mardi 29 novembre 2011

LE CLUB DE GOLF DE PORT-ALFRED: THE OLD COURSE

T'a-t-on jamais avoué, Gibus, qu'il n'y a jamais qu'un terrain de golf qui compte, dans la vie d'un golfeur, et qu'il n'y en aura jamais qu'un seul: celui de son enfance et de ses jeunes années, celui, le seul, qui puisse témoigner des premiers pas,  des premiers drives, des premiers putts, du premier birdie et des premiers foursomes.  Ce terrain-là,  on ne l'oublie jamais.  Il vous suit partout dans le monde.  Et quand on est seul avec soi-même, c'est ce terrain qu'on revoit avec les yeux de ses dix ans.

Moi, mon terrain de golf, c'est le vieux neuf-trous de Port-Alfred.  Port-Alfred ne s'appelle plus Port-Alfred aujourd'hui.  Les édiles d'une certaine époque, amalgamant les villes originelles de Grande-Baie, Port-Alfred et Bagotville, ont choisi comme patronyme le plus petit dénominateur commun: VILLE DE LA BAIE, vocable sans lustre, sans saveur et sans odeur.  VILLE DE LA BAIE est un arrondissement de la grande cité de SAGUENAY, un autre vocable de type plus petit dénominateur commun à connotation politico-politique.  Evidemment, Gibus,  je n'y peux rien.  Le vieux neuf-trous de Port-Alfred se trouve de nos jours imbriqué dans un nouveau dix-huit qui ne manque pas  de panache et qui s'étale sur deux altitudes: l'inférieure et la supérieure!  Tu pourras retrouver les neuf trous originaux sur le niveau du bas.    

C'était un neuf à l'écossaise, construit sous l'égide des patrons anglo-écossais de la Consolidated Paper, à l'époque où celle-ci remit en marche les installations papetières de J. Alfred Dubuc.  J'ignorais à l'époque que le Neuf-Trous de Port-Alfred avait un frère jumeau...  Ce n'est que quarante ans plus tard, en compagnie de Paul Hayes, que j'aurai l'occasion de rencontrer ce jumeau: à Grand'Mère, sur la rivière St-Maurice,  un beau vendredi de juillet.  J'avais le sentiment curieux d'avoir déjà joué ce terrain de Grand'Mère, ce qui n'était pas le cas, évidemment.  La Consol avait déjà pignon sur rue à Grand'Mère quand elle reprit les actifs de monsieur Dubuc à la Baie des Ha! Ha! et manda pour construire le terrain de Port-Alfred les architectes qui avaient présidé à la construction de celui de Grand'Mère.  

Port-Alfred Golf Club, «The Old Course», comme l'a si bien écrit mon frère Marcel.  Ce fut le terrain de mes oncles Fernand et Raymond, ainsi que celui de Mutt, mon père.   Ceux-ci, il faut le mentionner, furent des premiers canadiens-français à jouer au golf à Port-Alfred.

Petite capsule historique, que je tiens de mon père:  Mutt se préparait à driver un matin des années trente quand il aperçut son père François qui peinait à rapporter le lait de sa vache qu'il venait de traire.  Mutt laissa son sac sur le tertre de départ et courut l'aider.  François Dufour Bédais devait décéder peu après.  Cancer de l'estomac.  J'ai su plus tard que notre grand-père, peu auparavant, avait été opéré à l'Hôpital Notre-Dame,  à Montréal.

C'est à l'été de 1956 que DD et moi, sur le même sac, avec des bâtons en bois achetés de mon institutrice de sixième année, Reine-Marguerite Bergeron, débutâmes nos carrières de golfeurs.  On permettait aux juniors de jouer le matin seulement car les adultes ne jouaient pas au golf le matin ces années-là.  Sauf quelques touristes et de rarissimes professeurs en vacances.  La saison débutait en juin et vers la mi-août on ne voyait plus grand'monde sur le terrain.  Pas de technique, pas de professeur, pas de champ de pratique.  Nous répétions nos erreurs, apprenant le golf sur le tas, avec tout ce que cette bonne vieille expression connote...  

Delhorno    

vendredi 25 novembre 2011

CHAQUE MOT A SON HISTOIRE...

Au milieu des années cinquante, la bibliothèque du collège St-Edouard tenait dans une seule classe, celle de Versification. Peu d'élèves au cours classique alors, et bien peu d'élèves en Versification, ce qui laissait beaucoup de place pour les étagères métalliques grises de la bibliothèque.

C'est cet univers qu'il me fut donné de découvrir; j'avais dix ans à peine. Le premier livre que me prêta le frère Fernand s'intitulait LE ROMAN DE RENART. Je le dévorai en une soirée et revins le lendemain emprunter d'autres bouquins, manège qui dura jusqu'à mon départ de Port-Alfred. Je lisais dans l'escalier qui donnait accès au deuxième étage de la maison familiale. L'escalier faisait un détour sous une fenêtre regardant le nord-ouest. C'était une sorte de no-man's-land où personne de la maisonnée ne s'attardait vraiment. Quelques années plus tard, j'avais à peu près tout lu ce que la bibliothèque du collège St-Edouard pouvait offrir.

Ma bibliothèque recelait une collection de romans d'aventure qui m'attirait particulièrement. Je n'ai jamais oublié le nom de son auteur: LÉON VILLE. Un souvenir en attire un autre... Ce midi-là, je tombai sur un livre intitulé, je pense, LES TRIBULATIONS D'UN HERITIER. Il s'y parlait, dès le premier paragraphe, d'un CODICILLE. CODICILLE... Un mot jamais vu, jamais entendu auparavant. L'oncle de l'héritier avait ajouté un codicille à son testament. Larousse -«JE SEME À TOUT VENT»- vint à mon aide. Sans que vraiment je ne le désirasse, le vocable s'incrusta dans mon cerveau pour toujours...

On ne sait jamais ce que réserve l'avenir.

En 1962, on me sélectionna pour faire partie de l'équipe GENIES EN HERBE du Petit Séminaire de Chicoutimi. Les concours se tenaient à la radio de CBJ. Il y avait là Roland Veilleux, aujourd'hui décédé, et Camil Ménard, entre autres. Ce soir-là, le concours tirant à sa fin, l'animateur, monsieur Quenneville, proposa la définition du mot CODICILLE. Personne ne put répondre. Sauf moi. CODICILLE, je savais depuis quelques années, depuis la bibliothèque du collège St-Edouard, ce que ça signifiait. L'équipe du Petit Séminaire sortit grand vainqueur du concours et je ne fus pas peu fier de ma contribution. CODICILLE. Un mot qui pour moi a son histoire.
Delhorno

jeudi 17 novembre 2011

LA PROMESSE DE L'AUBE: pour te reposer, Gibus, des politiciens à la ceinture fléchée...




«Vague et lancinant , tyrannique et informulé, un rêve étrange s’était mis à bouger en moi, un rêve sans visage, sans contenu, sans contour, le premier frémissement de cette aspiration à quelque possession totale dont l’humanité a nourri aussi bien ses plus grands crimes que ses musées, ses poèmes et ses empires, et dont la source est peut-être dans nos gènes comme un souvenir et une nostalgie biologique que l’éphémère conserve de la coulée éternelle du temps et de la vie dont il s’est détaché. Ce fut ainsi que je fis connaissance avec l’absolu, dont je garderai sans doute jusqu’au bout , à l’âme, la morsure profonde, comme une absence de quelqu’un. Je n’avais que neuf ans et je ne pouvais guère me douter que je venais de ressentir pour la première fois l’étreinte de ce que, plus de trente plus tard, je devais appeler «les racines du ciel», dans le roman qui porte ce titre. L’absolu me signifiait soudain sa présence inaccessible et, déjà, à ma soif impérieuse, je ne savais quelle source offrir pour l’apaiser. Ce fut sans doute ce jour-là que je suis né en tant qu’artiste; par ce suprême échec que l’art est toujours, l’homme, éternel tricheur de lui-même, essaye de faire passer pour une réponse ce qui est condamné à demeurer comme une tragique interpellation.

...Le goût du chef-d’oeuvre venait de me visiter et ne devait jamais plus me quitter.

Romain Gary, LA PROMESSE DE L'AUBE

AVANT-PROPOS


Voici le troisième tome de mon blogue. Le premier s’intitulait «EN DECOUDRE AVEC GIBUS ET McPHERSON; le deuxième, «ON NE PEUT PAS ETRE HEUREUX TOUT LE TEMPS»: titre plagié d’une autobiographie de Françoise Giroud; ce troisième tome se nommera: «L’ECRIRE POUR LE DIRE»; ce titre vient de moi, quoique je lui trouve un relent de plagiat avec celui des mémoires de Gabriel Garcia Marquès: «VIVIR PARA CONTARLA».

Pourquoi «le dire en écrivant»? D’abord par plaisir, je pense. Le plaisir tout cérébral de mettre en ordre des idées, de les codifier dans la langue de sa mère, de rechercher la formule heureuse sinon originale, de cerner les tentatives de fuite de dame Vérité. Pour un lectorat, ensuite. Le mien, à vrai dire, est fort limité: quelques amis, celle qui ne m’a jamais quitté depuis un demi-siècle, mais surtout, -elles se connaissent très bien- les trois personnes les plus importantes de ma vie. Peut-être, finalement, et fort probablement, parce que l’écriture sied davantage au cerveau qui m’est venu avec la vie.

Je publie à compte d’auteur, ce qui m’a laissé la plus vaste des libertés. Ne devant rien à personne, n’ayant courbé la tête en aucun moment, j’ai pu m’offrir le plus luxueux des privilèges: opiner, prendre parti, raconter, selon mon bon vouloir. Sans compter que mes mains ont fait l’entièreté ou presque de ce cahier: la typographie, la mise en page, l’imprimerie et la distribution. Aussi, lecteur, m’est-il loisible de t’offrir, en contrepartie, des privilèges équivalents: ceux de ne pas me lire, de ranger à jamais mon livret, voire même de le soumettre à la récupération.

Août 2010
Delhorno

L'ECLAIRCIE


Ce qui est beau, ce qui élève,
Ce n’est pas la célébrité.
Il ne faut pas ouvrir d’archives
Ou trembler sur de vieux papiers

Créer veut le don de soi-même,
Non le tapage ou le renom.
Honte à qui n’est rien par lui-même
D’être connu comme un dicton.

Vis donc sans usurper de place
Mais de manière à, pour finir,
Attirer l’amour de l’espace,
Entendre appeler l’avenir.

Et s’il faut laisser des lacunes,
Que ce ne soit dans tes papiers,
Mais en sacrifiant quelques-unes
Des pages de ta destinée.

Il faut te plonger dans l’oubli
Pour y dissimuler ta route
Comme un site dans les replis
Du brouillard quand on n’y voit goutte

D’autres, selon ta trace fraîche
Suivront ta route, pas à pas,
Mais entre victoire et défaite,
Le départ ne t’appartient pas.

Et tu dois garder ton visage,
Ne pas t’en écarter d’un brin,
Être vivant, pas davantage,
Vivant, c’est tout, jusqu’à la fin.

Été 1956

Boris Pasternak

A DREAMER

ARTHUR GUITERMAN
He is a dreamer, let him pass
He reads the writing in the grass His seing soul in rapture goes Beyond the beauty of the rose. He is a dreamer, and doth know To sound the furthest depth woe; His days are calm, majestic, free; He is a dreamer, let him be.

He is a dreamer; all the day
Blest visions find him on his way; Past the far sunset, and the light, Beyond the darkness and the night. He is a dreamer; God to be,
Apostle of infinity,
And mirror touch’s translucent gleam. He is a dreamer, let him dream.

He is a dreamer; for all the time
His mind is married unto rhyme, Light that ne’er was on land or sea Hath blushed to him in Poetry.
He is a dreamer, and bath caught Close to his heart a hope, a thought, A hope of immortality;
He is a dreamer, let him be.

He is a dreamer, lo! with thee
His soul doth weep in sympathy;
He is a dreamer, and doth long
To glad the world with happy song.
He is a dreamer; in a breath
He dreams of love, and life, and death. Oh, man! Oh, woman! lad and lass

He is a dreamer, let him pass.

lundi 14 novembre 2011

LAURENT LEZARD, UN ETRANGE ATHLETE

Le bonheur est un état transitoire qui souvent tient à peu de choses... Le bonheur ne serait même qu'une miette, si j'en crois ma fille, la Chercheuse Verticale. 
Cet après-midi, retranché au côté sombre du Condo Once, j'ai sorti Alto, mon saxophone et grand ami. J'ai souvent dit qu'il était mon meilleur médicament, Plavix excepté... J'ai donc commencé à faire mes gammes, puis rejoué pour la énième fois les deux pièces de Mozart que je préfère dans ce cahier que je traîne un peu partout depuis 1965.

J'étais parti dans une autre planète quand je le vis sur le haut de la page de musique de Wolfgang: un athlète de deux pouces de long pour qui la gravité ne représentait aucun problème. Son regard me parut extatique: Laurent Lézard adorait Mozart ainsi qu'Alto, mon saxophone. Il resta planté là, une, peut-être deux minutes, le temps que je termine le morceau et que j'entame le second. Ne cessait de me regarder. Il se résigna à sauter par terre quand je dus tourner la page. Un saut extraordinaire en ce qui me concernait, car je me serais sûrement brisé les deux hanches et les deux genoux si, tout considéré, j'eusse tenté de rééditer un tel exploit.
Les mots suivants se mirent alors à résonner dans ma tête: Caraïbes, Playa del Encuentro, Saxophone, Mozart, Lézard. Quelle association! Quel hasard! C"est à ce moment précis que surgit ma réflexion sur le bonheur.
Vayan con Dios!
Cl.

IT'S A SMALL WORLD



«C’est un ami dont je ne connais pas le nom, et je le connais depuis trop longtemps pour lui demander.» Georges Feydeau

Il y avait au Disney World d’Orlando une attraction intitulée «IT’S A SMALL WORLD». Elle me conquit sur-le-champ, en raison, je pense, de la rengaine qu’on y jouait et que j’entendais pour la première fois. En français, on dit plutôt «LE MONDE EST PETIT». Je me rappelle fort bien avoir visité deux autres fois cette attraction avec les enfants. Existe-t-elle encore? Je l’ignore.

Quel est mon point? Hier soir. Maison de l’OSM dans le Quartier des Spectacles à Montréal. Elle vient à peine d’être inaugurée. Je me demandais comment m’organiser pour aller la visiter quand me vint cette invitation de Denis Boivin. Soirée d’inauguration au profit de la Fondation Québécoise du Cancer. Je sautai sur l’occasion, il va sans dire.

18h30. J’arrive dans le hall d’entrée, paré comme un commis-voyageur: habit bleu-marine, chemise blanche, cravate à l’avenant, souliers vernis et lunettes nettoyées. Tour d’horizon: Johanne et Denis ne sont pas encore arrivés. Je fais halte dans un coin désert de la salle, histoire d’être visible quand mes amis de Dolbeau se présenteront. Là, sur ma gauche, ce gars de la radio et de la télévision! J’étais au Petit Séminaire en même temps que lui. Quel est son nom? La dernière fois que je lui ai parlé, ça devait être en 1965! Bon Dieu! Impossible de me rappeler son nom! J’avise, pas très loin de moi, un gros bonhomme au faciès débonnaire. Il est accompagné, je présume, de son épouse. On ne sait jamais!

-Bonsoir! Quel est le nom de ce personnage des médias que nous apercevons, là, sur notre gauche?
-C’est Jean Pagé!
-Merci mille fois! La dernière fois que je lui ai parlé, c’était au Petit Séminaire de Chicoutimi, en 1965. Nous y avons fait le Cours Classique ensemble.
-Vous êtes de Chicoutimi?
-En effet.
-Mon père lui aussi a fréquenté le Petit Séminaire de Chicoutimi!
-Comment s’appelle-t-il?
-Gilles Morais.
-Mais je le connais!  Nous avons fait médecine à la même époque.  Nous avons même joué au curling dans la même équipe à la faculté.  Ton grand’père s’appelait Lucien Morais, n’est-ce pas?
-Effectivement.

Lucien Morais était, dans les années soixante, Directeur du Département des Terres et Forêts à Chicoutimi. Moi, j’étais 4-H, et nous avions affaire à lui. Gilles Morais avait une soeur, Claudette, infirmière à l’Hôpital du St-Sacrement. Elle travaillait aux urgences, ce soir d’hiver où je m’ouvris le coude en jouant au hockey. Une jolie blonde. Je sus plus tard qu’elle avait épousé Nelson Nadeau, un résident en chirurgie générale qui avait été mon moniteur d’anatomie. Plus tard, Nelson deviendrait chirurgien vasculaire à Notre-Dame; il opérerait Mutt, mon père, et mon oncle Fernand! Voilà donc les souvenirs que j’ai ressassés en compagnie du fils de Gilles Morais.

Ce n’est pas tout!

Le spectacle terminé, je monte au deuxième étage avec mon assiette et ma coupe de vin. Je cherche Johanne et Denis. Voilà que je tombe sur leur fille,  Marie-Hélène, accompagnée de son mari. Small talk. Je leur raconte l’affaire Morais. Marie-Hélène rétorque:
-Gilles Morais, c’est mon médecin de famille, me semble-t-il...

Le lunch était de qualité supérieure. La sonorité de la salle de l’OSM? Merveilleuse! Le quintette débuta sa prestation avec une pièce de Mozart. J’adore Mozart. Je n’ai pas manqué une seule note. Même les partitions de l’alto et du violoncelle! Nathalie Choquette m’a épaté. Merci, Denis!

PS: Jean Pagé s’est évanoui dans la foule et je n’ai pu lui parler.

Claude Dufour
20110916