Deux vendeurs de billets libéraux -golf et cocktail- auraient fait des pressions indues, colossales, voire inqualifiables, pour que Ti-Jean Latour soit nommé juge, qu'il accède à la magistrature. Au nom de quelle logique, conséquemment, un «vulgaire» ramasseur d'argent à la solde du parti Libéral aurait-il son mot à dire dans le processus de nomination des juges? Voilà la question, voilà le dilemme! D'où la genèse de cette Commission Bastarache, présidée par l'ex-juge du même nom, autrefois de la Cour Suprême du Canada.
Je veux bien, moi, que les juges soient choisis de la manière la plus impartiale possible, selon les meilleurs critères d'éligibilité et de compétence. Pourtant, à bien y penser, l'impartialité absolue, la compétence absolue, la justice la plus juste, sont-ce là des objectifs raisonnables, atteignables dans cette vie? Je ne cesse de me poser cette question depuis le début de la démarche Bastarache. Sans cesser non plus de me regarder devant mon miroir, sans cesser surtout de réviser mon passé...
J'aurai donc passé l'entièreté de ma vie professionnelle à me débattre pour mes patients. Mes idéaux? La précision diagnostique la plus précise, la rapidité diagnostique la plus rapide, le traitement le plus à point, le suivi le plus respectueux possible. En un mot? Le mythe de Prométhée! Atteindre des hauteurs prométhéennes dans le simple exercice d'un métier, d'une profession.
Qu'ai-je donc fait? J'ai privilégié ma clientèle, sans grande considération pour celle d'autrui, sans égard aux listes d'attente qui parasitent le système québécois de distribution des soins de santé. En 35 ans de carrière, j'ai commis tous les péchés:
-j'ai obtenu des tomographies axiales, des résonances magnétiques et des échographies en passant par-dessus des dizaines de patients inconnus
-j'ai obtenu des tests de médecine nucléaire en prétextant l'urgence et l'incontournabilité
-j'ai requis des consultations à des confrères en les manipulant de façon préméditée
-j'ai opéré des parents, des amis, des connaissances en faisant fi des listes d'attente
-j'ai ordonné des gastroscopies et des colonoscopies sans que jamais mes commettants ne fassent la queue comme les autres
-j'ai demandé des mammographies le jour même avec l'unique motif de libérer ma patiente de l'anxiété qui la tenaillait
-j'ai péché par ségrégation: les mères de famille m'ayant toujours fait pitié, donc, je leur ai toujours réservé les meilleures places
Ce faisant et pour arriver à mes fins, j'ai soudoyé des secrétaires, des techniciens, des infirmières et des médecins; j'ai trafiqué des requêtes de manière qu'on ne pût les retarder; j'ai réitéré des demandes et des appels téléphoniques, pour ne point qu'on me refusât, pour ne point qu'on m'oubliât. J'ai fait le Renard pour que le Corbeau lâche son fromage. Je n'ai jamais pensé qu'il y avait le moindre degré d'injustice dans mes démarches. En vérité, je me trouvais pas mal débrouillard...
Et jamais, au grand jamais, me suis-je senti coupable d'avoir agi de la sorte, moi dont le seuil de culpabilité s'est avéré longtemps plus bas que je ne l'aurais désiré. En fait, j'ai été plutôt fier de moi toutes ces années, d'avoir pu ainsi trafiquer la mécanique du système de santé et l'intégrer dans la poursuite de mes objectifs thérapeutiques.
Je me dis que si un «vulgaire» ramasseur d'argent du Parti Libéral n'a pu se permettre impunément de suggérer la nomination de l'avocat Ti-Jean Latour à la magistrature, je suis passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité pour avoir, pendant trente cinq années, priorisé mes patients, mes amis, mes parents, au détriment des listes d'attente, des listes prioritaires, des directives du Ministère, de l'esprit égalitaire de la Loi québécoise qui préside à la prestation des soins de santé.
À perpétuité? Certes oui, car je ne regrette rien.
Delhorno