lundi 18 janvier 2010

ENCORE: CAMPBELLTON, L'ACADIE, LE FRANÇAIS

Je sors de chez Walmart. Le Walmart d'Atholville. Atholville est la ville jumelle de Campbellton; elle a construit, dans une cuvette qui séparait jadis les deux villes, un centre d'achats qui a fait son bonheur financier. On y retrouve toutes les grandes chaînes et... Walmart. Oui, je sais, plusieurs de mes lecteurs détestent Walmart. Mais là ne se situe point mon sujet.

Il me fallait des bas chauds avec fort pourcentage de laine ainsi qu'un peignoir de bain. Walmart est à peu près le seul magasin à la ronde où je pouvais escompter trouver ces articles à bon prix.

M'y voici donc. Le stationnement est bourré d'autos, un lundi après-midi. Froid de canard qui sévit dans cette cuvette du bout du monde. Je me dis que les syndiqués canadiens détestent Walmart et qu'ils la font vivre malgré tout.

Je trouve aisément ce que je cherche: des bas avec 40% de laine, un peignoir à quinze piastres. J'ai beau essayer d'acheter du «Fabriqué au Canada», c'est impossible. Tout vient de Chine. J'achèterai donc, encore une fois, du Chinois... Pourtant, nous avions coutume de tricoter de bons bas chauds...

J'arrive chez les caissières...
-Bonjour, Madame!
-Euh!...

Elle ne parle qu'anglais, l'animale. Je m'en doutais, rien qu'à voir son regard mécanique, ses yeux morts et son sourire inexistant.

Elle règlera la transaction, pitonnant et pianotant sa panoplie de machines, sans jamais me sourire, sans oser dire «Merci!», sans tenter une petite locution française, ne serait-ce que pour faire plaisir. Je la quitte sur un beau:«Bon après-midi, Madame», sans comprendre qu'on puisse vivre cinquante années aux côtés d'une majorité de parlants français et ne pas réussir à leur adresser quelques mots dans leur langue.

Me voici devant la porte de sortie. Il y a, sur ma gauche, un hurluberlu qui s'active à quêter des deniers pour les Haïtiens. Il s'agite en anglais et j'allume aussitôt, sortant de ma poche la monnaie qui y reste.
-Avec plaisir, Monsieur!

Cet autre animal sera incapable de me remercier dans ma langue, et je ne comprendrai pas davantage. Quelle mouche les a donc piqués? Que n'ont-ils point digéré? Je me dis que moi, je vis quelques mois par année chez les Dominicains et que j'ai appris leur langue, question de respect, d'honneur, de savoir-vivre...

Je le sais, mon échantillonnage est maigre. Mais l'incongruité se répète inlassablement depuis les trois années que je viens ici. Je le sais. Tous ne sont pas dotés de l'appétit des langues, du don de les pouvoir apprendre. Les Anglos, tout comme les Francos, ont leurs spécimens bas-de-gamme. Comment, tout de même, comprendre?

J'ai soûpé avec mon fils hier soir. Il vit ici depuis bientôt trois ans. Il parle notre langue, l'anglais aussi, et baragouine un peu d'espagnol.
-Que ressens-tu, Ch., devant ces anglais qui n'ont pas fait le plus petit effort depuis huit générations qu'ils vivent aux côtés des Acadiens pour apprendre à dire BONJOUR, MERCI, COMMENT VAS-TU?
-Au début, j'étais insulté, sans le laisser voir. Maintenant, je ne ressens que de la pitié, de la pitié, oui, pour l'infériorité qu'ils démontrent ainsi.

Delhorno