Désert de Tunisie. Il y a de ça une dizaine d'années. Je rêvassais...
Le pays des Carthaginois. Ce que le frère Raymond m'avait enseigné en 1957: Jugurtha, les guerres puniques, Marius, Hamilcar Barca, Hannibal, Carthage, Caton l'Ancien, «Carthago delenda est», Cannes, les délices de Capoue, le lac Trasimène, les éléphants de combat...
C'est alors que je vis ses souliers. Gris, mous, mince semelle de caoutchouc, motif punique sur le dessus. Je lui demandai où il les avait pris.
-On les fabrique ici, tout près, dans la ville que tu vois là-bas.
-Est-ce facile d'en acheter?
-Si. J'irai t'en chercher une paire cet après-midi. Quelle est ta grandeur?
Lui, c'était notre guide. Trois dromadaires. Un pour elle, un pour moi, un pour lui. Excursion que je n'oublierai pas de sitôt. Il parlait un excellent français, mais ne comprenait rien de ce que je lui disais. Paradoxalement, il comprenait tout du langage de Francine! L'affaire tenait du burlesque. Ma femme et moi venons de la même ville saguenayenne et parlons le même accent. Au détour d'une dune, il osa même demander à Francine quelle langue je parlais!
Toujours est-il qu'en début de soirée il m'arriva avec ma paire de souliers en peau de dromadaire. Ils m'allaient comme un gant et c'est en leur compagnie que je terminai ma visite du pays d'Hannibal Barca.
L'année d'après, j'apporterais mes souliers de peau de dromadaire à mon condo de République Dominicaine. Souliers idéaux pour un pays chaud! En avril, sur le point de retourner au Québec, je les laissai dans le placard de la grand'chambre, certain qu'ils y seraient en sûreté. Six mois plus tard, début novembre, ils avaient disparu! Durant l'été, des ouvriers haïtiens avaient effectué des réparations au condo Once. L'un d'entre eux, sans l'ombre d'un doute, s'était épris de mes souliers puniques. Chaque fois que je regarde ce placard, je cherche en vain mes souliers désertiques et ne cesse d'interroger le néant:
-Comment un homme peut-il en arriver à voler les souliers d'un autre homme?
On peut bien voler de l'argent, une montre, un vélo, une tarte ou des galettes sur le bord d'une fenêtre. Mais les souliers d'un autre? C'est la deuxième fois qu'en République Dominicaine on me vole mes souliers!
Mon frère Gilles me répondrait sans doute:
-C'est la loi des vases communicants qui s'applique ici, mon cher Delhorno. Si on t'a volé tes souliers, c'est que tu en avais une paire de trop!
Delhorno