lundi 26 octobre 2009

L'EPI DE MAÏS

A la télé hier soir. Un reportage sur le peuple Maya et l'extinction de leur civilisation qui fut brillante. Ils découvrirent le zéro! Tikal. Un tas de souvenirs me sont revenus. Ce séjour de trois semaines, il y a maintenant longtemps, à Antigua de Guatemala. Concocté par ma femme et par ma fille. Me faire apprendre un peu d'Espagnol en "m'immergeant" dans une famille.

En fait, j'ai appris bien peu d'espagnol chez Juanita, laquelle était bien plus intéressée par le revenu d'appoint que ses étudiants représentaient. Améliorer notre espagnol était sa dernière préoccupation... Nourriture réduite à sa plus simple expression: ai maigri de quinze livres en trois semaines.

Les quatre premiers mots espagnols que j'ai compris sans l'aide d'un traducteur ou d'un dictionnaire furent: PUEDE SER QUE SI, PUEDO SER QUE NO. PEUT-ETRE QUE OUI, PEUT-ETRE QUE NON. Tout un plaisir quand mon cerveau "alluma", ce soir-là, alors que nous étions en train de manger.

Le jour, j'allais à l'école. Une école en plein air, pour ainsi dire. Il faisait tellement beau. Enseignement privé, un professeur, un élève. Mon professeur s'appelait Rigoberto. M'enseigna le BABA de l'espagnol. A la fin, je pouvais parler un peu, comprendre un peu.

Au Guatemala, il y a trois classes de gens: les blancs, qui se marient entre eux depuis Colomb et Cortez et sont bourrés de fric; les métis, l'immense cohorte des humbles qui assurent l'essentiel et rendent les blancs encore plus riches; les Mayas, qui mènent une vie en marge "y son pobres". Pour 99% des Guatémaltèques, il n'y a aucun "coussin social". Pas de BS, pas d'assurance-salaire, pas d'assurance-santé, pas de régime des rentes, pas de pension de vieillesse, pas de logements sociaux. Une nuit de janvier, peu après mon arrivée, où le mercure descendit trop bas, on compta cinq décès sur la Plaza Major: cinq Mayas morts de froid...

Les Mayas cultivent le café et le maïs dans les montagnes ou errent dans les villes à quémander. Au fil des ans, ils ont déforesté leurs montagnes. Les femmes mayas portent le costume traditionnel et leur dernier-né sur leur dos. Elles marchent à la queue-leu-leu sur les trottoirs, vont laver leur linge au lavoir municipal, essaient de vendre leur artisanat aux gringos. Elles éclataient de rire quand je tentais de leur parler. Ont-elles jamais décelé dans mon regard tout le respect que je leur vouais? Je pensais à leurs lointains ancêtres qui traversèrent le détroit de Behring lors de la dernière glaciation et, de peine et de misère, descendirent le long des côtes américaines du Pacifique.

A en juger à partir de l'effort qu'elle y mettait, ma logeuse ne tenait que fort peu à ce que j'apprenne beaucoup d'espagnol... Sa grande hantise? Que je la quitte pour une autre famille. Lire "manque à gagner". Je n'y ai pas connu la cuisine guatémaltèque, car tout, à table, était réduit à sa plus simple expression. Sauf une fois, un midi, alors qu'elle était allée au marché. Cet épi de blé d'Inde. Je ne m'y attendais pas. Je n'en avais jamais vu comme celui-là. Un gros épi joufflu, des grains énormes, de couleur jaune-foncé. On aurait dit des grains d'or pur. Dieu qu'il était bon! Je ne pus en manger qu'un, car il n'y en avait qu'un par étudiant, et je n'en revis plus jamais les trois semaines suivantes. Je me dis, quand j'y repense, que je devais avoir trop faim, qu'il est impossible qu'un simple épi de maïs vous marque ainsi jusqu'à la fin de votre existence, que je devais être obnubilé par l'histoire maya (le maïs fut, a été, est et sera leur grosse affaire)...

Il n'en demeure pas moins que, ces nombreux instants où je pars dans la lune et que me reviennent ces heures guatémaltèques, c'est d'abord à cet épi de maïs que je pense. Ensuite, je revois mon école, où je pus revivre ces heures de ma jeunesse où j'ai été un étudiant heureux. Je me surprends à révérer presque ce vieil Allemand -avait-il un passé hitlérien?- dont je visitai les serres un beau dimanche: il y préservait du néant, venues de tout le Guatémala, des centaines d'espèces d'orchidées, recueillies in extremis par les coupeurs de grands pins des montagnes guatémaltèques. Du respect ensuite, pour ces médecins américains du Minnesota qui se font un devoir, chaque mois de février, de venir en Amérique Centrale, un gros avion militaire rempli de tout ce qu'il faut, pour soigner, traiter, opérer, les Mayas et Guatémaltèques que Dieu a oubliés. Du mépris finalement, quoique je ne l'aurais pas voulu... Du mépris pour ces ploutocrates blancs d'Amérique Centrale qui n'ont pas su organiser leurs pays justement.

Delhorno

samedi 17 octobre 2009

ROMEO

Tous sont encore vivants. Je parle des acteurs de mon paragraphe d'aujourd'hui. Je crois pouvoir divulguer des noms cependant. Car je serais fort surpris qu'ils en viennent à me lire. Celui qui m'a raconté cette histoire s'appelle Raymond-Marie. Il a 67 ans. Bûcheron depuis l'âge de 14 ans. A gagné sa vie au bout de ses bras toutes ces années. A travers épinettes, sapins, cèdres, merisiers et bouleaux. Me faut-il ajouter que Raymond-Marie fait partie du groupuscule de roseaux pensants qui ont gagné mon respect pour le restant de leurs jours et des miens?

Chaque automne, depuis maintenant trente années, il apparait soudain au volant de la camionnette de son beau-frère; il y a empilé deux cordes de rondins de bouleau blanc, mon bois de foyer pour l'hiver. Il ne vient jamais seul. Le plus souvent sa fille Olida et son gendre l'accompagnent. Hier, ce fut spécial: Raymond-Marie a amené Pâquerette, sa femme des dernières quarante années. Ensemble, ils avaient d'abord chargé la benne du picope à Sainte-Rose-du-Nord puis, tout doucement, car le picope était surchargé, ils avaient roulé les quarante kilomètres qui séparent Sainte-Rose de Chicoutimi. Tout ça pour cent dollars, Raymond n'ayant jamais tenu compte de l'inflation depuis le tout début. Je fus surpris de sa venue, car il y avait dérogation des habitudes de Raymond-Marie cette année. Il tardait. Au point que nous nous étions demandé s'il n'avait point été hospitalisé. Je lui montrai derechef mon contentement.

Lourdement, je me grimpai sur la boîte du picope et me mis à relayer les rondins à Pâquerette pour qu'elle les cordât au bout du camion. La manoeuvre allait bon train. Raymond me racontait les grosses affaires de sa vie: le divorce de sa fille, l'évolution de sa petite-fille, son poignet cassé, les problèmes de l'industrie du bois. Je ne lui cachai point mon intention de quitter le Saguenay l'année qui suivrait.

En une demi-heure, tout fut terminé. Deux belles cordes de bois de bouleau sec. Je les envelopperais d'une toile quand ils seraient partis. Raymond s'alluma une cigarette puis, le coude appuyé sur le rebord de la benne, reprit son monologue. Pâquerette, par intermittence, ajoutait un commentaire. La fin de la visite arrivait... J'embrassai Pâquerette et serrai la main de Raymond. Je ne manquai point de lui réitérer ma satisfaction; je lui décrivis la jalousie de plusieurs voisins et parents de me voir ainsi doté, à ce prix, de deux belles cordes de bois de Sainte-Rose-du-Nord. Il allait partir quand... il ajouta ceci:
-Claude, j'ai une bonne histoire à te raconter.
-Vas-y, Raymond, je t'écoute.
Il ressortit son paquet de cigarettes, déplia l'enveloppe de papier-aluminium, choisit une cigarette comme si elle allait lui permettre de me raconter son histoire et, finalement, se ralluma. Puis, il se mit à parler.
Moi, je m'attendais à quelque chose de très spécial, d'ultrapersonnel ou important...

Roméo Boulianne vivait à Sainte-Rose depuis le début de sa vie, il y a 82 ans. Tout le monde le connaissait dans le patelin, car tout le monde connaît tout le monde à Sainte-Rose. Raymond n'y manquait point. Il le connaissait depuis son adolescence. Roméo était surtout connu pour son amour de l'alcool. Depuis quelques années, cependant, Roméo avait cessé de boire; il en était très fier. Il vivait sa petite vie d'octogénaire.

La première semaine d'octobre, Raymond aperçut la silhouette de Roméo sur le trottoir de la Rue Principale. Roméo titubait et son haleine puait le St-Georges.
-Coudon, Roméo, il me semblait que tu avais cessé de prendre un coup! As-tu recommencé?
-Si tu avais vu ce que j'ai vu hier, Raymond Grenon, tu aurais recommencé à prendre un coup toi aussi.
-Ben, voyons donc, que s'est-il passé là?
-J'étais tranquillement assis dans ma cuisine, à fumer et penser, quand on cogna à la porte. J'allai ouvrir. Une femme de 55 ans. Elle requit ma permission pour entrer. Je la priai de le faire. Nous nous assoyâmes.
-Tu es bien Roméo Boulianne?
-Oui. C'est moi.
-Eh bien... Je suis ta fille!

Delhorno

jeudi 15 octobre 2009

L'ANABASE DE XENOPHON

Le géant blanc s'enfila dans la rade de Katakolon avec la prudence et la ruse d'un gros matou. L'abordage final fut à ce point délicat que bien des passagers ne se rendirent pas compte que le mastodonte avait cessé de bouger.

Katakolon est un port minuscule du Péloponnèse qui eut son importance durant la Deuxième Grande Guerre. Il est devenu un hameau dont l'humilité contraste avec l'énormité des paquebots qui viennent s'y accoster. Habité par seulement quelques centaines de roseaux pensants. Plusieurs belles grandes plages peu fréquentées, plus au nord, m'a-t-on dit. L'intérêt majeur de Katacolon se situe une vingtaine de minutes plus loin: Olympie. Le site des jeux olympiques anciens. Les archéologues y ont mis à jour, il y a plusieurs années de cela, les vestiges du lieu sacré où, tous les quatre ans, les Grecs de l'univers connu -ils cessaient de s'entre-guerroyer- se réunissaient pour lutter, lancer, courir et fêter.

Marie-Hélène. Notre guide. Archéologue par surcroît. Six ans d'études universitaires. Guide touristique: une affaire sérieuse en Grèce. Car les blocs de pierre cachent dans leur désordre une longue histoire qui s'étale sur trois millénaires.

Elle nous montra les sites majeurs: le temple de Zeus, oui, celui des sept merveilles du monde antique; le temple de Hera; la palestre et le gymnase; les cinq anneaux qui, à cette époque, avaient été gravés dans la pierre pour célébrer un athlète cinq fois gagnant; l'endroit où, chaque quatre ans, on ravive la flamme des jeux de Coubertin; le stade, finalement, majestueux, d'une longueur de six cent pieds d'Hercule, le premier champion olympique.

Le moment vint de retourner au bateau. Cheminant en compagnie de Marie-Hélène, que je n'avais point délaissée de toute la visite, -car il faut côtoyer l'excellence lorsqu'elle se présente-, je lui demandai si elle faisait encore des recherches sur le terrain. Elle nous avait confié, en effet, qu'il y avait 800 sites archélogiques actifs en Grèce, ajoutant que l'argent manquait toujours pour poursuivre les fouilles. Elle me répondit que ses projets de recherche actuels consistaient à scruter certains textes anciens, une façon d'aiguiller les recherches sur le terrain.

-Vous devez sans doute lire le vieux grec?

-Effectivement.

Elle se mit à réciter les premiers vers de l'Iliade et de l'Odyssée.

-Avez-vous lu LA RETRAITE DES DIX MILLE, L'ANABASE? Le reportage célèbre de Xénophon?

Oui, elle l'avait lu...

Voilà. J'étais finalement en paix avec mon passé helléniste et mes vieux professeurs de grec ancien, Clément-Jacques, l'abbé Angers et l'abbé Villeneuve, lesquels m'avaient fait traduire certains passages de l'ANABASE, quand j'avais 14, 15 et 17 ans. Des heures sacrifiées sur ce petit bureau gris que Mutt avait retapé et repeint, pour faciliter mes études. Je n'avais jamais oublié. Plus personne, depuis, n'avait pu me parler de l'ANABASE, de XENOPHON, le premier des journalistes, des deux cris de la clameur grecque: THALASSA! THALASSA!

L'autobus s'arrêta sur l'artère principale d'Olympie. Il fallait encourager l'économie locale... J'allai, à proximité, siroter un café, tout à ma réflexion. Bon Dieu que le soleil de Zeus et Hera était bon!

Le village d'Olympie est un bled lui aussi. Ne s'est développé qu'à partir du moment où les archéologues ont mis à nu les pierres célèbres. Ne s'active que l'été, quand les touristes du monde entier s'amènent admirer ce qui reste de ce passé grandiose.

Delhorno

mardi 15 septembre 2009

L'INEXORABLE

Les gars de Dolbeau-Mistassini ont manifesté hier. Le maire Simard aboyait au micro:
-Ils ne fermeront pas notre usine. Nous allons la chauffer cet hiver pour qu'elle raparte au printemps.
Compréhensible. Des pères de famille. Quelques centaines. Ils devront se trouver un autre emploi, déménager ailleurs probablement. Dans ces temps-là, on se bat, du meilleur de soi-même. Si je me replace en 1960, alors que Mutt travaillait à la Consol, que se serait-il passé si l'usine port-alfrédienne avait fermé ses portes? Mutt n'avait pas d'études, n'avait pas de métier. Comment nous en serions-nous sortis? Dolbeau-Mistassini vit du papier-journal depuis trois générations... Il n'y a rien d'autre, là, pour faire vivre du monde. Les briques "Alba"? Peu d'employés. Je ne sais même pas si l'usine existe encore. La compétition est vive dans ce domaine...

Que faire? Les Dolmissois auront beau s'agiter éperdument, le maire aboyer à tous les vents, la demande pour le papier-journal ne se mettra pas pour autant à augmenter de façon explosive! Je n'ai pas acheté La Presse de Montréal depuis belle lurette! Je la lis sur mon ordinateur. Je ne dois pas être le seul qui se conduit ainsi. Et, je ne suis pas mal intentionné! Je n'ai pas renouvelé mon abonnement au journal Les Affaires, car je puis lire les mêmes nouvelles sans papier!


Le problème dolmissois m'apparaît insoluble et le sort de ces habitants du Haut-du-Lac inexorable: les prochaines années seront lugubres.


Delhorno

samedi 12 septembre 2009

ONZE SEPTEMBRE

Je m'en souviens. J'ai vu en direct le deuxième impact, celui qui abattit la deuxième tour. Où étais-je?
Chicoutimi. Palais de Justice. Commission des Lésions Professionnelles, dont j'étais l'assesseur médical. Nous siégions. La première audition du matin venait de s'achever. Quelqu'un entra et s'écria qu'un avion venait de se frapper contre un gratte-ciel newyokais. Le Commissaire alluma le téléviseur. Nous vîmes aussitôt le deuxième avion atteindre la seconde tour. Sans rien n'y comprendre.

Nos auditions se poursuivirent.

Et s'en suivirent les pleurs, les enquêtes, les explications, les réactions. Puis, les ajustements.

Je déteste l'Islam, ses mollahs, ses ayatollahs. J'abhorre cet Islam qui traite ses femmes comme de la merde, qui méprise la personne et la vie des autres, qui coupe des mains et des oreilles. Quand, à YUL ou à POP, je dois enlever mes souliers et ma ceinture afin de parcourir "les cieux d'ailleurs", je me surprends à penser, réflexe de Pavlov: "Crisses d'Arabes".

Delhorno

lundi 7 septembre 2009

EDIMBOURG

Il y fait froid ce dernier vendredi d'août 2009. Notre dernier jour en Ecosse. Le soleil semble hésiter sur le pas de la porte, timidement, comme si on l'avait déjà éconduit. Pas facile de trouver un taxi pour retourner à l'hôtel Murrayfield. J'arpente le boulevard, retourne sur les rues transversales. En voilà un, finalement! J'embarque allègrement. Un sexagénaire grisonnant, dont le langage n'a rien de celui qu'on connaît aux chauffeurs de taxi...
-How is the economy here? lui demandai-je, histoire de prendre le pouls du pays.
-Fair, me répond-il, are you German?
-No, I am Canadian, French Canadian, from Quebec.
-My son has just come back from Quebec as a matter of fact.
-Is that right?
-For sure. He worked in the north, doing geological surveys for gold and uranium. He worked for a company based in a small city there...
-Do you remember which city?
-Chi-cou-ti-mi, I think.
-Well, I am myself from Chicoutimi. I studied there and worked forty years as a surgeon.

Le monde est devenu petit. Comme ils disent: It's a small world! Un après-midi anonyme, en plein coeur d'Edimbourg! Peux-tu croire, lecteur? Le chauffeur me croyait allemand en raison de mon accent.

Delhorno

dimanche 2 août 2009

LE VIEUX PIANISTE

Je m'étais juré de voir la Volga avant que tout ne s'achève...

Les rêves n'ont souvent besoin que d'un peu de hasard pour se réaliser... Il m'avait semblé qu'on pouvait aller de Moscou à Saint-Petersbourg par bateau. Quand Francine «Tournesol» Nadeau  m'offrit le catalogue des croisières sur la Volga, je n'en crus pas mes yeux! Les Russes offraient le voyage sur le même type de bateaux fluviaux qui avaient émerveillé ma jeunesse baieriveraine: identiques au Tadoussac et au Saint-Laurent! J'achetai l'excursion sur-le-champ. Pour deux. J'avais en effet promis à ma fille de l'y emmener.

Nous voici donc à Moscou ce début juin 2007. Notre bateau blanc s'appelle le LEONID SOBOLEV. Il est accosté dans cette gare maritime du nord moscovite à quelques trente minutes du centre. Cette soirée-là était libre.
-Nous pourrions aller dîner à l'Hôtel Metropol, dans cet illustre restaurant que nous vante le Guide Voir. Qu'en dis-tu, Annie?

Nous ne savions pas comment nous y rendre... On nous conseilla de faire de l'auto-stop: il s'agissait de nous installer sur le bord de l'autoroute menant à Moscou. Un quidam russe s'arrêterait sans doute pour nous prendre: ça nous coûterait beaucoup moins cher qu'en taxi.
Allez donc parler le russe sur le bord d'une autoroute! Le premier couple russe que nous aperçûmes en allant à l'autoroute ne comprenait rien de l'anglais, ni du français, ni de l'espagnol. Nous fûmes beaucoup plus chanceux avec le deuxième: l'homme baragouinait l'anglais et saisit tout de suite le motif de notre approche. Lui et sa blonde s'installèrent avec nous sur le bord de l'autoroute et se mirent à héler les conducteurs. L'affaire fut réglée très rapidement: un quidam s'arrêta aussitôt, il lui fut expliqué ce que nous désirions, il acquiesça. En moins d'une demi-heure nous pouvions apercevoir l'entrée de l'Hôtel Metropol, une facture de quelques roubles.

Ma fille était belle comme Lara Antipova...

A notre grand désarroi, le fameux restaurant avait été réservé pour une noce. Impossible d'y manger. Nous dûmes nous rabattre dans cet autre, décoration du début du siècle, beaucoup moins pittoresque. Mais une surprise nous attendait...

Je choisis le boeuf Stroganoff, évidemment. Avec un vin rouge français. Ce n'était pas donné. Mais les Russes ne font pas de bon vin.

C'est alors qu'il toucha ses premiers accords! Un vieil homme. Crâne dégarni. Cheveux blancs comme neige au-dessus des oreilles et sur le haut du cou. Un habit noir qui avait sans doute connu de meilleures soirées. Le dos voûté. Il marchait en traînant les pieds... L'observateur impénitent pouvait sans doute se demander si ce vieil homme savait jouer du piano. Je me dis qu'il n'était pas russe, qu'il devait être un juif moscovite, oublié par le temps. Je l'admirai de venir ainsi gagner sa pitance, à son âge, dans une salle à manger d'un autre temps.

Peu de gens dans cette place... Cinq ou six beautés russes, là-bas, au fond. Que pouvaient-elles faire là, un lundi soir, dans ce vieux restaurant, seules, trop belles? Annie pensa qu'elles étaient des prostituées.

Le miracle se produisit. Le vieux pianiste était un jazzman. Il jouait sans effort aucun, sans fausse note, les airs  que je connaissais depuis belle lurette. Divinement. L'agileté de ses mains et de ses doigts était inversement proportionnelle à l'allure de sa démarche et de tout son corps!

Le dîner passa rapidement, trop rapidement, raccourci par la musique, le vin, l'exotisme moscovite et la conversation. Au dessert, je dis à Annie:
-Connais-tu Petite Fleur? Penses-tu que je pourrais demander au vieux monsieur de nous jouer Petite Fleur?
Elle sortit un stylo de sa bourse et un bout de papier, sur lequel elle écrit à la hâte les mots magiques: Petite Fleur. Le serveur, féru sans doute d'alphabet cyrillique, ne reconnaissait rien du nôtre! Il fit venir un collègue, ils allèrent voir le pianiste, Annie se joignit au groupuscule, le vieil homme fit un signe de la tête. Il avait compris.

Je le sus dès les premières notes. Il avait tout saisi. Je voulais offrir Petite Fleur à ma fille, en cette soirée moscovite, en mémoire de quelqu'une, pour qu'elle n'oubliât jamais. Petite Fleur, c'était la musique de ma mère, début des années cinquante, quand Mutt lui acheta un piano. Sydney Bechet joua cet air à la radio, peu de temps avant sa mort. Lulu pigea aussitôt. Pas besoin de musique en feuille. Elle pouvait même "jazzer" le morceau. C'était un des rares moments de la vie où l'on pouvait apercevoir l'ébauche d'un sourire sur les lèvres "muttiennes".

Nous applaudîmes le vieillard quand, son morceau terminé, il se leva. Je pensais qu'il n'allait que se rafraîchir un peu... Au contraire, je ne le revis point. J'avais voulu le récompenser d'un pourboire.

Il faisait encore clair à onze heures sur la Place Rouge. L'air était frais. Nous la déambulâmes d'un bout à l'autre. Annie était volubile, car heureuse. Des taxis attendaient devant le Metropol. L'un d'entre eux nous ramena à la gare maritime. Le lendemain, ce serait la Volga


Delhorno

dimanche 19 juillet 2009

FRANK McCOURT

La Presse vient d'annoncer son décès. Et cela m'importe. Laisse-moi, Gibus, te dire pourquoi.

Aéroport de Dorval. 1997 ou 1998. Cette librairie que vous savez, qui a pignon sur rue en face des restaurants. Je me cherche quelque chose à lire. Quelque chose d'original, qui n'a rien à voir avec une biographie de sportif, avec des conseils sur la manière de devenir millionnaire, avec les élucubrations d'un pseudo-philosophe. Pas facile à trouver, ce que je cherche. Rien de bien attirant du côté français. Je me risque chez les Anglos. Ils ont, eux aussi, leurs romans faciles, leurs polars insipides.
C'est à ce moment que je l'ai aperçu: ANGELA'S ASHES. Un petit livre à la facture vieillote. L'auteur? Un professeur d'anglais de New York, d'ascendance irlandaise: Frank McCourt. Le sommaire éveille ma curiosité. McCourt raconte son enfance malheureuse: pauvreté irlandaise, père alcoolique, la petite vie des McCourt à Limerick, une chance, celle d'un GI de l'Oncle Sam.
J'achète le livre et le dévorerai durant ma vacance, ne croyant pas ma chance d'être tombé, encore une fois, par inadvertance, sur un écrivain, un vrai.

Frank McCourt vient de mourir. Mélanome malin métastatique. Soixante-dix-huit ans. TIS et TEACHER MAN: les deux autres bouquins qu'il aura eu le temps d'écrire avant de passer le Styx.
Merci, Frank McCourt! Ta plume et ton passé m'ont procuré des heures de pur bonheur. On a chacun son passé... Et chacun cache dans sa poche-arrière des heures qu'il n'ose pas raconter. ON NE PEUT PAS ETRE HEUREUX TOUT LE TEMPS...

Succès littéraire immense. Prix Pulitzer. Un film. Traduction en vingt-quatre langues. Pas mal pour un sexagénaire retraité. Je t'aurai admiré, Frank.

Delhorno

ON A MARCHÉ SUR LA LUNE

Quarante ans déjà! J'étais étudiant en médecine. Nous étions tous là, dans la salle-télévision attenante à la cuisine. Mutt trônait dans le coin qui faisait face au téléviseur. Assis dans le meilleur fauteuil, lequel lui appartenait en propre. Je crois bien que Lulu ne s'y est jamais assise. Dès que Mutt se pointait dans la salle, pas un enfant ne résistait: il se dépêchait, comme mu par un ressort, d'évacuer le fauteuil.
Nous étions tous là, donc. Mutt n'était pas encore malade. Il fumait des Craven "A". L'alunissage des Américains, c'était la grande affaire de Mutt. Les yeux grand ouverts, il faisait taire l'insolent qui osait un commentaire insignifiant.

L'instant solennel arriva, enfin. On le vit descendre un petit escalier. L'émotion semblait étrangler Mutt. Nous étions muets. C'est l'instant dont je me souviens.

Lit-on Tintin encore aujourd'hui? "ON A MARCHE SUR LA LUNE"... J'étais bien loin de m'imaginer que je verrais ça en temps réel de mon vivant. Oui, l'alunissage du LEM, ce fut la grande affaire de la vie rolandienne avec la traversée de l'Atlantique par le Spirit of St Louis.

Un jour, je demandai à Mutt quel avait été l'événement marquant de sa vie, hormis son mariage, la naissance de ses enfants, le débarquement sur la Lune. Il ne tergiversa point et m'avoua:
-La traversée atlantique du Spirit of St-Louis. Je l'ai suivie à la radio.

Quand on pense queLindberg n'avait pas de radio à bord...

Delhorno

vendredi 5 juin 2009

LE CINQ A SEPT

Campbellton. Juin 2009. J'allais entrer en salle d'opération. Il était en train de griffonner sur un bout de papier. J'étais loin de penser que j'en étais le destinataire. Il me héla, finalement.
-Je t'invite à venir prendre un verre chez moi en fin de journée.
-Ok, je viendrai.
Un gynécologue mexicain. S'était entraîné à Halifax, où il avait rencontré sa femme, une fille de Campbellton. Ils avaient tenté de vivre à Mexico. Sans succès. Elle y était malheureuse et voulait revenir au Nouveau-Brunswick. Il avait cédé. Le bout de papier? Comment me rendre chez lui.

Il m'avait raconté sa petite histoire, un samedi soir où je j'avais dû réopérer une de ses malades. La plaie abdominale s'était déchirée, l'intestin grêle s'apprêtait à sortir du ventre. Il m'avait plu instantanément. Sans doute pour l'espagnol, l'affinité des latins entre eux, mais aussi pour son discours, celui d'un Vrai. Voilà pourquoi j'avais acquiescé à son invitation d'aller chez lui prendre "una cerveza".

Drôle d'assemblée...

D'abord, ce vieux chirurgien retraité, un indien (Inde) recyclé en Ouganda, médecin privé d'Idi Amine Dada; il avait dû s'enfuir des Hauts Plateaux quand le dictateur «prit sa retraite». Put se réanimer ici, en Restigouche, sans sa famille, qui était incapable d'y vivre et s'établit à Toronto, où, pourvoyeur, il combla leurs fins de mois. Un fat, rempli de lui-même. Je lui parlai de cholécystectomie laparoscopique. Il l'avait inventée! Avait découvert aussi l'appendicectomie laparoscopique! Avait amélioré les instruments en compagnie des techniciens des multinationales! Détenteur de tous les records. Cachait son regard derrière des verres fumés.

Deux Hindoux, ensuite. L'un, anesthésiste, natif de Mumbai. "The Slumdog Millionnaire" ne l'intéressait pas, car il avait observé toute cette misère durant sa jeunesse. L'autre? Je n'ai jamais pu retenir son nom. Un point commun? Les deux parlaient un anglais effroyable, corrodé par un accent que je n'avais jamais entendu.

Le gynécologue polonais ensuite. Il ne parlait presque pas. Au point que je me demandai s'il n'était pas sénile. Mais non! Le fat quitta la table à un moment donné, et je saisis ma chance. Une belle histoire. La guerre. Le ghetto de Varsovie. Avait quitté la Pologne et n'était jamais retourné. Quelques années en Angleterre. N'avait jamais pu obtenir un poste de gynécologue officiel: réservé aux sujets de Sa Majesté! C'est ainsi qu'il avait abouti au fond de la baie des Chaleurs. Soixante-neuf ans. Prendrait sa retraite incessamment. Sa femme? Une Québécoise de Matapédia! Sa patrie? Ici, le nord du Nouveau Brunswick.

Les infirmiers acadiens arrivèrent alors. Un peu criards, le sourire et le "chiac" faciles, la bière aussi... Se tenaient ensemble. Donc un cinq à sept constitué de groupuscules ethniques. Le Mexicain trônait, seul, dans le milieu de la place. Il vint me reconduire à mon auto: un heureux téléphone m'avait fourni le prétexte pour évacuer la place. Il me remercia d'être venu.
-I came because I like you, lui dis-je.

Oh! Je le sais très bien. Mon sujet est plutôt terne. Mais, vois-y, lecteur, quelque chose d'autre. La petite vie tranquille entre parlants français s'achève. Redite? Radotage? Cliché? Certes...  Peut-être.  Néanmoins, il demeure qu'en moins de cinquante ans, alors qu'au dernier quart de ma vie, je me rends compte que le monde a bien changé, que parler trois langues ne sera peut-être pas assez, que le tiers de Toronto est constitué d'Hindous et de Pakistanais, sans compter les Tamouls! Ici, au pays des Mic Macs, en moins de deux années, j'ai connu des Canadiens Anglais, des Acadiens, des Québécois, un Mexicain, des Hindous, un Egyptien Palestinien, une Musulmane portant le hijab, un Polonais, des Guinéens, un Terre-Neuvien, des autochtones de Pointe-à-la-Croix, un Français de France émigré à Montréal, un anesthésiste de Dallas, un interniste de Vancouver... J'étais le seul Québécois Francophone de ce cinq à sept. Quand on parle de solitude...

Delhorno

mercredi 20 mai 2009

LE QUART DE VIDANGES

Il fallait d'abord franchir la porte-arrière, car les vidanges, c'était toujours en arrière.   Il était là, à gauche, en sortant. Ne payait pas de mine: rouillé, bosselé, troué, malodorant.   Son passé avait été plus noble: baril d'huile livré à la Consol par une des pétrolières, refilé après usage à l'un de ses employés pour considérations indéterminées.
Par temps froid il n'y avait pas grand problème. Nous sortions rapidement, jetions négligeamment les détritus -nous disions aussi «vidanges» ou «cochonneries»- dans le "quart", replacions aussitôt le couvercle, pour réintégrer prestement la cuisine, car «l'action», c'était dans la cuisine. Aucune odeur, aucune senteur, aucun lixiviat, en raison de la température. Il fallait, chaque semaine, pousser le "quart" d'une manière ou d'une autre à l'endroit où le prendraient les éboueurs. Ceux-ci ne l'avaient pas facile... Le "quart" n'était pas petit! Il fallait qu'ils le soulèvent à deux hommes et le renversent dans la benne du camion de vidanges qui descendait la ruelle.  Ils le replaçaient ensuite à l'endroit où ils l'avaient pris. Il nous fallait le retourner à côté de la porte. Nous étions jeunes, forts comme des boeufs; il nous était facile de gérer tout ça.

Mon sujet intéresse peu, je le sais. Pas très poétique, pas très drôle. C'était la vie quotidienne, la petite vie à Port-Alfred. Nous avons fait ça des années, sans jamais maugréer, c'était ça la vie de famille: mettre le "quart" de vidanges au chemin, c'était les hommes qui faisaient ça.

Epoque révolue... Les gros contenants de métal furent remplacés par de plus légers et de plus petits, de plastic fabriqués.  Le baril d'huile des années cinquante et soixante fait partie des espèces disparues.  Les "contenants" sur roues nous sont tombés du ciel. Il suffit de les pousser sans effort sur le bord de la rue. Le camion passe tous les lundis. L'éboueur s'est travesti en technicien. Deux grands bras métalliques saisissent la poubelle, la renversent dans le compresseur à déchets et la replacent où ils l'ont pris. Le spectacle me fascine! Et ce n'est pas fini! Le terme "détritus" n'a plus son existence propre! On recycle maintenant. Le moindre carton retrouve une espèce de noblesse: il va servir à autre chose! Tout ça en moins de cinquante années.

Delhorno

dimanche 26 avril 2009

CONVERSATION IMPROMPTUE, JAMAIS OUBLIEE

On m'avait invité pour servir de bouche-trou. Plus jeune, j'en aurais été offensé. Mais là j'estimais que j'en avais assez vu dans la vie pour passer à travers cette pseudo-humiliation. Un voyage de pêche, oui! A plus de deux heures au nord de Chicoutimi. L'un des membres du quatuor, un collègue hospitalier par surcroit, s'était trouvé malade à deux jours du départ et m'avait demandé de le remplacer. J'avais accepté volontiers, d'autant plus que la région m'attirait et que je ne l'avais jamais visitée. J'avais aussi pensé qu'à presque soixante ans, les artères coronaires serties de quelques tuteurs, je ne devais pas rater ce qui pouvait s'avérer un de mes derniers voyages de pêche. Un lac de plusieurs kilomètres de long, tête d'une rivière de la Côte Nord. J'ai oublié le nom du lac, mais pas l'image qui m'en est restée.

Partis de bon matin, nous arrivâmes sur le coup de midi. On nous assigna le chalet munéro cinq. Les lits furent répartis, les bagages rangés, les cannes à pêche préparées. Le cuisinier nous attendait: il avait préparé des "club-sandwiches" qui furent avalés prestement. Mes compagnons étaient des amateurs de vin rouge... Il n'en manquerait pas. Cette première bouteille, bue peu après l'arrivée, nous endormit quelque peu. Une petite sieste et... nous voilà partis pêcher sur le grand lac. Voyage de pêche sans histoire, quelques truites, des petites et quelques grosses. Compagnons agréables, sans plus. Prompts à raconter "leur petite histoire", peu enclins à l'écoute. J'ai toujours détesté ces conversations où le microphone n'est jamais partagé.

Là n'est pas toutefois la véritable raison pour laquelle ce voyage de pêche n'a jamais quitté ma mémoire... La veille du retour, ce devait être bientôt la brunante, je quittai quelques instants mes comparses et allai retrouver sur son balcon -il habitait le chalet numéro six, donc le dernier chalet du côté est- le propriétaire-gérant du campement, histoire de jaser un peu, histoire, peut-être, de poser la bonne question, celle qui me donnerait une réponse inoubliable. L'homme possédait et gérait cette pourvoirie depuis une dizaine d'années. Auparavant, il avait été fonctionnaire au Ministère de la Chasse et de la Pêche. Il passait ses étés ici, répartissant les sites de pêche parmi ses clients, voyant au bien-être de ceux-ci, philosophant, sans doute, quand les casse-tête lui en laissaient le temps. A un moment donné, sans escompter de réponse spectaculaire, je lui demandai:
-Dites-moi, monsieur Deschênes, durant toutes ces années où vous avez vécu ici de mai à novembre, quel est le plus beau spectacle, de quelque nature qu'il pût être, qu'il vous a été donné d'observer?
L'homme sortit sa pipe et sa blague à tabac, bourra sa pipe d'un fort tabac qui me ramena quelques instants à l'époque de Menaud et de Maria Chapdeleine, l'alluma minutieusement et sérieusement, comme s'il s'apprêtait à prendre la parole pour un bon bout de temps, et, finalement, commença à parler:
-Ça s'est passé juste ici, il y a de ça près de dix ans. Je venais tout juste d'acheter la pourvoirie. J'avais travaillé ce jour-là comme un forcené; je venais tout juste de souper, le cuisinier était allé se coucher, j'étais venu m'asseoir dans cette même chaise berçante que j'occupe présentement. Une magnifique soirée de juin, si je me rappelle bien. Je sortis ma blague et ma pipe, bourrai celle-ci minutieusement comme j'en ai coutume, l'allumai et tirai une première pipée, me disant que j'étais heureux. Du bruit me tira de ma torpeur. Un bruit que je n'avais jamais entendu de toute ma vie! J'étais caché par la pénombre. Ils ne me virent jamais. Une femelle-orignale descendit en courant ce chemin que tu vois, là, sur notre gauche, et s'en fut vers la rive du lac où elle s'arrêta et tourna la tête vers mon chalet. C'est alors qu'il apparut au coin du chalet. Son petit, oui! Dieu qu'il était beau. Il ne semblait comprendre le pourquoi de cette course... La grosse femelle entra dans le lac, se mit à nager vers le sud-ouest, s'arrêta soudain et, voyant que l'innocent ne l'avait pas suivie, revint sur la berge et se mit à pousser de sa tête le postérieur du bébé pour qu'il nageât lui aussi en sa compagnie. Le petit comprit, finalement, et le duo s'en fut à la nage vers cette baie que tu vois là-bas, où se décharge un beau ruisseau "jureux". Quant à moi, je continuai à tirer sur ma pipe sans trop me poser de questions. Ce n'est que quelques minutes plus tard que toute l'affaire put s'expliquer. J'étais encore assis dans la pénombre. Sur cette même galerie. Dans cette même chaise. Une meute de loups apparut au coin du chalet et termina sa course à l'endroit exact où la mère et son fils s'étaient mis à nager. Ils eurent beau  humer, sentir, renifler, l'odeur et la piste se terminaient là. Ils devaient être six ou sept. S'en retournèrent penauds par où ils étaient venus.

Tout s'éclaircit dans ma petite tête. Je venais d'assister à un spectacle unique et grandiose. Peu de roseau-pensants, me sembla-t-il, avaient pu avoir la chance d'observer un tel spectacle. La mère avait sauvé son bébé!

Delhorno

dimanche 19 avril 2009

MAURICE DRUON

AMI, ENTENDS-TU LE VOL NOIR DES CORBEAUX
SUR NOS PLAINES?
AMI, ENTENDS-TU CES CRIS SOURDS DU PAYS
QU'ON ENCHAINE?

OHE! PARTISANS, OUVRIERS ET PAYSANS,
C'EST L'ALARME.
CE SOIR, L'ENNEMI CONNAITRA LE PRIX DU SANG,
ET DES LARMES.

MONTEZ DANS LA MINE
DESCENDEZ DES COLLINES,
CAMARADES.

SORTEZ DE LA PAILLE
LES FUSILS, LA MITRAILLE,
LES GRENADES.

OHE! LES TUEURS,
A LA BALLE ET AU COUTEAU,
TUEZ VITE.

OHE! SABOTEUR
ATTENTION A TON FARDEAU
DYNAMITE...

C'EST NOUS QUI BRISONS
LES BARREAUX DES PRISONS
POUR NOS FRERES.
LA HAINE A NOS TROUSSES
ET LA FAIM QUI NOUS POUSSE
LA MISERE.

IL Y A DES PAYS
OU LES GENS AU CREUX DES LITS
FONT DES REVES.
ICI, NOUS, VOIS-TU,
NOUS ON MARCHE ET NOUS ON TUE.

NOUS ON CREVE...
ICI, CHACUN SAIT
CE QU'IL VEUT, CE QU'IL FAIT
QUAND IL PASSE.

AMI, SI TU TOMBES,
UN AMI SORT DE L'OMBRE
A TA PLACE.
DEMAIN DU SANG NOIR
SECHERA AU GRAND SOLEIL
SUR LES ROUTES.

CHANTEZ, COMPAGNONS,
DANS LA NUIT LA LIBERTE
NOUS ECOUTE...

AMI, ENTENDS-TU
CES CRIS SOURDS DU PAYS
QU'ON ENCHAINE?

AMI, ENTENDS-TU
LE VOL NOIR
DES CORBEAUX
SUR NOS PLAINES?

L'Hymne de la Résistance
composé en 1943 par Maurice Druon

On apprend à tout âge. Je ne connaissais Druon que de nom et pour LES ROIS MAUDITS, dont je n'ai jamais été capable d'entreprendre la lecture. Je crois que je devrai m'y mettre, en passant. J'ignorais tout de l'Hymne de la Résistance. Qui aurais-je été, à 17 ans, en 1940? Aurais-je suivi de Gaulle en Angleterre? Aurais-je été avec ceux de Vichy? Epouvantables questions... Souvent on n'a pas beaucoup de temps pour réfléchir à la réponse. Druon avait 17 ans et suivit de Gaulle à Londres.

Delhorno


samedi 18 avril 2009

LE CABARET DU SOIR QUI PENCHE

Encore une fois mon cher Gibus, j'ouvrirai ma boîte de souvenirs et te parlerai d'un temps qui n'existe plus que pour moi.

La Radio de Radio-Canada. De 1965 à 1970, ou à peu près. Le dimanche soir. Ma chambrette, au pavillon Parent, sur le campus de l'Université Laval.  7653, 7655.  Il me fallait étudier... On ne fait pas Médecine sans ouvrir ses livres. C'est ce que j'ai fait, et ne l'ai jamais regretté. Pourtant, toutes ces années, à force de vivre une vie en marge, je me suis senti comme un moine cistercien caché dans les profondeurs de l'abbaye de Cluny. Je me faisais dire par certains amis -sans doute avec raison- que j'étais "déconnecté", "coincé".

C'est ici que s'amène le Cabaret du Soir qui Penche. Guy Mauffette, tous les dimanches soir. Tout en étudiant, tout en essayant de dormir, tout en rêvassant, tout en essayant de tromper ma nostalgie du Saguenay et mon angoisse des dimanches-soir, j'ai découvert un nouveau monde...

Georges Brassens, d'abord. La Chanson de l'Auvergnat. Les Copains d'abord. Mozart, La Petite Musique de Nuit. Mathé Altéry aussi. Félix, que je connaissais déjà et que j'appris à aimer davantage, et surtout Sydney Bechet, Petite Fleur. La mère-patrie, enfin, Paris, que je m'étais promis d'apprivoiser un jour. Etc, etc...

Radio-Canada a fait un DVD des meilleurs moments du Cabaret. Par bonheur, un couple de mes amis m'en a fait cadeau il y a quelques mois. Que de merveilleux instants ravivés...

Merci, Mauffette, merci cher Cabaret.

vendredi 17 avril 2009

LE FRERE WILFRID

J'allais l'oublier... Il tranchait par une incontestable absence de panache. Sur cent personnes s'activant dans le collège Saint-Edouard, il était le dernier qu'on remarquât. Il peignait ses cheveux de la même manière tous les matins. Il parlait peu, agrémentant ses courtes phrases d'un petit sourire angélique. Il portait la plupart du temps, par dessus sa soutane, un sarau blanc, ce qui était inhabituel chez les frères de la communauté. La plupart des frères ne restaient au collège Saint-Edouard que quelques années. La direction provinciale les envoyaient ensuite enseigner dans quelque autre collège ailleurs au Québec. Pas le frère Wilfrid. Pour des motifs jamais élucidés, il semblait incrusté à Port-Alfred.

C'est en septième année qu'il surgit dans ma vie d'écolier, comme professeur de dessin et de travaux manuels. Il arguait qu'il fallait dessiner sans appuyer le coude sur le pupitre, ce qui m'indisposa, car, le coude non appuyé, j'étais fort maladroit. Ce n'est que vingt plus tard que je me rendrais compte qu'il avait raison. Pour tracer un trait de bistouri, il ne faut surtout pas appuyer le coude sur le malade, car il devient alors impossible d'opérer. Je fis donc au bout du compte les dessins qu'il m'ordonna sans jamais m'illusionner: je ne serais jamais un Picasso ou un Riopelle.
Le cursus des études incluait aussi une initiation au travail du bois: c'était intitulé "Travaux manuels". Nous étions alors trop jeunes pour comprendre le message. Nous descendions dans la boutique à bois, laquelle était équipée d'une vingtaine d'établis nantis de marteaux, de rabots, de ciseaux à bois, d'égoïnes et de petites scies à chantourner. On ne connaissait pas alors les outils électriques ou à batterie qui constituent de nos jours la trousse minimale du moindre pseudo-ébéniste. 


La première pièce que le frère Wilfrid nous commanda était des plus élémentaires: une planchette de bois de pin de huit pouces de long par deux pouces de large et un demi-pouce d'épaisseur. La pièce devait être de dimensions exactes, parfaitement rabotée sur les six côtés. N'arrivant pas à raboter mon morceau sans coches mal taillées, je dus faire appel au bon frère. L'homme était patient, il était adroit en plus. Il m'indiqua doucement comment m'y prendre, sans aucun commentaire désobligeant. Cette pièce, ultra-simple, répétée six fois permettait de fabriquer un sous-plat, ce que Mutt m'aida à confectionner, impatiemment, ce que je lui ai pardonné difficilement. Je ne revis plus jamais le frère Wilfrid comme professeur.

Je l'aperçus à quelques reprises par après, dans des circonstances imprévues. Il n'avait pas changé de look: la même "peignure", la même réserve, le même sourire angélique. Ce qui m'embête, c'est que je ne me rendis compte que trente et quarante ans plus tard, -trop tard, m'apercevrais-je- de l'à-propos de l'existence du frère Wilfrid. Cette vie n'est pas faite que d'élucubrations, que de démarches intellectuelles, que de choses de l'esprit. On y a besoin de ses mains à un moment ou l'autre. Réparations à faire dans la maison ou dehors, fabriquer quelque chose,  juste pour le plaisir. C'est ce que le bon frère tentait de nous enseigner: je n'aurai pas, à cette époque, été assez docile pour être un bon élève. Et je paierai cette faute chèrement.

Le frère Wilfrid prit sa retraite et demeura à Port-Alfred jusqu'à sa mort, je pense, dans une résidence que les frères avaient achetée, quand, par attrition naturelle et par la force des choses, ils durent abandonner l'enseignement. Son accomplissement majeur? Avoir initié à l'ébénisterie et la charpenterie plus de deux générations de baieriverains. Un de ses compagnons de retraite fut le frère Edouard Lehoullier, que je n'ai jamais oublié, lui non plus. Mais, ceci est une autre histoire...

Delhorno

mardi 14 avril 2009

OBJETS

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme..."

Ils nous suivent, et vieillissent, autant qu'ils le peuvent, à nos côtés. Leur fidélité se mesure à l'aulne de la nôtre. Eux ne se lassent jamais.

1. FIFINE
Du temps de ma jeunesse, quand Mutt était vivant, l'agrafeuse était verte, d'un vert pas trop foncé ni trop pâle. Où l'avait-il dénichée? Je l'ignore. A la Consol peut-être. Comment? Je n'ose me poser la question. Mais elle vécut autour de nous. Elle enfonçait inlassablement de fortes broches en forme de U, d'autant plus fortes que la poignée de l'agrafeuse n'était pas facile à actionner. Elle survécut à Mutt et... au Taon. Eh oui! Gilôt, tu n'as pu te l'approprier, cette agrafeuse, car c'est moi qui l'ai subtilisée, au lendemain du décès, avec la complicité de Lulu. Fifine fonctionne encore très bien, sa poignée revêche est encore aussi rébarbative. Certes, elle a perdu de son lustre et son beau vert a grisonné par endroits. Un seul problème avec Fifine: j'ignore où elle terminera ses jours. Me suivra-t-elle au pied du mont Royal? Mes fils ont leur propre Fifine... Devrai-je te la léguer, L'Taon? Devrai-je me payer un codicille?


2. LA PERCEUSE DE MUTT
Elle fonctionnait à l'électricité. Mutt n'en était pas peu fier. L'avait achetée à la Consol, laquelle se départissait de certains outils usagés. Je le vois encore y insérer une mèche gris-foncé à l'aide du machin-truc qu'il avait "tépé" au bout du fil. Son assortiment de mèches était fort rudimentaire... Aujourd'hui, le moindre Homo Perceur possède plusieurs jeux de mèches: mèches pour le bois, mèches pour le métal, mèches pour le béton. Un autre joyau que tes mains perverses n'auront pu s'approprier, cher Gilôt. La perceuse m'a suivi, de Port-Alfred à Montréal à Chicoutimi. Elle rendit l'âme à un moment fort mal choisi et je dus m'en départir, en racheter une autre que j'ai toujours détestée, électrique elle aussi, mais "feluette", de piètre qualité. Il faut mettre le prix quand on achète un outil...



3. FERNIE, LE PETIT CHIPPER

Je l'appellerai Fernie. C'était un petit bâton de golf. Qui servait à effectuer des "chips", c'est-à-dire des coup d'approche qui roulent, au contraire des "pitches", lesquels sont des lobs, qui survolent l'obstacle qui empêchera la balle de rouler vers le trou. Le chipper s'emploie sur le bord des verts: la balle ne bondit pas très haut, quelques centimètres, quelques pouces seulement, et pas très loin, un mètre ou deux, mais elle roule longtemps. Le chipper dont je vous parle fit partie de notre attirail de golf pendant toute notre jeunesse. Cadeau mythique de l'oncle Fernand, le meilleur joueur de golf de notre phratrie. Fernie ne payait pas de mine. Sa tige, dépeinturée par endroits, était d'un brun rouge-cerise foncé qu'on peut difficilement oublier; cet sorte d'émail recouvrait une couche d'apprêt jaune qu'on devinait ça et là.

J'ai fait de bons et de mauvais coups avec Fernie le chipper; j'avais tendance à lever la tête trop tôt. Mais un jour, lors d'un tournoi pour les caddies du club de golf de Port-Alfred, Fernie me ferait inscrire un birdie que je n'oublierais jamais. Sur le trou numéro trois. De nos jours, le vert a été avancé. Je vous parle ici de la fin des années cinquante. Je devais avoir douze ou treize ans. Le vert était alors localisé à la gauche de la coulée, cent mètres plus loin, ce qui rendait le trou difficile... Que de balles ai-je perdues dans cette coulée en raison d'un slice que je ne pouvais corriger et dont je pensais qu'il m'était venu avec la vie. Toujours est-il que mon deuxième coup fut droit ce matin-là et s'arrêta à quelques pieds ou quelques mètres du début du vert. Situation idéale pour Fernie. Je m'installai donc, Fernie dans mes mains comme s'il s'était agi d'une relique, je visai en direction du drapeau; la balle bondit sur une courte distance, se mit ensuite à rouler, à rouler et hop! disparut dans le trou. Ce fut le premier birdie de ma longue existence de golfeur. On n'oublie jamais son premier birdie... Celui-là me valut une balle de golf flambant neuve, une «COMET» de la part des organisateurs du tournoi, car j'avais été le seul caddie à réussir un birdie. Je la rapportai triomphalement à la maison.

Quand nous, les plus vieux, partîmes de la maison, Gilôt, le cadet, devint le légataire de tout ce qui se trouvait dans la cave de Mutt. Nous ne revîmes jamais plusieurs objets qui avaient fait partie de notre jeunesse... Le Taon, en effet, était un fervent du troc; nos sacs de golf furent innocemment troqués contre d'autres objets sans histoire. Fernie, avions-nous pensé, avait fait les frais des filouteries de Gilôt. Mais non! En juillet 2007, au Royal Québec, alors que les frères Delhorno disputaient une partie de golf, Fernie refit surface, à l'ébahissement des trois aînés. Fernie sortit du sac du Taon comme par enchantement!

4. LES SKIS DE MUTT
Mutt avait skié dans sa jeunesse. Les plus jeunes de ma famille auront sans doute oublié ce détail insignifiant. A la fin des années quarante, nous habitions un logement de la maison ancestrale, c'est-à-dire celle bâtie par le grand'père François quand, de Baie Saint-Paul, il arriva à Port-Alfred. Logement qui était situé au deuxième étage, côté est. Ernest Marquis habitait l'autre logement, celui qui faisait face à la maison de Xavier Truchon. La galerie-arrière communiquait avec notre portion du hangar par une passerelle de bois. Un escalier de bois, articulé sur la passerelle permettait de descendre dans la cour. Ce hangar était vraiment spécial! Aussi gros que la maison. Deux étages. L'étage du bas était divisé en deux parties: l'une servait de soue pour le cochon qu'engraissait mon grand'père du temps de son vivant, ainsi que d'étable pour la vache qu'il menait au champ tous les matins; l'autre avait fait office de poulailler à une époque et servait plus ou moins de chambre à débarras.

Nous appelions notre remise "le hangar". Ce mot semble être tombé en défaveur de nos jours. Remplacé par le terme "remise". Ma première visite dans le hangar fut renversante: toutes sortes d'objets hétéroclites dont j'ignorais la provenance et l'utilité. Le hangar était rempli à moitié par du bois de chauffage. Nous chauffions au bois avant l'arrivée des poêles à l'huile. Mutt, qui était jeune alors, n'avait qu'à traverser la passerelle pour rapporter une brassée de bois.

Le hangar cachait aussi une vieille paire de ski. Ce doit être Mutt qui m'apprit le mot"ski" ainsi que le mot "harnais". Les "harmais" -on dit aujourd'hui "fixations"- étaient tout rouillés. Les attaches étaient fabriquées de cuir et se fermaient derrière les bottes par un manchon de métal qui épousait la rondeur du talon. Que je l'ai donc regardée cette paire de skis! Sans jamais savoir ce que m'en réservait l'avenir...

Les vieux skis de Mutt furent ma première paire de skis! Un matin d'hiver, avais-je neuf ou dix ans, je descendis les skis dans la cour enneigée, ajustai les harnais autour de mes bottes et me mis à avancer sur la neige. Instant inoubliable et inoublié. Je ne restai pas bien longtemps dans la cour de la maison: l'enjeu manquait de prestige! Mes premières escapades à ski eurent lieu dans le champ de golf, derrière la maison de Jacque Côté et derrière le Palais Municipal. Port-Alfred n'était pas très développé à l'époque: le domaine skiable foisonnait et ce, tout autour de la ville. Très vite, je me fis des amis de ski. C'est le saut à skis qui nous emballait surtout alors. Mais... ceci est une autre histoire. La paire de skis de Mutt fut mise au rancart dès l'hiver suivant. Mutt et Lulu nous avaient offert pour étrennes, à Dédé et moi, des skis rouges-cerise. Qu'advint-il des skis de Mutt? Je l'ai tout à fait oublié.

Delhorno











lundi 13 avril 2009

LUNDI DE PAQUES

Pâques a bien changé...

Campbellton, Nouveau-Brunswick. Lundi le treize avril deux mil neuf. Le temps est exécrable. Il fait froid, il a neigé cette nuit. J'ai fêté Pâques en solitaire, dans un petit logement de la rue Matheson. Mon fils travaillait. Ma femme et ma fille étaient à Montréal et Trenton. Mon fils cadet bossait lui aussi. Moi de même, quoiqu'à fort petite échelle. Ai gaspillé cinq heures devant le téléviseur: le Tournoi des Maîtres à Augusta, où les azalées en fleur m'ont fait regretter de vivre où je vis. Mais, bon! Il y a pire que ça dans cette vie.


J'ai connu l'époque où Pâques était une fête... C'était du vivant de mes parents. Ce temps où Pâques la religieuse prenait encore toute la place.

Ça commençait par le Carême. Des semaines entières où toute la ville était sérieuse, où les gens parlaient bas. Les étudiants étudiaient fort, les travailleurs travaillaient autant, les mères s'échinaient de l'aube au crépuscule, sans se lasser d'envoyer leur marmaille à la messe matutinale ainsi qu'aux Vêpres du dimanche soir. Je me souviens d'une année où j'ai servi la messe tous les matins à 6 heures durant le Carême. C'était la messe du gros curé Henri, lequel n'a jamais daigné m'adresser la parole...  Quand je pense que son Maître à penser enseignait:

-Laissez-venir à moi les petits enfants.
Je crois même qu'il nous était défendu de rire à partir du Mercredi des Cendres. Nous mangions du poisson le vendredi, les desserts étaient réduits à leur plus simple expression, les buveurs essayaient d'arrêter de boire, les fumeurs promettaient de cesser de fumer pendant quarante jours, les avares économisaient encore davantage. Le Carême...  Une période sombre qui s'achèverait le Samedi Saint à midi, quand les cloches du curé Médéric se mettraient à rigoler comme des polissonnes: nous saurions alors que tout était terminé, que nous allions enfin pouvoir revivre.

Le Samedi Saint à midi! Tout de suite il y avait un gros changement. Le dîner était plus élaboré. Un bon ragoût... ou un spaghetti italien... ou une tourtière... Lulu avait même préparé un dessert! Et ça recommençait au souper. Le soir, le Canadien jouait à la télé. Nous avions de bonnes équipes dans ce temps-là. Jean-Claude Tremblay jouait à la défense. Plus tard, plus vieux, nous sortirions après le hockey. Nous irions au bal, comme disent les Français. C'étaient les Beatles, les Gendarmes, les filles, qui nous attiraient. Nous étions heureux. Après la veillée, la coutume voulait que nous allions luncher au Populaire ou au Martinet. Nous marchions à pied, tout se faisait à pied. Nous rentions à la maison à «la madrugada». Lulu ne dormait jamais...

Pâques, finalement. Le lendemain matin. La messe, d'abord. Il y avait des messes à toutes les heures à cette époque. Nous avions donc le choix. Durant les années cinquante, les femmes avaient coutume "d'étrenner" le jour de Pâques. Cette coutume voulait qu'elles s'achetassent un "bibi" avec voilette, ainsi qu'un nouveau manteau et un belle robe. Elles allaient à la grand'messe de dix heures: belles comme des déesses, elles y mariaient le profane au
religieux...

Bonyeu de Sorel que nous étions contents quand le repas du midi de Pâques arrivait! Lulu avait travaillé comme une forcenée. Images qui ne m'ont jamais quitté, avec lesquelles je mourrai, si mon cerveau ne me lâche pas. Oeufs farcis, jambon caramélisé, patates pilées, gâteau aux ananas avec cerises au marasquin. Nous nous bourrions la face goulûment, à n'en plus respirer. En après-midi, c'était le chocolat. Les oeufs au chocolat-vanille de Laura Secord. Mon Dieu! Ça recommençait au souper. L'agneau à la sauce aux pommes, le gâteau caramélisé aux ananas, s'il en restait! Nous invitions ma grand-mère Marie-Blanche et ma tante Jacqueline, ainsi que la "petite Denise", du temps que l'aïeule était vivante. Quelquefois, nous avions de la visite en soirée: mes oncles, mes tantes. Ça jasait, ça buvait, ça jouait aux cartes. Le malheur ne nous avait pas encore frappé... Quelques années plus tard, mil neuf cent soixante-seize, début des années quatre-vingt, Mutt et Lulu décéderaient et Pâques ne serait plus jamais pareil. Ah! Il y aurait bien quelques tentatives de ressusciter le passé... Les belles-soeurs et ma soeur tenteraient, du meilleur d'elles-mêmes, de copier la Lulu des belles années. Mais pour moi, le coeur n'y serait plus. Trop deAjouter une image gros morceaux manquaient.

Hier, jour de Pâques, j'ai dîné seul, sur le coin d'une table chambranlante, de céréales All-Bran, d'une banane et de trop dures galettes à l'avoine et aux petits raisins secs, tout en me disant que ces anonymes desserts n'ont en plus aucune saveur quand sont absents ceux pour qui nous comptons.  Pour souper, j'ai récidivé en solitaire, mais devant le téléviseur: tranches de pain, pâté de campagne. Comme chocolat? Je m'en fus au dépanneur acheter une barre de chocotat Mars. Pas même la consolation de voir Tiger Woods gagner le Master's. Ma femme et ma fille, je me répète sans doute, étaient à Trenton où ma belle-soeur livre bataille à une leucémie. Mon fils aîné travaillait à l'Urgence de l'Hôpital de Campbellton tandis que mon cadet était de garde à la Cité de la Santé à Laval.

Voilà pourquoi je vous écris, Gibus, Macpherson que Pâques a bien changé.

Delhorno

dimanche 12 avril 2009

CHEZ ARMAND

Campbellton, NB. Samedi Saint. L'ensoleillement est optimal cet après-midi. La Restigouche n'est pas encore dégelée; mais ça s'en vient, c'est tout proche.

Mes cheveux sont longs, trop longs; il y a près de deux mois que j'ai visité un coiffeur. Où irai-je, à Campbellton? Je ne connais ni barbier ni coiffeuse. Je me suis informé pourtant ça et là:

-Je cherche une fille qui puisse me faire une belle coupe de cheveux. En connaissez-vous une ?

La plupart des travailleurs de l'Hôpital de Campbellton ne sont pas de la ville. Sont des alentours. Certains viennent même du Québec, de l'autre côté de la «frontière».  N'ont pas l'air de connaître barbiers et coiffeurs de Campbellton.

-Il y a des coiffeuses près du McDo: c'est tout près!

Je me rends donc près du McDo. Pas de trace de la moindre échoppe de coiffure! Je me dirige vers l'est, sur Water, tout près du Jean Coutu. Cette boutique, là, à gauche, la coiffeuse est en train de balayer le trottoir. Il semble aussi qu'il y ait à l'intérieur un barbier désoeuvré... Ça ne me semble pas idéal... Mais où irai-je, finalement? Je ne sais plus où aller. Je me dis que je ne suis pas Robert Redford, que je ne suis qu'un quidam sexagénaire, que je n'ai pas besoin d'un look de chanteur pop. Ça y est! Je me décide. Je me ferai coiffer Chez Armand. Je fais demi-tour et je gare l'auto en face du salon. L'auto garée, je traverse la Water. La dame continue de balayer son trottoir. Armand m'entr'ouvre la porte et me fait signe de m'asseoir. Chaise d'un autre temps. Nos objets vieillissent avec nous, me dis-je. Et ça commence.

Armand est sexagénaire comme moi. Soixante-cinq ans lui aussi. J'ai envie de rire au début de notre conversation: ma belle-mère Rose-Ida avait de la difficulté à appeler mon frère DD par son prénom! Elle l'appelait Armand. Ça m'a toujours fait rire.
-Vous êtes docteur Dolhorno?
-Comment savez-vous ça? lui dis-je.
-Vous avez traité mon père en octobre.
-Ah?
-Vous avez aussi traité Greta Firth.
-Je me souviens l'avoir opérée en décembre.
-Elle est encore hospitalisée. Peine à respirer. Elle, elle en a fumé des cigarettes!

Je ne pouvais préciser ni confirmer, lié par le secret professionnel. Greta Firth, effectivement, avait été très malade.
-Connaissez-vous mon beau-frère Ghislain, «Jet» Gagnon? L'ancien joueur de hockey?
-Si, je le connais! Il était ici pas plus tard que jeudi passé. Il a ri tout le temps qu'il a été ici. Nous avions un farceur dans le salon. Même, regardez ici, j'ai une photo de lui, du temps qu'il jouait au hockey. C'était Jet, en effet. Vieille photo des années cinquante.

Nous avons parlé de choses et d'autres, des relations Francos-Anglos dans la région de Campbellton, notamment.

-Avez-vous pensé à prendre votre retraite , Armand?
-Je me lève le matin et je me dis que le temps n'est pas encore venu d'aller au Tim Horton's prendre du café et écouter les bonhommes me raconter des «mentries».

La demi-heure a filé tout doucement. Mes cheveux se sont coupés tout seuls. Armand était un homme de métier: il me semblait opérer comme un bon chirurgien. L'opération m'a coûté dix piastres, un prix qui n'a plus cours ailleurs au Canada. C'est vingt piastres chez Ghislaine à Chicoutimi. Trente et quarante à Montréal. A la toute fin, il m'a montré une collection de vieux rasoirs, dont une boîte métallique ressemblant à un boîte de sardines: j'ai reconnu tout de suite un vieux rasoir que mon père conservait chez nous au début des années cinquante!  Je n'en avais plus jamais revu depuis.

Voilà! Voilà tout ce qu'une simple visite impromptue chez un barbier de la rue Water, un Samedi Saint à Campbellton,  peut nous faire raconter!  Joyeuses Pâques!

Delhorno

lundi 9 février 2009

ILS ONT VECU A MES COTES

On est loin de penser à tout ça, quand on a seize, dix-huit et vingt ans. Les professeurs nous les présentent, nous les brossent à grands traits, nous les étudions un peu, si peu; on s'aperçoit quarante, cinquante ans plus tard qu'ils nous ont accompagné tout le trajet. Les voici.



Homère. Il me faudra, avant de mourir, terminer la lecture de l'Iliade et l'Odyssée. "L'aurore aux doigts de rose". Achille. Ulysse. Hector. Hélène. Paris. Troie. Je tremblerai, à cinquante-cinq ans, quand Kelly me montrera le tombeau d'Agamemnon et la porte aux Lions.



Xenophon. Oublié d'une multitude. Le premier reporter. Nous a rapporté " La retraite des dix-mille". "Thalassa, thalassa."



Socrate. La maïeutique, l'art de faire accoucher les esprits. La cigüe. Les Athéniens d'aujourd'hui nous montrent l'olivier sous lequel Socrate enseignait. L'indépendance d'esprit.



Platon. La théorie des cavernes. L'intuition d'un moteur suprême. Ses dialogues. Celui, le Criton, je pense, relatant la mort de Socrate.



Aristote. Un de mes bons amis. "L'intestin des cerfs est si fragile qu'un simple coup de pied dans le ventre peut le perforer". "Le bonheur résulte d'une activité bien faite". La Logique. Raisonner justement. La politique est la plus noble des sciences. Les péripatéticiens. Il y a un moteur suprême.



Hérodote. "L'Egypte est un don du Nil". Je ne cesserai de penser à Hérodote quand je visiterai le pays des pharaons en février 2008.



Pythagore. Son théorème. On oublie souvent de nous en parler à la petite école au moment du carré de l'hypothénuse. Un grand géomètre, ne pas l'oublier.



Archimède. "Tout corps plongé dans un liquide en ressort mouillé", avions-nous coutume de dire au Séminaire. Il mourut à Syracuse, de la main d'un tyran.



Sénèque. "J'en connais beaucoup qui eurent plusieurs amis, mais à qui l'amitié a manqué." M'accompagne sur le tard, mais pas trop tard, grâce à un cadeau de Dédé: Lettres à Lucilius. "Je ne tremblerai pas, au moment suprême."



François Villon. "La Ballade des Pendus". J'avais seize ans. C'est le poème de Villon que l'abbé Audet nous avait cité en exemple. Je fus tout de suite séduit par François de Montcorbier, mais ne me rendis compte, que bien des années plus tard, que Georges Brassens avait mis en musique sa"Ballade des dames du temps jadis".



Molière. Nous avions quinze et seize ans. Collège Saint-Edouard. Le frère Pierre, un avant-gardiste, nous propose de monter "Le malade imaginaire". J'héritai du rôle de monsieur Diafoirus, le médecin. Plus tard, au Séminaire, nous jouerions "Monsieur de Pourceaugnac". Je n'étais pas un acteur talentueux. Mais "Castigat ridendo mores" ne m'a jamais quitté.



Blaise Pascal. Les "Pensées", le Jansénisme, Port-Royal. Un des grands de l'Hexagone. "L'homme est un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant."


Descartes. "Je pense, donc je suis." Faire "tabula rasa". Le cartésianime.

Corneille. Le Cid. "Aux âmes bien nées la valeur n'attend point le nombre des années." C'était la pièce à l'étude, mon année de Rhétorique. L'autre pièce, c'était Britannicus, de Racine.

LaFontaine. Les premières fables apprises par coeur... On a dix, douze ou treize ans. Quand le professeur nous les fait déclamer devant la classe. Fou-rire. La Cigale et la Fourmi. Le Chêne et le Roseau. "Rien ne sert de courir, il faut partir à point." Les années passent... La Laitière et le Pot au lait. Le Meunier, son Fils et l'Ane. La Mort et le Mourant. Quarante ans plus tard, j'arpentais le cimetière du Père Lachaise à la recherche des stèles de Molière et La Fontaine. La Fontaine, encore aujourd'hui, est le plus lu des écrivains français.

Victor Hugo. Ses grands romans. "Le cimetière marin". "Une union de trop tôt avec trop tard". On dit qu'un million de français suivirent son cercueil à Paris le jour de son enterrement. J'envierai jusqu'à la fin un tel talent.

Charles Péguy. Je fus séduit par son style. "Moi, je bâtis des cathédrales."

Alphonse Daudet. Me fut présenté au Petit Séminaire. La Chèvre de Monsieur Séguin. Les Trois Messes Basses du curé de Cucugnan. L'Arlésienne. Je crois avoir lu toute son oeuvre. L'un des écrivains que j'ai relus. Je visiterai son moulin lors d'un séjour dans le Midi.

Roger Martin du Gard. Grâce à l'abbé Jean-Paul. "Jean Barois". Nous allions avoir vingt ans.

Félix-Antoine Savard. C'est l'abbé Jacques qui me le présenta. "Menaud, Maître Draveur." J'ai senti que je ne pouvais continuer à vivre sans m'imprégner de toute son oeuvre. J'ai ramassé tout ce que je pouvais chez Fidès, à Montréal, et j'ai emporté ça en vacances. J'aurais pu être son ami.

Max Gallo. Ai repassé l'histoire de France, en sa compagnie. Pas un grand écrivain, à mon avis. Pourtant a été nommé académicien...
Harvey Pennick. Ce nom ne te dira rien, lecteur. Un vieil et austère, humble professeur de golf résidant à Austin, Texas. A l'origine de deux livrets traitant du golf et de l'enseignement du golf. The Little Red Book et The Little Green Book. "Take dead aim." " The student must be ready for the teacher to appear." Un autre qui, à la suite de Thomas d'Aquin, a parlé de la docilité comme étant la première qualité de l'étudiant.

Daniel Pennac. Connu sur le tard, par son livre "Chagrin d'école", acheté impulsivement, avant de prendre un avion. J'aurais aimé être son ami.
Voilà. J'ai à peu près fait le tour. J'en ai oublié, sans doute. Heureusement, ce texte est aisément modifiable! Hasta pronto!
Delhorno

















dimanche 8 février 2009

CES MOTS AIMES

Il y a de ces mots qui vous suivent toute une vie. Mon ex-voisin d'en face employait le mot VERSUS à toutes les deux ou trois phrases, pour ne pas dire à toutes les sauces; il est maintenant devenu maire de Varennes; on lui a donné un micro... Ses échevins doivent en entendre de toutes les couleurs! Ma soeur, depuis qu'elle est grand'mère d'Elizabeth, s'est prise d'affection pour MIGNONNE. Je me fais donc un devoir de m'informer de la petite-fille de la grand'mère! Je suis certain de recevoir ma dose hebdomadaire de "MIGNONNE". Chacun a ses travers... Certains, quand ils ont découvert l'anglais, truffent leur discours de YOU KNOW, BY THE WAY, NEVER MIND. D'autres, c'est l'espagnol. Ils viennent de découvrir HASTA LUEGO.


Je me livre donc à cet exercice: regrouper les mots que j'ai particulièrement chéris depuis dix, vingt, trente ou quarante années.


MISTALAGUINO: tiré d'une pièce de Félix Leclerc que monsieur Desmeules nous avait fait jouer au Petit Séminaire. J'en ignore totalement la signification. Google n'y trouve rien. Je crois que c'est la sonorité qui m'a accroché.


GROUCHE: même provenance. Un petit côté slave, peut-être? M'a suivi presque cinquante années.


TOPINAMBOUR: vient de ma mère. Elle le vociférait à notre endroit quand elle perdait le contrôle. "Espèce de topinambour". Ce n'était pas toujours facile d'élever quatre garçons. Je regrette maintenant de ne lui avoir jamais demandé d'où elle le tenait. Ca m'a pris des années à savoir que c'est un légume.


SOUS-OFF: une autre invective que je tiens de me mère. Plus diaphane, celui-ci.


GUADALAJARA: pour la sonorité, sans doute. Il semble qu'y vivent les plus belles mexicaines au monde.

MONTEVIDEO: estuaire du Rio Plata. Depuis un livre que j'ai lu, adolescent, sur l'affaire du Graf Spee. Une chanson aussi, chantée par un Uruguayen, dont le DVD n'existe plus dans ma discothèque, volé, je pense, par ma fille.

CONJONCTURE: attiré par son côté ramasse-tout, je crois. "l'ensemble des affaires, des problèmes et des paramètres dont il faut tenir compte".

ECORNIFLER: la sonorité, un petit côté sourieur. Un écornifleur, c'est un voyeur, mais au niveau de l'audition et de l'odorat.

PIROCHE: utilisé par ma belle-mère. Une oie. Je l'affectionne d'autant plus que mon père marchait "comme une piroche" et que maintenant je marche comme mon père.

SALAMANCA (QUE): découvert sur le tard, en étudiant l'espagnol à Alicante. L'une des plus vieilles universités d'Europe. Il faut le prononcer à l'espagnole. Il rentrait dans mes projets d'y aller étudier quelque chose avant de mourir. Que j'aimerais, en revenant au Saguenay, écrire: "Je fus à Salamanque".

MARACAIBO: j'ignore pourquoi. La sonorité, sans doute.

BOMBEZITE: il te fera sourire, ce mot, lecteur. Larousse l'ignore complètement. Utilisé par mon père, par notre phratrie; l'équivalent de "made in Japan" dans les années cinquante et soixante.

CONSENSUS: je l'ai utilisé à profusion. Sans doute que j'aime le résultat du mot...

BALKANISATION: c'est sa signification, je pense, qui m'a appâté. Bourré de connaissances, ce mot. Il faut connaître les Balkans, ce qui s'est négocié à la fin de la Première Grande Guerre, le maréchal Tito, Sarajévo, Gaétan Boucher, la Macédoine, la Serbie, le Kosovo, Milosévic...

VALPARAISO: l'exotisme, peut-être. Je me souviens m'être dit, des années, que je ne mourrais pas sans avoir vu Valparaiso.

APPARATCHIK: j'adore encore ce mot russe et sa connotation de médiocrité; il m'a permis, au fil des ans, d'évacuer plus ou moins élégamment la rancoeur accumulée envers les fonctionnaires du ministère de la Santé.

RATATOUILLE: employé dans la famille de ma mère. L'équivalent du "racaille" de Sarko.

PERESTROIKA: Bernard Derome l'a dit une fois, et il est entré dans ma tête sans jamais en ressortir. La tache de vin sur le front de celui qui l'a faite.

SORBONNE: sans doute parce qu'elle faisait partie de ma fourchette de rêves.

PIPERACILLINE: quel beau nom pour un antibiotique!

mercredi 4 février 2009

MA CARRIERE DE HOCKEYEUR

J'avais cinq ans. Maison de mon grand'père François sur la Cinquième Avenue à Port-Alfred. Nous habitions le logement du deuxième étage. Cet hiver-là, j'avais découvert l'existence de Maurice Richard. Comment? En entendant mon père et mes oncles parler de hockey, sans doute. Car je ne savais pas encore lire et la télévision n'avait pas fait son apparition. Le soir dont je me souviens, j'étais seul et je lançais des rondelles sur le mur de la maison, alors qu'on n'y voyait à peine. Vire-voletant autour de moi-même, je m'essayais à déjouer un Boston imaginaire, tout en me convainquant qu'un jour je serais la copie-conforme du Rocket!

C'est ainsi qu'elle a commencé, ma carrière de hockeyeur.


Les pères de cette époque construisaient des patinoires extérieures en arrière des maisons. C'est là que nous jouions. Pour rondelles, des galettes que nous avions découpées à l'égoïne sur des rondins de bouleau. Des hockeys tout d'un bout achetés... je ne sais plus où. Des équipes de "p'tits-gars", donc. Les familles étaient nombreuses: il n'était point difficile de réunir deux équipes. Ça finissait souvent en pleurs, comme cette fois où mon ami Jacques reçut la rondelle sur un oeil et s'enfuit chez lui en courant: l'hématome était tellement gros que nous ne voyions plus son oeil.


Mutt ne fut pas en reste: il nous glaça "à la hose" un grande patinoire derrière la maison. Dieu qu'elle était belle et grande, notre patinoire. L'inconvénient, c'est qu'il fallait la gratter lors des bordées de neige. Le temps passait vite sur ces heures glacées: nous étions heureux, Dédé, moi, nos amis, sans que nous nous posassions jamais la question.

En 1950, la Ville de Port-Alfred construisit "Le Palais Municipal". Une patinoire couverte, un "palais", à proprement parler, dont le joyau était une glace artificielle. Nous n'avions droit d'y patiner que les samedi matin. C'était le "free for all". Rien de planifié, rien d'organisé. Des dizaines de joueurs de tous les âges, divisés en deux équipes, les plus vieux, évidemment, comptaient les buts et faisaient la loi. C'est là, le samedi matin, que je vis s'épanouir les meilleurs hockeyeurs baieriverains. J'étais un joueur médiocre, en fait, mais intérieurement je me pensais toujours un Maurice Richard en devenir.

Quelquefois, nous montions au Collège St-Edouard jouer sur la patinoire des Frères. Moments inoubliables. Pas d'arbitre, pas de "plus vieux", que des amis de notre âge. Les parties duraient des heures, des heures de pur bonheur. A la brunante, il fallait descendre la côte de la Quatrième Avenue, en patins!, alors que nous étions fatigués. Nous rentrions à la maison les joues rouge-tomate et l'appétit insatiable. Lulu avait fait des "bonsses" et nous en mangions jusqu'à en être malades. Le samedi soir, quelques heures plus tard, c'était le hockey des Canadiens: nous n'aurions pas manqué ça pour tout l'or du monde. Mutt trônait, dans le coin de la salle-télévision, assis dans le fauteuil vert-foncé, fumant des Craven A, et nous, sa cour, nous l'entourions. C'était sacré, ce hockey du samedi soir. Maman n'aurait jamais osé nous le faire manquer. L'oncle Roméo, lui, regardait le film qui passait à l'autre canal; Mutt en pensait que cet oncle étranger n'était pas un vrai mâle... Ces années-là, le Canadien gagnait tout le temps et, donc, nous nous couchions heureux tous les samedi soir.

Moi, je ne savais pas, en ces temps-là, qu'il faillait pratiquer pour exceller dans un domaine. Il me faudrait des années pour découvrir l'astuce. Je pensais que je saurais tout dès la première seconde et que j'excellerais, sans jamais m'efforcer, dans tous les domaines que j'aborderais. Sans doute parce qu'il en était ainsi à l'école: je comprenais tout du premier coup et n'avais pas besoin d'étudier tellement. Gilles D. n'était pas comme ça. Il adorait le hockey! Il passait des heures sur la petite patinoire qu'Edmour lui avait faite devant l'entrée de leur garage. Il pratiquait ses "slap shots"! Cassait beaucoup de bâtons que son grand'père lui réparait. Ça ne lui coûtait pas cher... Moi, je me disais que plus tard je m'y mettrais, et que j'excellerais aussitôt. Gilles D. aima tellement le hockey qu'il y sacrifia toute sa jeunesse et même ses études, lesquelles n'aboutirent jamais.

Il y avait deux équipes de hockey au Collège Saint-Edouard: les Crans et les Caps. Je fus sélectionné par l'entraîneur des Caps. Je manquai beaucoup de parties: je me sentais mal à l'aise dans ce monde du hockey. On y sacrait, on y manquait de ce fini que mère m'avait enseigné. Un soir, je jouais à la défense; je bloquai un but certain, tout juste devant la ligne des buts. Hermel Larouche, l'autre défenseur -que je craignais, car il était déjà un homme et avait commencé à fumer- me lança:

-C'est beau, Ti-Gars!


Il ignorait jusqu'à mon nom! Ça me fit grand bien, cependant, et je me sentis un rouage important de l'équipe. Hermel quelques années plus tard deviendrait le trompettiste des "Gendarmes".


Petit Séminaire de Chicoutimi. Je ferai partie de quelques équipes. Dont celle qui jouait contre les "Tout Nus" de St-Joachim et les "Brocs" de l'Ecole d'Agriculture. Je serais un "plombier", un joueur de troisième et quatrième trio. Je m'apercevrais alors que j'aurais dû pratiquer davantage, fignoler mon coup de patin et, comme Gilles D., pratiquer mes lancers. Nous jouerions sur des patinoires extérieures et les saisons ne seraient très longues. Pensionnaire les deux premières années, je deviendrais "externe", ce qui mettrait fin à ma carrière de hockeyeur.

Université Laval. Faculté de Philosophie. Cette ligue intramurale regroupant les diverses facultés. C'était compliqué de jouer au hockey ces années-là. Il n'y avait pas de glace sur le campus. Nous devions nous rendre à l'autre bout de la ville. Les philosophes n'étaient pas de gros joueurs de hockey... Nous perdîmes toute l'année. Je crois avoir été le seul ou l'un des rares de la faculté à avoir scoré cette année-là.

Faculté de Médecine. Même ligue intramurale. Je jouais sur le deuxième trio en compagnie de Marcel Germain et d'André Fleury. Je me rendis compte que j'aurais pu devenir un meilleur joueur si... Mon fait d'armes cette année-là? Un tour du chapeau! Trois buts que je n'ai jamais oubliés, dont un sur un lancer du poignet d'une vingtaine de pieds. En fut récompensé par la brasserie Dow, qui me remit un trophée dont, plusieurs années, je ne pus me séparer. Là encore ma saison ne fut pas très longue: la mononucléose infectieuse m'accabla et me mit hors de combat. "Kissing disease". J'avais rencontré à la Baie une belle fille blonde que je ne pouvais m'empêcher d'embrasser et qui envahirait mon être. J'abandonnai le hockey quand on nous amena dans les hôpitaux: le temps manquait, il y avait des risques de blessures, bref, toutes les raisons étaient bonnes.

CriCri nous arriva. Il eut bientôt six ans. Je l'inscrivis à Scadia, les cours de hockey du samedi matin dispensés par la Ville de Chicoutimi. Nous devions nous lever de bonne heure le samedi matin! Cinq heures. La démarche avorta très tôt. CriCri ne semblait pas aimer le hockey passionnément.

Ce fut ensuite Djé. Avec lui, ce fut une autre histoire. Il fit tout son hockey mineur dans les ligues de la Ville. Je lui achetai un but que j'installai à côté de la maison. Des rondelles pesantes, afin qu'il pût pratiquer son lancer du poignet et viser des cibles sur le but. Le Djé était plus talentueux que son père... Meilleur patineur, meilleure vision du jeu. Je me rappelle d'un but qu'il compta à St-Ambroise, un lancer du poignet du dedans du grand cercle rouge: une explosion! Personne dans les estrades ne l'aurait cru capable d'un tel lancer. Des heures de pratique.

Voilà. Je serai aussi associé au hockey Junior Majeur, avec les Saguenéens. Mais, ceci est une autre histoire.

dimanche 25 janvier 2009

MES MAITRESSES D'ECOLE

Non, je ne vous ai jamais oubliées. Je me rappelle de tout: de vos noms et prénoms, de cette année où vous fûtes ma "Maîtresse", de ce temps où nous nous aimions.

Collège Saint-Edouard, celui que vous aussi n'avez sans doute jamais oublié. Oui, la plus grosse bâtisse de Port-Alfred, la Consol exceptée. Port-Alfred, le vocable, a presque disparu, englouti dans l'enfer des fusions de villes et villages. Il a fait place à "La Baie", ce qui pouvait aller encore... Maintenant on dit "Saguenay", du nom de la rivière, du comté voisin et de la région. Quelle originalité! Le Collège existe encore, lui, reconditionné, c'est vrai, sur cette colline qui surplombe la Baie des Ha! Ha! et qui me parut si haute, presqu'inaccessible, ce premier jour de septembre que je la gravis pour commencer l'école.

Dieu que c'était important, dès la fin de l'été, de connaître le nom de son institutrice. Certaines étaient plus désirables que d'autres et nous n'obtenions pas toujours l'objet de nos désirs... Nos mères nous disaient que ce n'était point grave, qu'il y aurait pire que cela dans la vie, que cette maîtresse indésirée deviendrait, en raison de qualités cachées, notre préférée! On disait alors "Maîtresse d'école".

-Qui t'enseigne cette année?
-C'est la maîtresse Bureau!

Le vocable "maîtresse" dura longtemps, presque tout mon primaire et une grand partie de mon Séminaire. Les syndicats de professeurs naquirent ensuite... Nos "maîtresses" devinrent des "Institutrices" et finalement des "Professeures". Elles portèrent un uniforme un certain temps. Qui n'a plus cours. Qu'elles avaient "l'air fin" dans leur uniforme à blouse blanche! Qui étaient-elles? De jeunes femmes, au début de la vingtaine, quelques-unes plus âgées, célibataires pour la plupart, car les femmes des années cinquante "restaient à la maison" quand elles se mariaient et enfantaient. D'où venaient-elles? Du même village. Des voisines, des cousines, les filles des "Messieurs" qui travaillaient avec Mutt à la Consol.

Non, je ne vous ai jamais oubliées, mes chères maîtresses, votre souvenir, dont vous m'avez imprégné, m'a suivi au cours du demi-siècle d'ensuite. Il n'y a pas d'année au cours de laquelle je n'ai pas pensé à vous, à votre sourire, à votre patience. Et jamais je n'ai caché que je vous ai toujours aimées et admirées. Votre patience, oui, votre ardeur et votre insistance. Endurer ces cancres de ma jeunesse qui ne comprenaient jamais rien. Répéter, répéter. Dieu que j'en ai entendu de ces répétitions destinées à ceux qui n'avaient pas compris du premier coup! Et pas une fois n'ai-je senti que vous les humiliassiez, que vous les méprisassiez. Sans compter que je savais que moi, j'étais votre préféré!

Je chercherai cet amour, ne le trouverai que rarement, au cours du reste de mes années d'étude. Ce seront des hommes, des Frères des Ecoles Chrétiennes, des prêtres séculiers du diocèse de Chicoutimi et des médecins laïques qui m'enseigneront par la suite. Les hommes de cette époque, faut-il l'écrire, ne savaient pas vous faire sentir qu'ils vous aimaient; cela, je ne l'apprendrai que beaucoup plus tard.  


Première année. Gertrude. M'enseigna la "souris qui fait i". Sous son égide, -"égide", c'était le nom du manteau d'Athéna, la déesse de la sagesse, la déesse tutélaire d'Athènes- je passai mes premiers examens. "C'est mon premier de classe" susurra-t-elle à sa soeur, qui lavait la vaisselle tout à côté. J'avais été malade, en effet, et n'avais pu me présenter aux examens. Gertrude m'avait donné rendez-vous à son domicile, le soir après souper, histoire que je ne rate pas mes examens. Verrions-nous ça aujourd'hui? De retour à la maison, assis dans la chaise berçante à côté du poêle à l'huile, je racontai l'histoire à ma mère qui sembla ne pas y croire: "La maîtresse a dit que j'étais son premier de classe!" Elle n'enseigna pas tellement longtemps, à ce que je sache. Se fit infirmière à Québec. Je ne l'ai jamais revue. Probablement décédée.

Deuxième année. Suzanne. Ses cheveux étaient crépus, d'un noir-corbeau. Je ne saurai, que bien des années plus tard, qu'elle était créole. Son père, Ernest, était venu de Martinique ou de Guadeloupe travailler à la Consol. Je deviendrai ami avec ses deux frères, Emile et Michel. Deuxième année sans histoire. Oh! Si! Ce petit garçon qui était assis dans le même banc que moi et que j'aimais bien... Il ne termina pas l'année. Malade. Bien des années plus tard, j'apprendrai qu'il avait souffert de tuberculose, qu'on l'avait envoyé au sanatorium. Il dut reprendre sa deuxième année deux ans plus tard.

Troisième année. Monique. Dieu qu'elle était belle. Toujours bien mise. Rouge à lèvre et parfum. Elle sentait bon. Elle était la soeur de ma tante. Je me rendis compte durant son année que les femmes existaient, et que je les aimerais. Elle se maria avec une espèce de taupin d'Arvida, un rustre, et toujours je me demanderais, sans doute par jalousie, ce qu'elle lui avait trouvé.

Quatrième année. Cécile. Sans doute celle qui m'aura le plus marqué. Par sa bonté, d'abord, laquelle transpirait de son être. Par sa patience et son insistance, ensuite: elle voulait tant que nous apprenions. Cécile, liras-tu jamais ce blogue? Tu me fis prendre conscience, -était-ce prémédité? par quelle prémonition?- des talents qui m'étaient venus avec la vie, un matin qu'après des semaines d'absence, j'avais pu quand même demeurer le premier de ta classe. Non, Cécile, je ne t'ai pas oubliée. Je penserai à toi tout au long des cinquante années suivantes. Mon souvenir aura été bourré de respect  pour ce que tu fus pour moi. Nous perdîmes un élève, cette année-là. Roger... Tumeur au cerveau. Mon premier contact avec la mort. Malade peu avant Noël, il n'était plus là au retour, après le Jour de l'An. Ma mère avait été élevée à côté de la maison familiale de son père. Il n'y avait pas de salons mortuaires à cette époque, de sorte que toute la classe défila à la queue leu leu devant le cercueil de Roger dans le salon familial. Te rappeles-tu, Cécile, de cet après-midi où j'avais laissé une gomme sur le siège de Serge G. qui étrennait de belles culottes d'étoffe? Il en était fort offusqué, pour ne pas dire enragé. Quant à toi, tu n'étais pas très contente.

Cinquième année. Année curieuse. Victorine. Elle ne termina point l'année. En fait, elle la débuta à peine. Une blondinette. Toute petite. Elle peinait à obtenir en classe qu'on l'écoutât. Que devint-elle? Mystère et boule de gomme! En tout cas, chère Victorine, c'est à toi que je suis redevable d'avoir fréquenté une première fois l'Encyclopédie. Tu m'avais apporté ces gros livres de ton domicile. Et, je t'ai toujours respectée par la suite. Nous avons eu quelques remplaçantes les semaines qui suivirent. Après Noël, si ma mémoire ne me joue pas de tour, c'est Cécile qui termina l'année de Cinquième.

Sixième année. Marguerite. Je te prie, Marguerite, pardonne-moi. Je ne fus pas un élève très gentil. En fait, il me manqua cette année-là la plus grande qualité de l'élève, selon Thomas d'Aquin: la DOCILITE. J'étais, comme disait ma mère, rendu à l'âge ingrat. Vers la fin de l'année, je fis part à Marguerite que mon frère et moi entendions jouer au golf l'été qui s'en venait. Elle me dit qu'ils avaient à la maison des bâtons de golf à vendre. Je relayai l'information à Mutt et Lulu. C'est ainsi que nous achetâmes des bâtons de golf en bois. Oui, en bois! Les tiges étaient de bois fabriquées. Les cuillers étaient en fer, un fer un peu simpliste, un peu primaire, par les standards d'aujourd'hui. Dédé et moi partagions un sac et nécessairement nous allions jouer ensemble. Nous apprîmes le golf tout seuls. Dès les débuts, je développai un "slice" qui me suivrait des années et j'en serais des années humilié! Le Taon, notre jeune frère, troqua ces bâtons de bois en notre absence, quelques années plus tard. Tu n'aurais jamais dû, Le Taon, car j'en ai vu de semblables au musée du golf à St-Andrews.

Voilà. Comment conclure? Je crois avoir tout dit. Le pire, c'est de ne les avoir jamais revues. De n'avoir jamais eu l'occasion de dire "Merci! Merci mille fois, du meilleur de moi-même!" Sauf à Cécile, que j'ai rencontrée à quelques reprises et pour laquelle j'aurais grimpé l'Everest. Auront-elles jamais su qu'elles m'ont accompagné toute ma vie d'adulte et que je leur suis redevable d'un bonne partie de ce que je suis devenu?

Delhorno

vendredi 23 janvier 2009

1759

C'est à la petite école, au collège Saint-Edouard, que j'ai eu vent de l'affaire. Les Français, dont nous avions été, étaient les bons. Les Anglais étaient les méchants, nos ennemis et des sans-coeur  dont les descendants habitaient maintenant sur les hauteurs de Port-Alfred et commandaient à nos parents à la Consol. Les Français auraient été trahis par un des leurs, qui aurait dévoilé aux Anglais comment monter sur les Plaines. A partir d'alors, nous avions été les vassals des Anglais, qu'il fallait détester.

Ce n'est que plus tard, au fil des ans et des lectures, que j'apprendrai la vérité.
1. La Batailles des Plaines fut perdue par les Français en raison de leur propre incurie. Le Canada et l'Amérique Française du Nord n'intéressaient que fort peu le roi de France, qui n'y fit point parvenir les navires,  les troupes et l'intendance nécessaires à sa défense.
2. Les Français n'étaient pas blancs comme neige dans cette affaire: ils avaient sévi en Nouvelle-Angleterre, attaquant les villages et massacrant les populations de concert avec les Sauvages.
3. La tactique du marquis de Montcalm, ce matin de septembre, est discutable: n'aurait-il pas pu laisser les Anglais hors les murs et les laisser geler dehors davantage. N'a-t-il pas précipité le combat?
4. Le Canada n'était pas perdu après les défaites de 1759 et 1760. La France, qui eut le choix, préféra garder la Martinique et la Guadeloupe.
5. Nos ancêtres, quelques années plus tard, firent front commun avec les vainqueurs anglais quand les Américains attaquèrent au sud de Québec et à Châteauguay, sous prétexte de libérer les Canadiens.
6. Le sang de plusieurs Québécois actuels est "contaminé" du sang des vainqueurs de 1759: ceux-ci, en grand partie, restèrent parmi nous et marièrent des Québécoises. Les Blackburn, par exemple, qui ont proliféré en Charlevoix et au Saguenay.
7. Ce sont malheureusement des Anglos qui ont bâti le Saguenay que nous connaissons. Nous n'étions que des cultivateurs sans-le-sou jusqu'à l'arrivée des papetières et d'Alcan. Ils ont changé le mode de vie chez nous. C'est à leur exemple que nos fils sont devenus ingénieurs et comptables.
8. Les Anglos nous ont apporté le golf, le curling et leur langue. Qu'y a-t-il de mal à parler deux, et plus de deux langues?
9. La civilisation anglo-américaine est, à bien des égards, admirable et comparable, sinon supérieure à celle des Français de France.
10. On commémore annuellement en Europe des batailles célèbres: Waterloo, Austerlitz. Des "belligérants" des deux côtés, gagnants comme perdants, s'y rendent spontanément. Je n'ai pas entendu le Président français déchirer sa chemise sur la place publique parce que des Français revêtaient les uniformes de l'Empire pour aller revivre Waterloo contre Prussiens, Russes et Allemands.

La Péquiste Agnès Maltais et plusieurs politiciens québécois fustigent présentement ceux qui vont participer ou simplement regarder une reconstitution de la défaite de 1759. Ont l'air d'oublier que, bien reconstituée, la défaite des Plaines pourrait se transformer en victoire sur le plan économique et touristique... Finalement, en ce qui me concerne, la défaite de 1759 est oubliée et enterrée. J'admire Français et Anglais, dans ce qu'ils ont de mieux, je parle les deux langues, et... "JE ME SOUVIENS QUE, NE SOUS LE LYS J'AI GRANDI SOUS LA ROSE."

lundi 19 janvier 2009

L'UNIVERS M'EMBARRASSE...

...ET JE NE PUIS SONGER
QUE CETTE HORLOGE EXISTE
ET N'AIT POINT D'HORLOGER.



C'est de Voltaire. Titre ronflant, probablement même prétentieux, quand mon lecteur jaugera la hauteur et la profondeur de mon propos du jour. En d'autres termes, qui tire les ficelles?  Mais surtout, y a-t-il vraiment quelqu'un qui tire les ficelles?



Je jouais du saxophone baryton dans l'orchestre de jazz du Petit Séminaire entre 1961 et 1965. Saxophoniste médiocre, j'aimais néanmoins la musique. Je n'avais pas encore compris à cet âge qu'il faut mettre du temps pour atteindre l'excellence. J'ai saxophoné quatre ans en effleurant mes partitions, sans pratiquer mes solos plus qu'il ne fallait, coupable donc de maints silences durant les prestations de l'orchestre, imputable de plusieurs fausses notes. Mais là n'est pas mon propos.



J'aimais le jazz. Pas facile, à l'époque, d'en dénicher des partitions à Chicoutimi. En fouillant dans les archives de l'orchestre, tout à fait par hasard, j'aperçus un cahier jaune défraîchi, dont plusieurs pages étaient collées les unes aux autres. Comment ce cahier délavé, défraîchi, repoussant même, attira-t-il mon regard? "SWING STUDIES", tel était le titre. Partitions pour saxophone. La musique du Régiment du Saguenay venait tout juste de me prêter un saxophone ténor. Le cahier tombait du ciel! Un morceau entre autres m'appâta: BAYOU BALLAD. Pas de dièse, pas de bémol, rythme régulier, un blues standard. J'arrachai le consentement du directeur: il me prêta le cahier, que j'apportai tout de suite chez moi. Il ne le revit jamais.

SWING STUDIES comportait une quinzaine de pièces. BAYOU BALLAD fut le seul morceau que je fus capable d'interpréter. Les autres étaient, pensai-je alors, beaucoup trop difficiles. Peu de temps après, quittant le Saguenay, je dus remettre mes saxophones. Mes feuilles de musique restèrent chez mes parents, qui les conservèrent minutieusement. Québec, Minneapolis, Chicoutimi, Montréal, Chicoutimi, tel fut mon parcours. A la mort de mon père, ma mère me demanda de prendre avec moi les souvenirs du passé; ils gisaient dans des boîtes de carton dans le sous-sol. SWING STUDIES faisait partie du lot! Je n'avais plus de saxophone... La musique, j'avais remisé ça bien loin dans la liste de mes priorités! J'ignore ce qui se passa. Incapable de jeter SWING STUDIES, ainsi que quelques autres feuilles de musique. Je n'avais pourtant aucune intention de... La boîte me suivit...

Noël 2007. Quarante ans plus tard! Je simili-réveillonne à Québec, chez mon frère cadet. La plus jeune de ses filles me montre son saxophone alto. Je l'essaie, à tout hasard. Je retombe en amour sur-le-champ. On est obligé de m'arrêter. Ma musique enterre les conversations. Je me dis que j'aurais maintenant le temps de pratiquer...

Quelques mois plus tard, j'acquérais un saxophone alto. Il me fallait reprendre à zéro. J'avais besoin des cahiers de mon adolescence, ces cahiers qui ne m'avaient jamais quitté! Je les retrouvai quelque part dans le sous-sol de ma maison. SWING STUDIES y était, ainsi que les deux sonates de Mozart que j'avais tant aimées! Et je me mis à pratiquer. "Quarante ans trop tard", me disaient mes doigts arthritiques. Tu sais quoi, lecteur? Quarante ans trop tard, j'arrive à jouer presque toutes les pièces de SWING STUDIES.

Dis, lecteur, qui tire les ficelles? Y a-t-il un horloger?

Delhorno

dimanche 18 janvier 2009

CE QU'IL FAUT POUR VIVRE

Titre du film. Va représenter le Canada à la prochaine cérémonie des Oscars. Benoit Pilon, le cinéaste. Tout ça ne me disait pas grand'chose, jusqu'à ce que je visse quelques images prémonitoires à la télévision. Cet Inuit. Nous disions "Esquimau", il n'y a pas si longtemps. Une scène de mon passé d'étudiant en médecine me revint subitement, que j'avais pour ainsi dire complètement occultée de mon âme...

1967 ou 1968. Hopital du Saint-Sacrement. Rue Sainte-Foy. Québec. Je suis en troisième année du cours de médecine. On commence à nous introduire dans les hôpitaux. Nous y pratiquons l'acquisition de l'anamnèse (histoire du cas) et nous familiarisons avec l'examen physique.

Ce matin-là, nous sommes une dizaine d'étudiants. Insouciants. Insouciance de la jeunesse. Pourquoi nous étions là, ce matin-là, je l'ai complètement oublié. A un moment donné, l'instructeur nous annonce que nous allons pratiquer la technique du toucher rectal et de la palpation prostatique. Nous sourions bêtement, un peu nerveusement. Certains y vont de tirades sarcastiques.

Il nous emmène donc dans cette grand'salle triste et sombre, vestige d'une autre génération. L'infirmière nous apporte des gants caoutchoutés ainsi qu'une gelée adoucissante qui va faciliter l'examen. Il se déporte ensuite vers un lit retiré dans le fond de la salle. Le patient est un Esquimau! C'est le premier que je vois en chair et en os depuis ma naissance! Indélicatement, l'instructeur -c'est un médecin, ne pas l'oublier- ordonne au monsieur de se tourner sur le côté gauche et de baisser son pyjama. Il s'exécute, d'un sourire que jamais je n'oublierai. Nous voilà donc, les dix étudiants en médecine, en train d'enfoncer notre index. L'homme du Nord ne dira pas un mot, n'élèvera pas la voix, jamais ne s'objectera. Moi, je m'exécuterai, maladroitement, nerveusement, et me retirerai aussitôt pour donner l'accès au suivant. Je ne crois pas avoir remercié le monsieur. J'oublierai ces instants aussitôt, et ce n'est que beaucoup plus tard, quand j'aurai lu davantage, quand j'aurai vu mourir, que je me mettrai à réfléchir.

Pas un Québécois de souche n'aurait accepté de se faire servir un toucher rectal par dix étudiants à la queue-leu-leu... Cela, l'instructeur le savait très bien. Il avait profité de la faiblesse de l'Inuit pour lui imposer cette humiliation. Je suis sûr et certain que l'instructeur n'a jamais imaginé qu'il était en train d'humilier un homme. Plutôt, il était fier de son coup, car sans cela il lui aurait fallu trouver dix Pure-laine qui, chacun, auraient accepté un toucher rectal à des fins d'enseignement. L'Inuit ne disait pas un mot de français, baragouinait l'anglais comme un Basque l'espagnol; il était si loin de ses banquises. Quant à nous, comme des nigauds, nous ne protesterions pas, et je doute qu'aucun d'entre nous ne mettrait jamais en cause la moralité du geste. Car, c'est le point de mon écrit du jour, il s'est agi ce matin-là d'un beau cas de ségrégation raciale, d'un magnifique exemple d'irrespect de la personne. Je n'ose repenser à mon ineptie de ce matin-là... Je n'aurai réagi que quarante ans plus tard, quarante ans ans trop tard.

A vingt-quatre ans, j'ignorais que les Inuit étaient venus en Canada de Sibérie à une époque où le détroit de Béring était gelé, il y aurait de ça vingt mille années. Je ne m'étais jamais rendu compte du fait que ces hommes et ces femmes avaient survécu dans cet univers hostile, que des générations de leurs ancêtres étaient morts de faim et de froid. J'étais loin de comprendre que la simple présence de cet Inuit dans un lit obscur de l'Hôpital du Saint-Sacrement témoignait d'une épopée admirable. Aurais-je dû savoir sur-le-champ que notre Inuit était notre égal et que jamais nous n'aurions dû lui imposer une humiliation qu'un Pure-laine n'aurait acceptée?

J'irai voir ce film avec le plus grand des respect, et une teinte de honte.

Delhorno