vendredi 23 avril 2010

ARRANGÉ AVEC LE GARS DES VUES...

J'ai dû me servir de ce régionalisme hier. Est-ce que ça se disait ailleurs au Québec dans le temps que ça se disait encore? Probablement. Mes parents, mes oncles, les Saguenéens, l'utilisaient fort souvent et avec contentement, du temps qu'ils respiraient encore et qu'ils savaient encore rire. On ne l'entend presque plus ces temps-ci. Seuls s'y risquent quelques sexagénaires nostalgiques comme Delhorno et encore faut-il que l'occasion s'y prête.

Donc, «arrangé avec le gars des vues» m'est tombé du ciel hier, sans que je ne le courtise vraiment, comme ça, comme un réflexe de Pavlov enfoui dans les profondeurs de l'âme. Une émission de télévision. Au Canal V. Un programme de sports. «L'ATTAQUE A CINQ». D'entrée de jeu, un des comparses se mit à invectiver son voisin, lui servant de l'AD HOMINEM à tour de bras, l'humiliant pratiquement sur la place publique, sans que l'enjeu n'en vaille tant la peine. Il ne s'agissait en effet que du Canadien de Montréal, qui était en train de se faire laver par Ovechkin et ses Capitals. Fr. en était bouleversée.
-Comment peut-on se comporter avec aussi peu de dignité et utiliser un langage presque ordurier? Pourquoi faut-il ainsi exécuter les gens?
...

C'est alors que mon régionalisme surgit soudain.

-Peut-être est-ce arrangé avec le gars des vues?

Oui. C'était possible. Pour rendre l'émission plus attrayante, plus attirante. Friser la violence verbale. Faire un spectacle. Comme on fait un film. L'un de ces combats "extrêmes», où le spectre de la mort rôde autour de la table. Plusieurs roseaux pensants se délectent du spectacle de la mort, réelle ou virtuelle. La fin justifiant les moyens, pourquoi ne pas oser l'impensable pour accroître la cote d'écoute? En tout cas... J'en suis resté à ce niveau de cogitation.

Fr. argue que «l'arrangement avec le gars des vues» est tout simplement hors de question, qu'il ne s'agit que de gladiateurs du placotage qui tout à coup, bêtement, perdent leur contenance.
Bon!
Moi, dans le fond, ce que j'aime dans tout ça, c'est mon régionalisme. ARRANGE AVEC LE GARS DES VUES. Parce qu'il me fait sourire. C'est l'image, la figure de style, qui m'accroche. Héritage anodin de ma phratrie. J'y sens, j'y revois, toute la coquinerie de Raoul, Mutt et Lulu, le sourire qui accompagnait ces mots pourtant simples et si peu sophistiqués:
-ÇA, ÇA DOIT ETRE ARRANGE AVEC LE GARS DES VUES!

Delhorno

mercredi 21 avril 2010

PARLER POUR PARLER

Ecoute bien ça, Gibus!

Dans les vases clos des colloques, congrès, conférences, confrontations, débats, tables rondes, se manfestent:
-ceux qui exposent
-ceux qui proposent
-ceux qui déposent
-ceux qui disposent
-ceux qui supposent
-ceux qui composent
-ceux qui transposent
-ceux qui apposent
-ceux qui opposent
-bref, ceux qui posent.

Devineras-tu jamais qui a écrit ça? De Gaulle, oui, Charles de Gaulle. J'ai trouvé ça dans l'un des Max Gallo sur le Général. J'en ai pouffé de rire. Et de contentement.

La radio de Radio-Canada. Ce matin. Un Français. Vient d'achever, paraît-il, un livre fameux. Sur l'agriculture. A découvert au début des années cinquante que nous n'allions nulle part avec cette agriculture basée sur la chimie. A découvert que nous dilapidions la terre. Or, tout ce que je viens de dire et qui est l'essentiel de son livre, c'est Christine Charette qui l'a énoncé! Le Français -il est l'expert- a passé cinq minutes -c'est long, cinq minutes, à la radio- à s'introduire, à raconter sa petite histoire au moyen d'une myriade de mots qui ne menaient nulle part. En bout de ligne, l'interview s'est terminée sans que l'expert ne nous ait raconté quoi que ce soit d'intéressant voire d'important. Il était venu à Radio-Canada "pour poser".

Je t'en supplie, Gibus, écoute minutieusement ceux qui un jour prennent la parole. Rares sont ceux qui ont vraiment quelque chose à dire. Et encore plus rares sont ceux qui connaissent L'INSTRUMENT, la LOGIQUE, celle d'Aristote. Les ondes sont surpeuplées d'adeptes du syllogisme vicieux, de sophistes. Ils sont les "ceux qui posent" du Général.

Delhorno

mardi 20 avril 2010

IL S'APPELAIT DANIEL



L'histoire est fabuleuse.
Laisse-moi donc
A grands traits
Te la brosser
Car seul je demeure
A pouvoir témoigner.

Il avait à peine
Vingt-trois années.
On nous le montra
Car il ne cessait
De dépérir.
Il achevait sa vie,
Assailli
D'un sarcome ténébreux
Qui grugeait
La droite
De ses deux hanches.


Rien n'y fit.
Ni la radiothérapie,
Pas même la chimiothérapie.

Nous fûmes trois:
Carrier, Letellier et Delhorno.
Nous l'extirpâmes.
Ce ne fut pas très sophistiqué...
Ça s'appelle une HEMIPELVECTOMIE.
Mais c'était tout,
C'était seulement,
Ce qui se pouvait.
C'était il y a vingt ans.

Il survécut.
Il put,
Tout ce temps,
Sur une jambe
Et un demi-bassin,
Marcher,
Déambuler,
Courir presque,
Et même gagner
Sa vie.
A tout faire
Et faire
A peu près
Tout.

Je l'avais oublié.

Il m'est revenu hier soir
Et j'en suis encore ému.
Enormément malade,
Comme si les Dieux
N'avaient pas eu leur victoire.
Une colite ulcéreuse
Sévérissime.
Hémorragique.
Du sang rouge-clair,
Transanalement,
Sans syncope,
Sans défaillir.

Avait vomi la veille.
Saigne-t-il
De sa colite ulcéreuse
Ou de son estomac?
Je le saurai bientôt
Et saurai te le dire.

Cette histoire est véridique. Ce petit homme que la vie avait horriblement mutilé s'en était sorti admirablement. S'arc-boutant sur sa béquille archaïque, il allait jusqu'à courir dans Chicoutimi -je le tiens de sa propre soeur. Vingt ans après, une colite granulomateuse -ce n'était pas une colite ulcéreuse- faillit l'emporter et je dus -comble de l'infortune- lui enlever tout le colon, le rectum et l'anus. Il sortit de l'hôpital avec un sac sur le ventre. Quand il me revint quelques semaines plus tard -l'accompagnait sa soeur, admirative et aimante, j'en suis certain, - il souriait. Mes yeux, cherchant un prétexte, se détournèrent et... s'embuèrent.

Daniel fait partie de ces grands hommes devant lesquels mon regard intimidé se tourne vers le sol.

Delhorno

lundi 19 avril 2010

MICHEL DE MONTAIGNE

"Le parler que j'aime, c'est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu'à la bouche; un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné comme véhément et brusque.»

Je te la dois, celle-ci, DD. Moi, je n'avais qu'effleuré Montaigne. N'en savais que ce que j'avais dû, pour l'examen, mémoriser dans le manuel de littérature française. Ce jour-là, DD, comme nous parlions de tout et de rien, tu me dis que tu achevais de lire les Essais. Ça me fit l'effet de la mouche du coche. Je les entamai donc, et pas très loin du début, je notai le paragraphe précité.
Montaigne a vécu dans le Périgord, tout près de Bergerac, la ville natale de Pierre Chantal, notre ancêtre maternel. Je suis passé par là jadis. J'ai bien noté la pancarte qui indiquait le château de Montaigne; c'était la fameuse tour qui m'attirait, sa bibliothèque, je ne l'avais point oubliée celle-là. Malheureusement, encor une fois, trop pressé, accompagné d'un oriental pour qui Montaigne ne valait pas le détour. Peut-être devrions-nous y aller ensemble un de ces quatre, DD?
Comment faut-il écrire? Comment faut-il parler? Y a-t-il une seule manière? Y a-t-il une bonne manière? Ecrire longuement ou brièvement? Ces longues descriptions qui n'en finissent plus, sont-elles le nec plus ultra? J'en ai tant connus qui prennent plaisir à nous emmerder des paragraphes de temps sans jamais ajouter ni au sens ni à la vérité.
Le "statement" de Montaigne est tombé à point dans ma vie. La vérité en effet doit s'exprimer simplement.
Delhorno

dimanche 18 avril 2010

PASTOR MARTIN NIEMÖLLER

Qu'on le veuille ou pas, il y a toujours une histoire derrière... Derrière ces bouts de phrase, ces aphorismes et ces poèmes qu'on transcrit ça et là, pour qu'ils aient oeuvre utile. Penser à l'ébéniste qui ne jette que rarement un bout de planche, surtout si la matière ligneuse est noble. Laisse-moi, Gibus, te raconter celle-ci. Veuille d'abord, si tu le désires, évidemment, lire ce poème attribué au pasteur Möller:
"First th
ey came for the socialists
And I did not speak out
Because I was not a socialist.
Then they came for the trade unionists
And I did not speak out
Because I was not a trade unionist.
Then they came for the Jews,
And I did not speak out
Because I was not a Jew.
Then they came for me,
And there was no one left to speak for me."



Juillet 1999. La Chercheuse Verticale s'est déniché un emploi d'été à Washington, à l'Ambassade du Canada. Il s'agit de l'ALENA. Il me fallut donc, impérativement, descendre à Washinton. Partis de bon matin, nous abordâmes vers dix-sept heures les faubourgs de la Capitale. Nous attendait dans Georgetown un petit hôtel sublime, que nous n'oublierions pas. La Chercheuse devait travailler... ce qui nous laissait de grandes journées à remplir. Washington est belle, elle est vraiment belle. Visite de la Maison Blanche, donc, du Capitole et des alentours, du cimetière que vous savez, Arlington, où Kennedy est enterré, de quelques musées aussi. Notre ambassade, évidemment. Ironie du sort, sortant de l'ambassade, je signerai le livre des invités pour m'apercevoir que la veille est venue la visiter une baieriveraine que je connus très bien dans ma jeunesse et n'avais jamais revue depuis. Canicule qui chapeaute tout ça. Que je supporte sans peine, moi qui claquerai un infarctus dans une quinzaine.



C'était notre dernière journée. Nous partirions le lendemain pour Williamsburg, Jamestown, Mount Vernon, Yorktown et Virginia Beach. Je proposai à Fr. d'aller visiter le Musée de l'Holocauste. Je n'ai pas fait grand étalage de mes motifs. En fait, je pensais tout savoir sur la Shoah... Je déchanterai bien vite. Il y avait une longue file. Nous nous mîmes en patience. Notre tour d'entrer vint finalement. Ces visites dans les musées de l'Holocauste, les camps de concentration, au Nid de l'Aigle, nous coupent la parole, pour ainsi dire. Il semble à notre âme que quelque chose d'éminemment grave se trame dans ces endroits.

C'est alors qu'il s'est montré. Le poème! J'en fus estomaqué. Ne savais pas qu'il existait, moi, l'impudent, qui avais pensé tout savoir. Le relus, et le relus. On en donnait une transcription, dont je m'emparai; ou peut-être l'ai-je encore relu et retranscrit ultérieurement. En tout cas, le voici, Gibus, le poème du pasteur Niemöller. Je l'ai réécrit plusieurs fois depuis, dans mes ordis et mes livrets, histoire de ne pas l'oublier, histoire de ne pas oublier. Quel viatique! Certes, il faut savoir un peu d'histoire politique allemande pour saisir quelques mots... Les "socialists", ce sont les communistes, et les "trade unionists", ce sont les syndicalistes. Pas de problème pour le mot "Jews".

Niemöller , un chrétien protestant, penchait au début du côté des nazis. Quand il s'aperçut du sort qu'on réservait aux juifs -nous sommes alors avant la guerre-, il fonde une ligue de pasteurs allemands dans le but de s'opposer. Ils furent tous emprisonnés. Niemöller lui-même fut interné à Dachau jusqu'à la libération. Ne mourut qu'en 1984.

Mon point? Prendre parti, dans cette vie. C'est souvent si difficile. Beaucoup plus facile de rester chez soi, à lécher sa quiétude. Une grande partie de ceux qui ont pris parti contre le national-socialisme l'ont payé de leur vie. Garcia Lorca a été retrouvé assassiné dans une fosse commune. L'abbé Jean-Paul nous l'avait dit autrement, quand il nous avait fait lire Jean Barois: "Il vous faut vous placer!" Prendre parti, c'est aussi s'opposer, c'est souvent s'opposer... Et il y a un prix à payer. Presque tout le temps. Prendre parti, c'est peut-être perdre une amitié, une promotion, un emploi; c'est être haï, laissé de côté, ignoré, oublié...

... "there was no one left to speak for me."

Delhorno


lundi 12 avril 2010

JE SUIS UN DUFOUR BEDAIS

C'était il y a quatre ans.
A l'Hôpital de Chicoutimi.
Département Saint-Camille.
Ce devait être la chambre 304,
Ou peut-être la 308.
Faisant la tournée de mes opérés,
Je devais aussi visiter
Ceux d'un collègue chirurgien
Qui avait dû s'absenter.

C'est ainsi,
Par un curieux hasard de la vie,
Que je fis la connaissance
D'un instituteur retraité,
Ex-professeur de littérature française,
Jonquiérois par surcroît.
Cet homme s'activait
Au chevet d'un monsieur Riverin,
Son beau-père malade.

La conversation alla rondement.
En quelques mots, il sut qui j'étais,
D'où je venais.
Je l'apprivoisai,
Il m'apprivoisa,
Nous nous apprivoisâmes.
Il me fit part de son grand projet.
Je lui témoignai mon intérêt.
Le lendemain, il m'apportait,
Tel que promis,
Cette page que je conserve délicieusement,
Qui contient les noms de mes ancêtres.

Depuis, Jean-Paul nous a légué:
-Le livre sur Gabriel-Robert Dufour
-Les réunions d'Alma et de Petite Rivière
-Le recueil des mariages
-Les bulletins de l'Association

De sorte qu'aujourd'hui
Nous en savons cent fois plus
Sur nos pères
Qu'ils n'en surent jamais sur leurs pères.
Jean-Paul Dufour, 
En sois-tu remercié,
Du meilleur de moi-même.

******

1976. Je viens de terminer mes études.
J'aborde le traversier de l'Isle-aux-Couldres
Où je veux respirer l'air
Qui fut celui de ma famille.
Sur ce bateau,
Dont le capitaine est un Dufour,
On vend un fascicule
Traitant de l'histoire de l'Isle.
L'auteur, Jean Desgagné,
S'intéresse beaucoup plus aux Desgagnés
Qu'aux Dufours.
Mais sa bibliographie
Cite deux volumes publiés en 1880
Par un vicaire dénommé Mailloux:
-VOYAGE AUTOUR DE L'ISLE-AUX-COULDRES
-HISTOIRE DE L'ISLE-AUX-COULDRES

C'est donc par cet autre
Curieux hasard de la vie
Que je pus découvrir et savourer
Des détails de valeur inestimable
Concernant notre lignée.
Le Grand Vicaire Mailloux,
Qui fut en son temps,
Dans le diocèse de Québec,
Une célébrité,
Parle abondamment dans ses ouvrages
De Gabriel Dufour et de ses enfants.

ALEXIS, répondant au sobriquet
De Lagarcette,
Célèbre par sa voix de stentor.

MADELEINE, dite "la grande Madeleine",
Qui était d'une grandeur
Et d'une force extraordinaires.

AUGUSTIN, qui fut
Un remarquable navigateur côtier.

FRANÇOIS, dont le surnom était "Bédais",
le plus adroit chasseur de son temps,
Et qui faisait ce que les gens de l'Isle
Appelaient des tempêtes.
Les Dufours de ma propre famille
Sont des "Bédais"
Et nous aussi nous faisons des tempêtes.

Il y aura ici cette fin de semaine
Plusieurs des descendants
De François Dufour et de Mary Harvey.
Par le curieux hasard de l'amour, des mariages
Et de la vie,
Ces Dufour de Port-Alfred
Dont je suis
Descendent directement
De François Dufour Bédais,
De la grande Madeleine
Et d'Alexis Lagarcette,
Si bien dépeints
Par le Grand Vicaire Mailloux.

C'est un héritage génétique
Dont nous sommes fiers
Et au nom duquel
Je me suis empressé
D'accepter la présidence honorifique
De cette rencontre.

De même,
Il m'apparaît s'imposer
Qu'on souligne la contribution
A la petite histoire
De la phratrie dufourienne ou dufouroise
Du Grand Vicaire Alexis Mailloux,
Qui était lui aussi natif de l'Isle-aux-Couldres.

Delhorno