jeudi 22 mars 2012

LA FANFARE DU RÉGIMENT DU SAGUENAY

Encore une fois, Gibus, je te parlerai d'un autre temps.  Début des années soixante,  je n'avais pas vingt ans.  Sans doute influencé par le passé «Muttien»,  j'avais appris à jouer de la clarinette et du saxophone.  Assuétude...  Quel beau mot pour enjoliver ma dépendance à ces deux instruments!  Orchestre de jazz du Petit Séminaire, fanfare de Port-Alfred, fanfare du Régiment du Saguenay: c'est là que mes soirées et mes semaines s'égrenèrent, sous l'égide de messieurs Potvin et Simard.

Contrairement à ce qui se passe ces temps-ci, on ne parlait pas d'argent alors!  Il n'était jamais question de budget, d'économie, de faillites.  Les ministres des Finances étaient de purs inconnus. Tout le monde arrivait serré, mais tout le monde mangeait trois repas par jour.  Seules quelques grosses «légumes» et la tante Jeanne d'Arc trouvaient le moyen de passer le mois de mars en Floride.  

Le Régiment du Saguenay avait sa fanfare au temps que je vous parle!  Des uniformes semblables à ceux du 22e Régiment: pantalons noirs, veston rouge-vermeil, calotte noire et souliers à l'avenant.  Il ne manquait que le casque de poil noir.  L'intendance nous fit venir à Chicoutimi un soir de semaine pour nous équiper.  Pas question d'autobus ou de taxi!  C'est dans la benne d'un camion vert-foncé des forces terrestres que nous fîmes le trajet.  À peu près comme on voit dans les films de guerre.  Un examen physique sommaire, que je passai haut la main.  Le magasinier me remit cet uniforme qui m'était inconnu,  mais qui m'irait comme un gant.   Ah! La force d'un uniforme!  Je me sentais comme un titan dans cet habit!  

J'en viens au fait que je veux te raconter, Gibus.  Au début de l'été, le Régiment nous annonça notre inscription à un festival de fanfares qui se tiendrait au Colisée de Québec.  Il était question d'une pièce musicale que toutes les fanfares joueraient ensemble, mais aussi d'une parade au cours de laquelle nous jouerions notre morceau-fétiche.  Je n'avais jamais paradé de façon militaire: nous ne pratiquions que notre musique à Port-Alfred.  Arrivés dans l'enceinte du Colisée,  nous nous mîmes en formation.  Il fallait aller d'un bout à l'autre de la patinoire en jouant notre musique et retourner sur nos pas.  Toutes les fanfares tournaient en rond, sur leur gauche ou sur leur droite. 

Nous ferions autrement...  Nos vétérans s'installèrent au-devant et nous enjoignirent de les suivre.  Ils avaient en tête une façon de retourner sur nos pas que personne n'imiterait ce soir-là.  Tout baigna dans l'huile, même si nous, les recrues n'avions jamais pratiqué cela.  Arrivée au fond de la patinoire, chaque ligne de musiciens ferait un 180 degrés, chaque musicien jouant sa partition.  On nous applaudit à tout rompre, ce que je ne comprenais pas, tellement j'étais concentré à suivre le joueur de saxophone soprano.  

Je n'ai jamais oublié cette soirée...  L'habit d'abord, que nous n'endossions que rarement (même si l'habit ne fait pas le moine!);  mon régiment, ensuite, le Régiment du Saguenay, dont j'étais si fier;  les vertus de l'expérience,  celle de nos vétérans musiciens, finalement.  Ces gars-là nous permirent de nous illustrer ce soir-là.

La musique du Régiment du Saguenay a cessé d'exister, emportée par les compressions budgétaires, un phénomène que nous ignorions au début des années soixante et dont personne ne parlait.  N'empêche que...

Delhorno