mardi 21 septembre 2010

EMPRISONNEZ-MOI

Il n'y en a que pour la Commission Bastarache ces temps-ci...

Deux vendeurs de billets libéraux -golf et cocktail- auraient fait des pressions indues, colossales, voire inqualifiables, pour que Ti-Jean Latour soit nommé juge, qu'il accède à la magistrature. Au nom de quelle logique, conséquemment, un «vulgaire» ramasseur d'argent à la solde du parti Libéral aurait-il son mot à dire dans le processus de nomination des juges? Voilà la question, voilà le dilemme! D'où la genèse de cette Commission Bastarache, présidée par l'ex-juge du même nom, autrefois de la Cour Suprême du Canada.

Je veux bien, moi, que les juges soient choisis de la manière la plus impartiale possible, selon les meilleurs critères d'éligibilité et de compétence. Pourtant, à bien y penser, l'impartialité absolue, la compétence absolue, la justice la plus juste, sont-ce là des objectifs raisonnables, atteignables dans cette vie? Je ne cesse de me poser cette question depuis le début de la démarche Bastarache. Sans cesser non plus de me regarder devant mon miroir, sans cesser surtout de réviser mon passé...

J'aurai donc passé l'entièreté de ma vie professionnelle à me débattre pour mes patients. Mes idéaux? La précision diagnostique la plus précise, la rapidité diagnostique la plus rapide, le traitement le plus à point, le suivi le plus respectueux possible. En un mot? Le mythe de Prométhée! Atteindre des hauteurs prométhéennes dans le simple exercice d'un métier, d'une profession.

Qu'ai-je donc fait? J'ai privilégié ma clientèle, sans grande considération pour celle d'autrui, sans égard aux listes d'attente qui parasitent le système québécois de distribution des soins de santé. En 35 ans de carrière, j'ai commis tous les péchés:
-j'ai obtenu des tomographies axiales, des résonances magnétiques et des échographies en passant par-dessus des dizaines de patients inconnus
-j'ai obtenu des tests de médecine nucléaire en prétextant l'urgence et l'incontournabilité
-j'ai requis des consultations à des confrères en les manipulant de façon préméditée
-j'ai opéré des parents, des amis, des connaissances en faisant fi des listes d'attente
-j'ai ordonné des gastroscopies et des colonoscopies sans que jamais mes commettants ne fassent la queue comme les autres
-j'ai demandé des mammographies le jour même avec l'unique motif de libérer ma patiente de l'anxiété qui la tenaillait
-j'ai péché par ségrégation: les mères de famille m'ayant toujours fait pitié, donc, je leur ai toujours réservé les meilleures places

Ce faisant et pour arriver à mes fins, j'ai soudoyé des secrétaires, des techniciens, des infirmières et des médecins; j'ai trafiqué des requêtes de manière qu'on ne pût les retarder; j'ai réitéré des demandes et des appels téléphoniques, pour ne point qu'on me refusât, pour ne point qu'on m'oubliât. J'ai fait le Renard pour que le Corbeau lâche son fromage. Je n'ai jamais pensé qu'il y avait le moindre degré d'injustice dans mes démarches. En vérité, je me trouvais pas mal débrouillard...

Et jamais, au grand jamais, me suis-je senti coupable d'avoir agi de la sorte, moi dont le seuil de culpabilité s'est avéré longtemps plus bas que je ne l'aurais désiré. En fait, j'ai été plutôt fier de moi toutes ces années, d'avoir pu ainsi trafiquer la mécanique du système de santé et l'intégrer dans la poursuite de mes objectifs thérapeutiques.

Je me dis que si un «vulgaire» ramasseur d'argent du Parti Libéral n'a pu se permettre impunément de suggérer la nomination de l'avocat Ti-Jean Latour à la magistrature, je suis passible d'une peine d'emprisonnement à perpétuité pour avoir, pendant trente cinq années, priorisé mes patients, mes amis, mes parents, au détriment des listes d'attente, des listes prioritaires, des directives du Ministère, de l'esprit égalitaire de la Loi québécoise qui préside à la prestation des soins de santé.

À perpétuité? Certes oui, car je ne regrette rien.

Delhorno

mercredi 8 septembre 2010

LA PÉNIBILITÉ

Cliché: Il n'y a pas d'âge pour apprendre!

Ça m'est tombé du ciel hier soir. En lisant Le Figaro électronique. «PÉNIBILITÉ». Première fois de ma vie. Je me suis bien douté que le mot touchait de près l'adjectif «PÉNIBLE» et qu'il s'apparentait, quant à la forme, à d'autres substantifs comme DÉBILITÉ, HABILETÉ, COMMODITÉ , CUPIDITÉ.

Le mot PÉNIBILITÉ, il te faudra, Gibus, l'utiliser dans le contexte du travail. Ainsi, constatant qu'un emploi est pénible, tu pourras en évaluer et doser la pénibilité, pour finalement et possiblement inscrire un «indice de pénibilité». La pénibilité d'un emploi manuel -travail de ligne de montage avec gestes répétitifs par exemple- serait plus importante que celle d'un travail de pousse-crayon. Conséquemment, les emplois pourraient être gradés selon leur indice de pénibilité. Et possiblement rémunérés en conséquence...

Une telle démarche pose cependant un énorme problème: la pénibilité d'un emploi ne peut souvent être qualifiée que vingt ou trente ans après l'embauche d'un travailleur. Un bon exemple? Problèmes à la colonne lombaire chez un conducteur de fardiers quinquagénaire. Souvent, la pénibilité d'un travail varie selon le travailleur: selon son génome et ses effets sur son corps. Les hommes n'ont pas tous la même résistance à des challenges identiques.

Il y a aussi la pénibilité que je qualifierais d'hypothétique: la probabilité plus ou moins grande que tel travail soit susceptible d'impliquer un travailleur dans un accident. Pénibilité...

Delhorno





mardi 7 septembre 2010

L'AMI PERSONNEL

Les amis «personnels» pullulent ces temps-ci. Dupont et Dupont diraient même qu'ils foisonnent. Et j'oserais ajouter qu'ils sont devenus monnaie courante. J'en prends pour preuve cet interviewé qui, à propos d'une connaissance dont nous avons déploré la noyade récente, s'est dépêché d'annoncer aux téléspectateurs:
-Je suis profondément attristé, car c'était un ami «personnel».

A tous les deux jours le petit écran nous présente un hurluberlu dont le premier réflexe, à propos de tel ou tel quidam, est celui de statuer ainsi:
-C'est un ami «personnel»

Il me faut t'avouer, cher McPherson, que l'expression m'irrite au plus haut point... Depuis quand, en effet, faut-il dire qu'un ami est «personnel»? Y a-t-il des amis «impersonnels»? Qu'est-ce qui définit l'ami «personnel»? L'amitié n'est-elle pas, par définition, «personnelle» et n'aurions-nous pas affaire là au plus surabondant des pléonasmes? A contrario, pourrait-il s'agir là d'un anglicisme qui n'aurait pas croisé ma route jusqu'à maintenant?

L'ami «personnel», pour peu que j'y réfléchisse, me semble être un «grand» ami, LE grand ami, qu'il faut différencier des amis plus lointains, qui pourraient n'être que des collègues de travail, des voisins, des amis d'enfance longtemps oubliés, des relations d'affaires ou de simples convives à la cafétéria de l'hôpital. Combien d'amis «personnels» pouvons-nous compter? Peu, il me semble. Car cette sorte d'amitié, la véritable, il faut le dire, me paraît exclusive: elle requiert du temps, de la patience, du travail, et l'on ne saurait diviser à l'infini l'énergie qu'elle requiert.

L'amitié dite «personnelle» se distingue-t-elle de la vraie amitié? Celui qui nous présente un ami «personnel» cache-t-il dans son hangar un autre ami, le vrai celui-là, l'Alter Ego des Anciens? Il semblerait que non, car le possesseur d'un ami «personnel» ne prendrait pas la peine d'adjoindre à AMI l'adjectif PERSONNEL.

Les amis «non-personnels» ne seraient donc pas de véritables amis; ils seraient ce que je t'ai dit plus haut: des connaissances reliées à la géographie, au travail, aux loisirs ou aux affaires.

Je ne te cacherai pas tout de même, McPherson, le fond de ma pensée. Tu comprendras alors les motifs véritables de mon irritation. J'opine que le détenteur d'un ami «personnel» n'a rien compris de l'amitié. Car l'amitié, dans son essence même, n'est rien d'autre que personnelle. L'amitié exclut au départ les autres formes de relations humaines. A moins que le détenteur d'un ami «personnel», comme monsieur Jourdain, fasse de l'amitié sans le savoir!

Nous sommes tout près de Sénèque, ici:
«JE T'EN CITERAI BEAUCOUP QUI N'ONT PAS MANQUÉ D'AMIS, MAIS À QUI L'AMITIÉ A MANQUÉ.»

Delhorno