
La gratuité des études d’un bout à l’autre? Oui, si nous avons un consensus de société. Or, ce consensus n’existe pas à date au QC. Il n’existe pas chez nos comparables, les autres provinces canadiennes. Donc, ce n’est pas rarissime cette absence de consensus.
Les gel des frais? Non, car tout augmente, pour tout le monde, partout dans le monde.
L’augmentation des frais proposée par le gouvernement? Je suis d’accord. C’est étalé sur quelques années. Il y a un rattrapage à faire. Une majorité d’étudiants, à mon avis, pourront trouver cet argent. Sinon, on emprunte et on rembourse mensuellement quand on travaille. Beaucoup de parents, d’ailleurs, pourront donner un coup de main.
Vous êtes en désaccord? Votez pour le parti qui abonde dans votre sens et vous ne prendrez jamais le pouvoir.
Le boycott comme font les étudiants depuis 2 mois? Piètre manière de faire valoir un point de vue. Les étudiants se sont retirés des tables quand ils furent invités à négocier.
Je pense qu’il y a une majorité de québécois qui opinent comme moi.
J’ai fréquenté les universités de Laval, Montréal et Minneapolis entre 1965 et 1976. J’ai payé les frais qu’on demandait, mon père me donnait $5 par semaine, j’ai emprunté un peu, inéligible aux prêts et bourses. Je ne crois pas être «bouché» ou ayant des «oeillères» comme vous le dites si impoliment. J’ai travaillé 40 ans dans les hôpitaux avec le patient moyen québécois. Je sais pas mal ce qui se passe. Bonne journée!
Claude Dufour





J'ignore si tout ce placotage donne quelque chose en bout de ligne.  Les opinions me semblent ancrées dans le ciment, l'argument AD HOMINEM foisonne, de même que les prémisses non contrôlées.  En tout cas...






Delhorno























































VITALITÉ IX: PARTIR COMME UN SAUVAGE

Te souviens-tu, Gibus, du temps que nous étions jeunes, que ça se disait, ce sarcasme: «Il est parti comme un Sauvage.»  Ça nous venait de nos parents et de nos grand-parents.  On ne l'entend plus beaucoup de nos jours...  Je me demande même si c'est utilisé par la jeunesse d'aujourd'hui.  A classer en tout cas dans la même catégorie que: «Voilà un plan de Nègre», une autre expression paternelle que je n'ai pas oubliée, mais que je ne devrais pas transmettre à mes descendants.


Ma patiente MicMac d'hier.  C'est d'elle qu'il s'agit ce matin.  J'ai été réveillé par le l'infirmier-chef du bloc opératoire.
-José, je ne puis te mettre au parfum pour ce qui touche la patiente d'hier après-midi, je ne l'ai pas visitée encore.
-Ça ne sera pas nécessaire, docteur Delhorno.  Elle s'est enfuie de l'hôpital cette nuit.
-Quoi?
-C'est ça.
-Donc, pas d'opération.
-Bonne journée, docteur.


D'après ce qu'on m'a dit, la patiente a arraché son tube nasogastrique à trois heures du matin, son soluté à cinq heures, et elle est partie en catimini peu après.  Comme un Sauvage?


Delhorno

VITALITÉ VII: L'ÉCHAPPER BELLE

Petit mardi bien ordinaire ce matin-là...


Il est midi à Campbellton, mais onze heures à Listuguj!  Listuguj, c'est du Mic Mac, ça s'écrit Listuguj, mais se dit Listugouiche.  Ma tournée est terminée.  Je me dispose à quitter l'hôpital quand Dariu, l'urgentologue roumain, me mande à l'urgence.  Deux patients.


Je vois d'abord le premier, un Anglo à qui on a coupé la jambe gauche en-dessous du genou en raison d'une insuffisance artérielle.  Mon Dieu qu'il fait pitié...  Maigre sans bon sens.  Il souffre d'un écoulement sanguin à l'aîne gauche.  J'y palpe une tuméfaction pulsatile de près de cinq centimètres de diamètre.  Il y a une cicatrice longitudinale qui surplombe l'anomalie.  Du sang vient de couler par un petit trou dans la peau.  C'est clair, c'est évident, c'est un faux anévrisme développé sur une anastomose fémorale.  Il va mourir au bout de son sang si nous n'intervenons pas.  J'appelle le chirurgien vasculaire de Moncton.
-Envoyez-moi le patient tout de suite!
L'avion-ambulance est mandé urgemment.


Le deuxième patient est une dame.  Laide comme les sept péchés capitaux..   Je ne devrais pas écrire ça, je le sais, mais c'est plus fort que moi.  Un petit visage, un nez trop petit qui peine à porter des lunettes pas regardables, des yeux trop petits qui ne regardent jamais à la bonne place, un corps trop petit pour ce ventre trop gros qui l'a amenée à l'urgence.  Le fait saillant de ma consultation?  Elle ne répond jamais exactement à mes questions!  C'est son mari qui vient à sa rescousse.  Je saurai plus tard qu'elle est Mic Mac, de ces indiens qui occupèrent l'est canadien à partir de la péninsule gaspésienne jusqu'au sud du Nouveau-Brunswick.  Elle ne parle pas français, parle anglais un petit peu, et pas beaucoup de MicMac.  Elle a mal au ventre depuis 2 jours, a vomi.  Je ne la comprends pas quand elle parle...  Elle prend une vingtaine de pilules par jour, dont des narcotiques.  Les radiographies abdominales confirment une obstruction du petit intestin.  Il me faudra l'opérer dans quelques heures. Je lui explique donc ce qu'elle doit savoir.  


J'arrive vers seize heures trente au bloc opératoire.  L'anesthésiste m'aborde tout essoufflé:
-Ta patiente a eu des selles cet après-midi!
-Si c'est vrai, nous allons différer l'intervention.


J'annulerai l'opération, en effet.  Peu après, rencontre avec son médecin de famille à l'étage.  Madame Mic Mac est narcodépendante.  Endocet, voilà sa raison de vivre et celle de son mari.  L'un et l'autre se volent mutuellement leurs Endocets!  L'énigme semble vouloir se résoudre...  Il peut s'agir d'une pseudo obstruction intestinale causée par cette narcomanie.  Nous verrons...


En attendant, je l'ai échappé belle.  J'aurais très bien pu ouvrir ce ventre pour rien.  Nous verrons demain...


Delhorno 







mardi 10 avril 2012

VITALITÉ VI: LUNDI DE PÂQUES

Monsieur Teebow a été transféré à Georges Dumont ce matin.  J'ai bien hâte de voir comment cette saga va se terminer.


Appendicite aigue sur l'heure du souper.  Un gars de mon âge, sexagénaire avancé.  L'ai opéré par laparoscopie, c'est-à-dire avec des petits trous de douze et cinq millimètres dans la paroi abdominale.  Intervention frisant la perfection, ce qui m'a rempli d'aise.  On craint toujours en vieillissant de perdre ou d'avoir perdu la main.


J'ai connu un ophtalmologue néoseptuagénaire  qui tremblait comme une feuille animée par un zéphyr en opérant ses cataractes.  Son manège a duré quelques années...  Les infirmières ne pouvaient croire ce qu'elles voyaient.  Il était le seul à ne pas s'en apercevoir.


Cet autre septuagénaire.  Un otorhinolaryngologiste.  Il avait oublié le nom des antibiotiques et leur dosage!  Il prescrivait donc: «même antibiotique, mêmes doses.»  Ses collègues venaient donc à sa rescousse pour sauver la face...  et la mise.


Un chirurgien digestif.  Il avait été la «star» de son hôpital.  Travaillait encore à 72 ans, ce qui était fort admirable...  sauf que personne ne pouvait lui parler après sept heures le soir.  Ce sont ses confrères plus jeunes qui devaient prendre soin de ses malades et de leurs complications entre sept heures le soir et huit heures du matin.  Lui ne semblait se soucier de l'incongruité de la situation.


Je te recopie, Gibus, le commentaire de De Gaulle:



La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s'identifier avec le naufrage de la France."



Delhorno






  

dimanche 8 avril 2012

VITALITÉ V: L'INÉLÉGANCE EST ASEXUÉE

Pâques.  Un grand jour pour tous ceux qui comme moi ont grandi dans le catholicisme. Il neige et mouillasse sur la baie des Chaleurs aujourd'hui. 
J'ai dû me rendre à la salle des urgences cette nuit.  Deux heures du matin.  La dame avait mal au ventre depuis plus de 24 heures; l'urgentologue craignait un drame majeur.  Il avait tort.  J'ai requis qu'on observât la malade au cours des prochaines quarante-huit heures.  N'ai pu me rendormir au retour dans ma suite du Super8.  Ce qui fait que je dormais encore à neuf heures trente ce matin quand l'infirmière de monsieur Teebow m'a appelé.
Monsieur Teebow, c'est cet octogénaire dont je t'ai parlé il y a quelques jours, Gibus.  Il a encore saigné de son gros intestin durant la nuit.  Il semble bien qu'il saigne à longueur de journée...
On l'avait hospitalisé en février pour le même problème.  Tout avait été mis en oeuvre.  Pas de diagnostic définitif.  En clair, on n'avait pas pu déterminer le site hémorragique.  

-Monsieur Teebow, veuillez vous attendre à ce que je vous envoie à l'Hôpital Georges Dumont de Moncton demain, si le saignement ne s'arrête pas.  Vous représentez un risque chirurgical important et je ne crois pas être en mesure de vous assurer, sous mon égide et celle de cet hôpital, les meilleurs soins.

Il était bien d'accord.  Son problème ne s'était pas réglé sur plus de quatorze mois.  Fort inquiet,  peur de trépasser, sans doute...

-J'aimerais parler à la gastroentérologue de garde, madame, je suis le chirurgien Delhorno, «locus tenens» à l'hôpital de Campbellton.

-Bonjour!  Ici docteur Ontivéra,  je vous écoute.

-J'ai sous mes soins cet octogénaire qui saigne du gros intestin et qui va nécessiter des soins ultraspécialisés que nous  pouvons difficilement offrir ici.  Je crois que mon patient serait mieux traité chez vous et j'aimerais vous le transférer.

En quarante ans de pratique médicale, j'en ai vu de toutes les couleurs.  Des brillants et des cons, des magnanimes et des pusillanimes, des avares et des prodigues, des menteurs et des véraces, bref, à peu près toute la prodigieuse distribution de la Comédie Humaine.  La gastroentérologue Ontivéra ne voulait pas prendre charge de mon patient.  Elle allégua qu'il saignait de ses hémorroïdes; je lui dis que non, que j'avais vérifié ça.  Elle rétorqua alors qu'il n'avait pas assez saigné; je lui dis qu'il avait déjà reçu cinq culots globulaires et qu'il était préférable d'effectuer le transfert dans de bonnes conditions plutôt que dans la misère.  Elle précisa qu'eux, à Moncton, ne faisaient que les urgences durant cette grande fin de semaine; je dus lui rappeler que si ceci n'était pas une urgence, il nous faudrait reconsidérer la notion d'urgence!  Elle confessa finalement que sa garde se terminait mardi matin et que je pourrais appeler son successeur mardi matin.

En fait, elle ne voulait pas s'occuper du patient, sans avoir le courage d'explicitement me l'affirmer.  Je mis fin à la conversation en la remerciant de son aide...  Encore une fois, j'avais eu affaire à un docteur «universitaire» inélégant, qui sans doute avait mal compris sa raison d'être dans la galère médicale.   

Je te le dis et te l'affirme, Gibus, l'inélégance a ses serviteurs partout: chez les femmes comme chez les hommes, chez les pots de terre comme chez les pots de fer, chez le rat de la ville comme chez celui de la campagne. 

Addendum
Quelques heures plus tard, je rejoindrai le chirurgien digestif de garde dans le même hôpital.  Tout sera réglé en moins de trois minutes.  Monsieur Teebow avait besoin de tests et de soins sophistiqués, indisponibles à Campbellton, je pourrais le transférer dès que possible.  

Delhorno
P.-S.  Aucun nom propre n'est véridique           

   

VITALITÉ IV: QUEL COUSSIN SOCIAL!

Samedi matin à Campbellton.  Bon Dieu qu'il fait froid sur les rives de la Restigouche!  L'air marin pince mes chairs avec une agressivité dont je me demande si elle est n'est pas vengeresse.  Je ne fais pas cachette en effet de mes préférences pour l'air marin de Puerto Plata.


Mon patient vedette, aujourd'hui, s'appelle Jean-Yves Blanchard.  C'est un «nom de plume», évidemment, cher Gibus.  A été opéré par l'un des deux chirurgiens de l'hôpital il y a quelques jours.  On a pansé son ventre avec des bandes collantes qui se nomment ELASTOPLAST.  Hier soir, appel plus ou moins urgent de l'infirmière au chevet.  L'Elastoplast lui fait mal.  La soeur de monsieur Blanchard est infirmière et exige que je me rende au chevet.  Je m'exécute donc et observe, après soulèvement  partiel du pansement, que le patient est allergique à l'Elastoplast et que la peau collée à l'Elastoplast s'arrache du derme sous-jacent.  J'ordonne donc qu'on enlève la pellicule collante, qu'on place sur les lésions un pansement graisseux et j'explique le tout à la soeur infirmière.


Ce matin, la situation semble contrôlée.  Les exulcérations cutanées ont commencé à sécher et monsieur Blanchard se dit prêt à retourner chez lui.  J'autorise donc son départ.  Il fera enlever ses agrafes au dispensaire de Dalhousie et s'y rendra quotidiennement faire changer son pansement.  Je quitte l'hôpital, traverse la Restigouche sur le pont vert et m'attable au restaurant «Chez Claudine».  Un de mes plaisirs: lire le Journal de Québec en mangeant des crêpes au sirop d'érable.


Plaisir de courte durée!  On m'appelle tout de suite.  La famille de monsieur Blanchard vient d'arriver.  Ils ont dit à l'infirmière:
-Jean-Yves n'a pas d'auto; il lui sera impossible de se rendre à Dalhousie tous les jours faire changer son pansement.  Il lui faudrait bénéficier du service «Extramural».
L'infirmière me débite ces informations d'un ton monocorde et rajoute:
-Allez-vous revenir à l'hôpital avant ou après le souper?  Car, pour ce qui touche le service Extramural, le médecin doit remplir le formulaire AD HOC.  
En réalité, le AD HOC est de mon crû, souvenir inaltérable de mes six années d'apprentissage de la langue latine.  J'acquiesce,  je retournerai à l'hôpital remplir le formulaire!  L'infirmière est tout rouge à mon arrivée, elle se sent coupable.  
-Je suis désolée, docteur Delhorno, le patient ne nous a jamais dit qu'il n'a pas d'auto et ne peut se rendre à la clinique de Dalhousie, mozusse!  Si seulement il nous l'avait dit à temps!


Je remplirai consciencieusement l'insignifiant formulaire, non sans cogiter...  Ce service Extramural, ce sont à proprement parler des infirmières qui vont au chevet des malades avec leur auto; la dame, à partir de Dalhousie, conduira une quinzaine de minutes pour se rendre à Balmoral.  L'auto, l'essence, l'infirmière, les pansements, tout ça sera défrayé par l'ensemble des payeurs de taxes.  Quel merveilleux coussin social! 


Delhorno   




vendredi 6 avril 2012

VITALITÉ III: UN PEU DE SÉGRÉGATION

Arrivé de bonne heure à l'hôpital ce matin.  En raison de cet octogénaire des soins intensifs qui saignait de son gros intestin.  Trois épisodes hémorragiques au cours de la nuit!  Il y a ce test de médecine nucléaire qui permet souvent d'identifier le site du saignement...  «Scintigramme abdominal avec globules rouges marqués.»  Ça ne se fait qu'à Bathurst, à une heure d'ici.

L'infirmière me dit qu'en raison de l'origine québécoise du patient il me faudra l'envoyer à Rimouski, à deux heures d'ici, plutôt qu'à Bathurst.  Mon patient a quatre-vingt ans...  J'appelle tout de même Bathurst.  La technicienne me répond qu'elle va accepter le patient, mais que je pourrais avoir un problème avec l'ambulance, qu'il me faudra probablement quérir une ambulance québécoise, étant donné que mon patient réside sur la berge québécoise de la rivière Restigouche.  L'infirmière, la même, surenchérit: les ambulances néo-brunswickoises ne transportent pas les malades québécois!  Je lui suggère doucement d'essayer de régler ce «problemito», comme disent mes amis dominicains.  Il s'avérera que sa patronne autorisera l'utilisation d'une ambulance du Nouveau-Brunswick pour transporter à Bathurst le patient québécois!  Y en pas de facile, comme dirait Piton Ruel.

J'ai terminé ma tournée au petit trot.  L'une de mes patientes était affublée, comme d'un chapeau pas regardable, du prénom de SEGUNDA.  Je n'ai pu m'empêcher d'éclater de rire en lui demandant de quelle folie des nombres, pour ne pas dire des grandeurs, avait été atteinte sa mère en lui choisissant un tel prénom.  J'avais conclu rapidement que Segunda était la deuxième des enfants et que le plus vieux s'appelait Primero...  J'avais tort.  La soeur de la mère était nonne et avait choisi le nom professionnel de soeur Santa Segunda, d'où originait le prénom de ma patiente.  Comme dirait DD, on se fait du fun avec pas grand chose.

La dernière patiente était une Laurencelle! Quel beau nom de famille! me dis-je.  Première fois de ma vie que j'entendais ce vocable.  
-Est-ce un nom acadien?  lui demandai-je
-Pas du tout.  Ma mère est gaspésienne.

Zut!  Elle n'avait pas répondu à ma question.  Elle tenait son nom de famille de son père, non?  De fil en aiguille, j'ai découvert par la suite que Joseph Laurencelle, originaire d'Argenta en Normandie,  était arrivé au Canada dans la deuxième moitié du 19e siècle.  A 48 ans, il avait convolé en justes noces avec une Perreault âgée de 19 ans!  Et ce, à l'église  Notre-Dame de Québec.   «Une union de trop tôt avec trop tard», ainsi que l'a écrit Victor Hugo.   

Delhorno 


VITALITÉ II: OCTOGÉNAIRES

J'ai dormi tout l'avant-midi, dans les bras de Dame Imovane.  Rien de tel qu'un bon somnifère pour vous replacer le génie.  


Changement majeur au vestiaire du bloc opératoire: plus besoin de clef!  La carte à puce universelle y donne accès maintenant.  On a déplacé le casier des chirurgiens-remplaçants, qu'on appelle ici des «locum», à la suite de l'expression latine «locum tenens», laquelle est surtout employée chez les anglophones.  Une affiche écrite à la main sur mon casier: SPARE.  Encore là, il faut savoir un peu d'anglais.  Un «spare», en bon français, c'est «une roue de secours».  Je me dis qu'on m'a très bien fiché, une roue de secours, c'est ce que je suis, effectivement, à Campbellton. 


Trois consultations à l'étage aujourd'hui.  Deux octogénaires. L'un en perte d'autonomie, ne parlant ni n'avalant ni ne marchant; son médecin insiste qu'on lui installe une sonde stomacale à travers la paroi abdominale antérieure pour qu'on puisse le nourrir artificiellement.  Je me dis que ce monsieur, à proprement parler, a cessé de vivre et que ses médecins ne devraient pas prolonger son attente sur les berges du Styx...  Il semble que la famille insiste pour que tout soit tenté.  L'autre, octogénaire lui aussi, saigne de son gros intestin.  Il ne paraît pas ses quatre-vingt années, discute comme un quinquagénaire.  A conduit de la machinerie lourde toute sa vie.  Sa femme dit que la seule chose qu'il conduit maintenant, c'est la «pitonneuse» de la télévision.  Il rit de bon coeur.  Je lui dis que son saignement devrait s'arrêter tout seul.  Le troisième patient vient de Nouvelle, un bled localisé sur la rive nord de la baie des Chaleurs, à trente minutes d'ici en auto.  Diarrhée incessante depuis l'aube.  Ne me paraît pas mal en point, pourtant.  Pesait trois cent vingt-cinq livres.  En pèse moins de deux cent à l'heure qu'il est.  Et il maigrit encore.  N'avait pas le choix.  Maux de dos.


Voilà.  Voilà ma journée.  Ce soir, je regarderai le Canadien perdre un autre match en Caroline...


Delhorno           

jeudi 5 avril 2012

VITALITÉ I: VITALITÉ OU VITALITY?

VI-TA-LI-TÉ! C'est le vocable dont s'est affublé l'organisme qui chapeaute la distribution des soins de santé et de services sociaux dans la région du nord-ouest du Nouveau-Brunswick.  L'équivalent de nos Agences québécoises.  Peux-tu croire, Gibus, appeler un réseau de santé VITALITÉ?  Ça n'aurait pu arriver ainsi chez nous, au Saguenay, au Québec... Nos fonctionnaires auraient concocté un sigle inodore, fade et incolore, de type CRSSS, CLSC, UQAC OU FADOQ.  Nous sommes ici au Nouveau-Brunswick, ne l'oublie pas, province bilingue.  Il faut cogiter de part et d'autre de la clôture et finalement s'asseoir dessus! Léger biais, toutefois: je me rends compte qu'on écrit VITALITÉ à la française sur les  deux terroirs, en dépit de la clôture!  Le terroir anglo aura-t-il la même vitalité sans son Y?  

Moi, j'aime bien les noms de personnes pour immortaliser l'immortel.  Ou encore ceux bourrés d'histoire, de faits illustres, de longueur de temps.  Le panache, voilà ce qui me plaît, ce qui m'allume:  HÔTEL-DIEU DE PARIS, SORBONNE, INSTITUT PASTEUR, CHICOUTIMI, TIKUAPE, COUCHEPAGANICHE.  Je t'ai fait un copier-coller de ce que rapporte Google à propos de ce duo: VITALITÉ-VITALITY. 


vi·tal·i·ty  (v-tl-t)
n. pl. vi·tal·i·ties
1. The capacity to live, grow, or develop: plants that lost their vitality when badly pruned.
2. Physical or intellectual vigor; energy. See Synonyms at vigor.
3. The characteristic, principle, or force that distinguishes living things from nonliving things.
4. Power to survive: the vitality of an old tradition.



VITALITÉ


vitalité (n.f.)

1.caractère de ce qui manifeste de la vie; dynamisme, énergie.

vitalité (n.)

1.manière de parler avec vivacité, enthousiasme, imagination.





A tout événement, je suis arrivé hier soir, 4 avril 2012, à Campbellton.  Air Jazz, Montréal-Bathurst.  Vol sans histoire.  Une Chevrolet Impala m'attendait sur le stationnement.  Impala.  Depuis que National Geographic nous emmène dans les grandes plaines africaines,  je sais ce qu'est un impala.  J'ai peine à imaginer les liens que GM a pu établir entre son  Chevrolet Impala et le ruminant des plaines du Serengeti.

VITALITÉ me loge au Super8 de Campbellton.  Je ne fais point pitié.  Mais il me faut avouer que leurs téléviseurs de 20 pouces, épais comme les anciennes boîtes à beurre, gâchent mon plaisir de regarder les Canadiens de Montréal et le Masters à Augusta.  J'aurai sans doute le temps de mourir avant que les proprios n'achètent les écrans plats samsungniens de 55 pouces.

Voilà.  Le Canadien vient de battre Guy Boucher.  Je m'endors.  Ma garde commence demain matin à 8 heures.

Delhorno