dimanche 26 avril 2009

CONVERSATION IMPROMPTUE, JAMAIS OUBLIEE

On m'avait invité pour servir de bouche-trou. Plus jeune, j'en aurais été offensé. Mais là j'estimais que j'en avais assez vu dans la vie pour passer à travers cette pseudo-humiliation. Un voyage de pêche, oui! A plus de deux heures au nord de Chicoutimi. L'un des membres du quatuor, un collègue hospitalier par surcroit, s'était trouvé malade à deux jours du départ et m'avait demandé de le remplacer. J'avais accepté volontiers, d'autant plus que la région m'attirait et que je ne l'avais jamais visitée. J'avais aussi pensé qu'à presque soixante ans, les artères coronaires serties de quelques tuteurs, je ne devais pas rater ce qui pouvait s'avérer un de mes derniers voyages de pêche. Un lac de plusieurs kilomètres de long, tête d'une rivière de la Côte Nord. J'ai oublié le nom du lac, mais pas l'image qui m'en est restée.

Partis de bon matin, nous arrivâmes sur le coup de midi. On nous assigna le chalet munéro cinq. Les lits furent répartis, les bagages rangés, les cannes à pêche préparées. Le cuisinier nous attendait: il avait préparé des "club-sandwiches" qui furent avalés prestement. Mes compagnons étaient des amateurs de vin rouge... Il n'en manquerait pas. Cette première bouteille, bue peu après l'arrivée, nous endormit quelque peu. Une petite sieste et... nous voilà partis pêcher sur le grand lac. Voyage de pêche sans histoire, quelques truites, des petites et quelques grosses. Compagnons agréables, sans plus. Prompts à raconter "leur petite histoire", peu enclins à l'écoute. J'ai toujours détesté ces conversations où le microphone n'est jamais partagé.

Là n'est pas toutefois la véritable raison pour laquelle ce voyage de pêche n'a jamais quitté ma mémoire... La veille du retour, ce devait être bientôt la brunante, je quittai quelques instants mes comparses et allai retrouver sur son balcon -il habitait le chalet numéro six, donc le dernier chalet du côté est- le propriétaire-gérant du campement, histoire de jaser un peu, histoire, peut-être, de poser la bonne question, celle qui me donnerait une réponse inoubliable. L'homme possédait et gérait cette pourvoirie depuis une dizaine d'années. Auparavant, il avait été fonctionnaire au Ministère de la Chasse et de la Pêche. Il passait ses étés ici, répartissant les sites de pêche parmi ses clients, voyant au bien-être de ceux-ci, philosophant, sans doute, quand les casse-tête lui en laissaient le temps. A un moment donné, sans escompter de réponse spectaculaire, je lui demandai:
-Dites-moi, monsieur Deschênes, durant toutes ces années où vous avez vécu ici de mai à novembre, quel est le plus beau spectacle, de quelque nature qu'il pût être, qu'il vous a été donné d'observer?
L'homme sortit sa pipe et sa blague à tabac, bourra sa pipe d'un fort tabac qui me ramena quelques instants à l'époque de Menaud et de Maria Chapdeleine, l'alluma minutieusement et sérieusement, comme s'il s'apprêtait à prendre la parole pour un bon bout de temps, et, finalement, commença à parler:
-Ça s'est passé juste ici, il y a de ça près de dix ans. Je venais tout juste d'acheter la pourvoirie. J'avais travaillé ce jour-là comme un forcené; je venais tout juste de souper, le cuisinier était allé se coucher, j'étais venu m'asseoir dans cette même chaise berçante que j'occupe présentement. Une magnifique soirée de juin, si je me rappelle bien. Je sortis ma blague et ma pipe, bourrai celle-ci minutieusement comme j'en ai coutume, l'allumai et tirai une première pipée, me disant que j'étais heureux. Du bruit me tira de ma torpeur. Un bruit que je n'avais jamais entendu de toute ma vie! J'étais caché par la pénombre. Ils ne me virent jamais. Une femelle-orignale descendit en courant ce chemin que tu vois, là, sur notre gauche, et s'en fut vers la rive du lac où elle s'arrêta et tourna la tête vers mon chalet. C'est alors qu'il apparut au coin du chalet. Son petit, oui! Dieu qu'il était beau. Il ne semblait comprendre le pourquoi de cette course... La grosse femelle entra dans le lac, se mit à nager vers le sud-ouest, s'arrêta soudain et, voyant que l'innocent ne l'avait pas suivie, revint sur la berge et se mit à pousser de sa tête le postérieur du bébé pour qu'il nageât lui aussi en sa compagnie. Le petit comprit, finalement, et le duo s'en fut à la nage vers cette baie que tu vois là-bas, où se décharge un beau ruisseau "jureux". Quant à moi, je continuai à tirer sur ma pipe sans trop me poser de questions. Ce n'est que quelques minutes plus tard que toute l'affaire put s'expliquer. J'étais encore assis dans la pénombre. Sur cette même galerie. Dans cette même chaise. Une meute de loups apparut au coin du chalet et termina sa course à l'endroit exact où la mère et son fils s'étaient mis à nager. Ils eurent beau  humer, sentir, renifler, l'odeur et la piste se terminaient là. Ils devaient être six ou sept. S'en retournèrent penauds par où ils étaient venus.

Tout s'éclaircit dans ma petite tête. Je venais d'assister à un spectacle unique et grandiose. Peu de roseau-pensants, me sembla-t-il, avaient pu avoir la chance d'observer un tel spectacle. La mère avait sauvé son bébé!

Delhorno

dimanche 19 avril 2009

MAURICE DRUON

AMI, ENTENDS-TU LE VOL NOIR DES CORBEAUX
SUR NOS PLAINES?
AMI, ENTENDS-TU CES CRIS SOURDS DU PAYS
QU'ON ENCHAINE?

OHE! PARTISANS, OUVRIERS ET PAYSANS,
C'EST L'ALARME.
CE SOIR, L'ENNEMI CONNAITRA LE PRIX DU SANG,
ET DES LARMES.

MONTEZ DANS LA MINE
DESCENDEZ DES COLLINES,
CAMARADES.

SORTEZ DE LA PAILLE
LES FUSILS, LA MITRAILLE,
LES GRENADES.

OHE! LES TUEURS,
A LA BALLE ET AU COUTEAU,
TUEZ VITE.

OHE! SABOTEUR
ATTENTION A TON FARDEAU
DYNAMITE...

C'EST NOUS QUI BRISONS
LES BARREAUX DES PRISONS
POUR NOS FRERES.
LA HAINE A NOS TROUSSES
ET LA FAIM QUI NOUS POUSSE
LA MISERE.

IL Y A DES PAYS
OU LES GENS AU CREUX DES LITS
FONT DES REVES.
ICI, NOUS, VOIS-TU,
NOUS ON MARCHE ET NOUS ON TUE.

NOUS ON CREVE...
ICI, CHACUN SAIT
CE QU'IL VEUT, CE QU'IL FAIT
QUAND IL PASSE.

AMI, SI TU TOMBES,
UN AMI SORT DE L'OMBRE
A TA PLACE.
DEMAIN DU SANG NOIR
SECHERA AU GRAND SOLEIL
SUR LES ROUTES.

CHANTEZ, COMPAGNONS,
DANS LA NUIT LA LIBERTE
NOUS ECOUTE...

AMI, ENTENDS-TU
CES CRIS SOURDS DU PAYS
QU'ON ENCHAINE?

AMI, ENTENDS-TU
LE VOL NOIR
DES CORBEAUX
SUR NOS PLAINES?

L'Hymne de la Résistance
composé en 1943 par Maurice Druon

On apprend à tout âge. Je ne connaissais Druon que de nom et pour LES ROIS MAUDITS, dont je n'ai jamais été capable d'entreprendre la lecture. Je crois que je devrai m'y mettre, en passant. J'ignorais tout de l'Hymne de la Résistance. Qui aurais-je été, à 17 ans, en 1940? Aurais-je suivi de Gaulle en Angleterre? Aurais-je été avec ceux de Vichy? Epouvantables questions... Souvent on n'a pas beaucoup de temps pour réfléchir à la réponse. Druon avait 17 ans et suivit de Gaulle à Londres.

Delhorno


samedi 18 avril 2009

LE CABARET DU SOIR QUI PENCHE

Encore une fois mon cher Gibus, j'ouvrirai ma boîte de souvenirs et te parlerai d'un temps qui n'existe plus que pour moi.

La Radio de Radio-Canada. De 1965 à 1970, ou à peu près. Le dimanche soir. Ma chambrette, au pavillon Parent, sur le campus de l'Université Laval.  7653, 7655.  Il me fallait étudier... On ne fait pas Médecine sans ouvrir ses livres. C'est ce que j'ai fait, et ne l'ai jamais regretté. Pourtant, toutes ces années, à force de vivre une vie en marge, je me suis senti comme un moine cistercien caché dans les profondeurs de l'abbaye de Cluny. Je me faisais dire par certains amis -sans doute avec raison- que j'étais "déconnecté", "coincé".

C'est ici que s'amène le Cabaret du Soir qui Penche. Guy Mauffette, tous les dimanches soir. Tout en étudiant, tout en essayant de dormir, tout en rêvassant, tout en essayant de tromper ma nostalgie du Saguenay et mon angoisse des dimanches-soir, j'ai découvert un nouveau monde...

Georges Brassens, d'abord. La Chanson de l'Auvergnat. Les Copains d'abord. Mozart, La Petite Musique de Nuit. Mathé Altéry aussi. Félix, que je connaissais déjà et que j'appris à aimer davantage, et surtout Sydney Bechet, Petite Fleur. La mère-patrie, enfin, Paris, que je m'étais promis d'apprivoiser un jour. Etc, etc...

Radio-Canada a fait un DVD des meilleurs moments du Cabaret. Par bonheur, un couple de mes amis m'en a fait cadeau il y a quelques mois. Que de merveilleux instants ravivés...

Merci, Mauffette, merci cher Cabaret.

vendredi 17 avril 2009

LE FRERE WILFRID

J'allais l'oublier... Il tranchait par une incontestable absence de panache. Sur cent personnes s'activant dans le collège Saint-Edouard, il était le dernier qu'on remarquât. Il peignait ses cheveux de la même manière tous les matins. Il parlait peu, agrémentant ses courtes phrases d'un petit sourire angélique. Il portait la plupart du temps, par dessus sa soutane, un sarau blanc, ce qui était inhabituel chez les frères de la communauté. La plupart des frères ne restaient au collège Saint-Edouard que quelques années. La direction provinciale les envoyaient ensuite enseigner dans quelque autre collège ailleurs au Québec. Pas le frère Wilfrid. Pour des motifs jamais élucidés, il semblait incrusté à Port-Alfred.

C'est en septième année qu'il surgit dans ma vie d'écolier, comme professeur de dessin et de travaux manuels. Il arguait qu'il fallait dessiner sans appuyer le coude sur le pupitre, ce qui m'indisposa, car, le coude non appuyé, j'étais fort maladroit. Ce n'est que vingt plus tard que je me rendrais compte qu'il avait raison. Pour tracer un trait de bistouri, il ne faut surtout pas appuyer le coude sur le malade, car il devient alors impossible d'opérer. Je fis donc au bout du compte les dessins qu'il m'ordonna sans jamais m'illusionner: je ne serais jamais un Picasso ou un Riopelle.
Le cursus des études incluait aussi une initiation au travail du bois: c'était intitulé "Travaux manuels". Nous étions alors trop jeunes pour comprendre le message. Nous descendions dans la boutique à bois, laquelle était équipée d'une vingtaine d'établis nantis de marteaux, de rabots, de ciseaux à bois, d'égoïnes et de petites scies à chantourner. On ne connaissait pas alors les outils électriques ou à batterie qui constituent de nos jours la trousse minimale du moindre pseudo-ébéniste. 


La première pièce que le frère Wilfrid nous commanda était des plus élémentaires: une planchette de bois de pin de huit pouces de long par deux pouces de large et un demi-pouce d'épaisseur. La pièce devait être de dimensions exactes, parfaitement rabotée sur les six côtés. N'arrivant pas à raboter mon morceau sans coches mal taillées, je dus faire appel au bon frère. L'homme était patient, il était adroit en plus. Il m'indiqua doucement comment m'y prendre, sans aucun commentaire désobligeant. Cette pièce, ultra-simple, répétée six fois permettait de fabriquer un sous-plat, ce que Mutt m'aida à confectionner, impatiemment, ce que je lui ai pardonné difficilement. Je ne revis plus jamais le frère Wilfrid comme professeur.

Je l'aperçus à quelques reprises par après, dans des circonstances imprévues. Il n'avait pas changé de look: la même "peignure", la même réserve, le même sourire angélique. Ce qui m'embête, c'est que je ne me rendis compte que trente et quarante ans plus tard, -trop tard, m'apercevrais-je- de l'à-propos de l'existence du frère Wilfrid. Cette vie n'est pas faite que d'élucubrations, que de démarches intellectuelles, que de choses de l'esprit. On y a besoin de ses mains à un moment ou l'autre. Réparations à faire dans la maison ou dehors, fabriquer quelque chose,  juste pour le plaisir. C'est ce que le bon frère tentait de nous enseigner: je n'aurai pas, à cette époque, été assez docile pour être un bon élève. Et je paierai cette faute chèrement.

Le frère Wilfrid prit sa retraite et demeura à Port-Alfred jusqu'à sa mort, je pense, dans une résidence que les frères avaient achetée, quand, par attrition naturelle et par la force des choses, ils durent abandonner l'enseignement. Son accomplissement majeur? Avoir initié à l'ébénisterie et la charpenterie plus de deux générations de baieriverains. Un de ses compagnons de retraite fut le frère Edouard Lehoullier, que je n'ai jamais oublié, lui non plus. Mais, ceci est une autre histoire...

Delhorno

mardi 14 avril 2009

OBJETS

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme..."

Ils nous suivent, et vieillissent, autant qu'ils le peuvent, à nos côtés. Leur fidélité se mesure à l'aulne de la nôtre. Eux ne se lassent jamais.

1. FIFINE
Du temps de ma jeunesse, quand Mutt était vivant, l'agrafeuse était verte, d'un vert pas trop foncé ni trop pâle. Où l'avait-il dénichée? Je l'ignore. A la Consol peut-être. Comment? Je n'ose me poser la question. Mais elle vécut autour de nous. Elle enfonçait inlassablement de fortes broches en forme de U, d'autant plus fortes que la poignée de l'agrafeuse n'était pas facile à actionner. Elle survécut à Mutt et... au Taon. Eh oui! Gilôt, tu n'as pu te l'approprier, cette agrafeuse, car c'est moi qui l'ai subtilisée, au lendemain du décès, avec la complicité de Lulu. Fifine fonctionne encore très bien, sa poignée revêche est encore aussi rébarbative. Certes, elle a perdu de son lustre et son beau vert a grisonné par endroits. Un seul problème avec Fifine: j'ignore où elle terminera ses jours. Me suivra-t-elle au pied du mont Royal? Mes fils ont leur propre Fifine... Devrai-je te la léguer, L'Taon? Devrai-je me payer un codicille?


2. LA PERCEUSE DE MUTT
Elle fonctionnait à l'électricité. Mutt n'en était pas peu fier. L'avait achetée à la Consol, laquelle se départissait de certains outils usagés. Je le vois encore y insérer une mèche gris-foncé à l'aide du machin-truc qu'il avait "tépé" au bout du fil. Son assortiment de mèches était fort rudimentaire... Aujourd'hui, le moindre Homo Perceur possède plusieurs jeux de mèches: mèches pour le bois, mèches pour le métal, mèches pour le béton. Un autre joyau que tes mains perverses n'auront pu s'approprier, cher Gilôt. La perceuse m'a suivi, de Port-Alfred à Montréal à Chicoutimi. Elle rendit l'âme à un moment fort mal choisi et je dus m'en départir, en racheter une autre que j'ai toujours détestée, électrique elle aussi, mais "feluette", de piètre qualité. Il faut mettre le prix quand on achète un outil...



3. FERNIE, LE PETIT CHIPPER

Je l'appellerai Fernie. C'était un petit bâton de golf. Qui servait à effectuer des "chips", c'est-à-dire des coup d'approche qui roulent, au contraire des "pitches", lesquels sont des lobs, qui survolent l'obstacle qui empêchera la balle de rouler vers le trou. Le chipper s'emploie sur le bord des verts: la balle ne bondit pas très haut, quelques centimètres, quelques pouces seulement, et pas très loin, un mètre ou deux, mais elle roule longtemps. Le chipper dont je vous parle fit partie de notre attirail de golf pendant toute notre jeunesse. Cadeau mythique de l'oncle Fernand, le meilleur joueur de golf de notre phratrie. Fernie ne payait pas de mine. Sa tige, dépeinturée par endroits, était d'un brun rouge-cerise foncé qu'on peut difficilement oublier; cet sorte d'émail recouvrait une couche d'apprêt jaune qu'on devinait ça et là.

J'ai fait de bons et de mauvais coups avec Fernie le chipper; j'avais tendance à lever la tête trop tôt. Mais un jour, lors d'un tournoi pour les caddies du club de golf de Port-Alfred, Fernie me ferait inscrire un birdie que je n'oublierais jamais. Sur le trou numéro trois. De nos jours, le vert a été avancé. Je vous parle ici de la fin des années cinquante. Je devais avoir douze ou treize ans. Le vert était alors localisé à la gauche de la coulée, cent mètres plus loin, ce qui rendait le trou difficile... Que de balles ai-je perdues dans cette coulée en raison d'un slice que je ne pouvais corriger et dont je pensais qu'il m'était venu avec la vie. Toujours est-il que mon deuxième coup fut droit ce matin-là et s'arrêta à quelques pieds ou quelques mètres du début du vert. Situation idéale pour Fernie. Je m'installai donc, Fernie dans mes mains comme s'il s'était agi d'une relique, je visai en direction du drapeau; la balle bondit sur une courte distance, se mit ensuite à rouler, à rouler et hop! disparut dans le trou. Ce fut le premier birdie de ma longue existence de golfeur. On n'oublie jamais son premier birdie... Celui-là me valut une balle de golf flambant neuve, une «COMET» de la part des organisateurs du tournoi, car j'avais été le seul caddie à réussir un birdie. Je la rapportai triomphalement à la maison.

Quand nous, les plus vieux, partîmes de la maison, Gilôt, le cadet, devint le légataire de tout ce qui se trouvait dans la cave de Mutt. Nous ne revîmes jamais plusieurs objets qui avaient fait partie de notre jeunesse... Le Taon, en effet, était un fervent du troc; nos sacs de golf furent innocemment troqués contre d'autres objets sans histoire. Fernie, avions-nous pensé, avait fait les frais des filouteries de Gilôt. Mais non! En juillet 2007, au Royal Québec, alors que les frères Delhorno disputaient une partie de golf, Fernie refit surface, à l'ébahissement des trois aînés. Fernie sortit du sac du Taon comme par enchantement!

4. LES SKIS DE MUTT
Mutt avait skié dans sa jeunesse. Les plus jeunes de ma famille auront sans doute oublié ce détail insignifiant. A la fin des années quarante, nous habitions un logement de la maison ancestrale, c'est-à-dire celle bâtie par le grand'père François quand, de Baie Saint-Paul, il arriva à Port-Alfred. Logement qui était situé au deuxième étage, côté est. Ernest Marquis habitait l'autre logement, celui qui faisait face à la maison de Xavier Truchon. La galerie-arrière communiquait avec notre portion du hangar par une passerelle de bois. Un escalier de bois, articulé sur la passerelle permettait de descendre dans la cour. Ce hangar était vraiment spécial! Aussi gros que la maison. Deux étages. L'étage du bas était divisé en deux parties: l'une servait de soue pour le cochon qu'engraissait mon grand'père du temps de son vivant, ainsi que d'étable pour la vache qu'il menait au champ tous les matins; l'autre avait fait office de poulailler à une époque et servait plus ou moins de chambre à débarras.

Nous appelions notre remise "le hangar". Ce mot semble être tombé en défaveur de nos jours. Remplacé par le terme "remise". Ma première visite dans le hangar fut renversante: toutes sortes d'objets hétéroclites dont j'ignorais la provenance et l'utilité. Le hangar était rempli à moitié par du bois de chauffage. Nous chauffions au bois avant l'arrivée des poêles à l'huile. Mutt, qui était jeune alors, n'avait qu'à traverser la passerelle pour rapporter une brassée de bois.

Le hangar cachait aussi une vieille paire de ski. Ce doit être Mutt qui m'apprit le mot"ski" ainsi que le mot "harnais". Les "harmais" -on dit aujourd'hui "fixations"- étaient tout rouillés. Les attaches étaient fabriquées de cuir et se fermaient derrière les bottes par un manchon de métal qui épousait la rondeur du talon. Que je l'ai donc regardée cette paire de skis! Sans jamais savoir ce que m'en réservait l'avenir...

Les vieux skis de Mutt furent ma première paire de skis! Un matin d'hiver, avais-je neuf ou dix ans, je descendis les skis dans la cour enneigée, ajustai les harnais autour de mes bottes et me mis à avancer sur la neige. Instant inoubliable et inoublié. Je ne restai pas bien longtemps dans la cour de la maison: l'enjeu manquait de prestige! Mes premières escapades à ski eurent lieu dans le champ de golf, derrière la maison de Jacque Côté et derrière le Palais Municipal. Port-Alfred n'était pas très développé à l'époque: le domaine skiable foisonnait et ce, tout autour de la ville. Très vite, je me fis des amis de ski. C'est le saut à skis qui nous emballait surtout alors. Mais... ceci est une autre histoire. La paire de skis de Mutt fut mise au rancart dès l'hiver suivant. Mutt et Lulu nous avaient offert pour étrennes, à Dédé et moi, des skis rouges-cerise. Qu'advint-il des skis de Mutt? Je l'ai tout à fait oublié.

Delhorno











lundi 13 avril 2009

LUNDI DE PAQUES

Pâques a bien changé...

Campbellton, Nouveau-Brunswick. Lundi le treize avril deux mil neuf. Le temps est exécrable. Il fait froid, il a neigé cette nuit. J'ai fêté Pâques en solitaire, dans un petit logement de la rue Matheson. Mon fils travaillait. Ma femme et ma fille étaient à Montréal et Trenton. Mon fils cadet bossait lui aussi. Moi de même, quoiqu'à fort petite échelle. Ai gaspillé cinq heures devant le téléviseur: le Tournoi des Maîtres à Augusta, où les azalées en fleur m'ont fait regretter de vivre où je vis. Mais, bon! Il y a pire que ça dans cette vie.


J'ai connu l'époque où Pâques était une fête... C'était du vivant de mes parents. Ce temps où Pâques la religieuse prenait encore toute la place.

Ça commençait par le Carême. Des semaines entières où toute la ville était sérieuse, où les gens parlaient bas. Les étudiants étudiaient fort, les travailleurs travaillaient autant, les mères s'échinaient de l'aube au crépuscule, sans se lasser d'envoyer leur marmaille à la messe matutinale ainsi qu'aux Vêpres du dimanche soir. Je me souviens d'une année où j'ai servi la messe tous les matins à 6 heures durant le Carême. C'était la messe du gros curé Henri, lequel n'a jamais daigné m'adresser la parole...  Quand je pense que son Maître à penser enseignait:

-Laissez-venir à moi les petits enfants.
Je crois même qu'il nous était défendu de rire à partir du Mercredi des Cendres. Nous mangions du poisson le vendredi, les desserts étaient réduits à leur plus simple expression, les buveurs essayaient d'arrêter de boire, les fumeurs promettaient de cesser de fumer pendant quarante jours, les avares économisaient encore davantage. Le Carême...  Une période sombre qui s'achèverait le Samedi Saint à midi, quand les cloches du curé Médéric se mettraient à rigoler comme des polissonnes: nous saurions alors que tout était terminé, que nous allions enfin pouvoir revivre.

Le Samedi Saint à midi! Tout de suite il y avait un gros changement. Le dîner était plus élaboré. Un bon ragoût... ou un spaghetti italien... ou une tourtière... Lulu avait même préparé un dessert! Et ça recommençait au souper. Le soir, le Canadien jouait à la télé. Nous avions de bonnes équipes dans ce temps-là. Jean-Claude Tremblay jouait à la défense. Plus tard, plus vieux, nous sortirions après le hockey. Nous irions au bal, comme disent les Français. C'étaient les Beatles, les Gendarmes, les filles, qui nous attiraient. Nous étions heureux. Après la veillée, la coutume voulait que nous allions luncher au Populaire ou au Martinet. Nous marchions à pied, tout se faisait à pied. Nous rentions à la maison à «la madrugada». Lulu ne dormait jamais...

Pâques, finalement. Le lendemain matin. La messe, d'abord. Il y avait des messes à toutes les heures à cette époque. Nous avions donc le choix. Durant les années cinquante, les femmes avaient coutume "d'étrenner" le jour de Pâques. Cette coutume voulait qu'elles s'achetassent un "bibi" avec voilette, ainsi qu'un nouveau manteau et un belle robe. Elles allaient à la grand'messe de dix heures: belles comme des déesses, elles y mariaient le profane au
religieux...

Bonyeu de Sorel que nous étions contents quand le repas du midi de Pâques arrivait! Lulu avait travaillé comme une forcenée. Images qui ne m'ont jamais quitté, avec lesquelles je mourrai, si mon cerveau ne me lâche pas. Oeufs farcis, jambon caramélisé, patates pilées, gâteau aux ananas avec cerises au marasquin. Nous nous bourrions la face goulûment, à n'en plus respirer. En après-midi, c'était le chocolat. Les oeufs au chocolat-vanille de Laura Secord. Mon Dieu! Ça recommençait au souper. L'agneau à la sauce aux pommes, le gâteau caramélisé aux ananas, s'il en restait! Nous invitions ma grand-mère Marie-Blanche et ma tante Jacqueline, ainsi que la "petite Denise", du temps que l'aïeule était vivante. Quelquefois, nous avions de la visite en soirée: mes oncles, mes tantes. Ça jasait, ça buvait, ça jouait aux cartes. Le malheur ne nous avait pas encore frappé... Quelques années plus tard, mil neuf cent soixante-seize, début des années quatre-vingt, Mutt et Lulu décéderaient et Pâques ne serait plus jamais pareil. Ah! Il y aurait bien quelques tentatives de ressusciter le passé... Les belles-soeurs et ma soeur tenteraient, du meilleur d'elles-mêmes, de copier la Lulu des belles années. Mais pour moi, le coeur n'y serait plus. Trop deAjouter une image gros morceaux manquaient.

Hier, jour de Pâques, j'ai dîné seul, sur le coin d'une table chambranlante, de céréales All-Bran, d'une banane et de trop dures galettes à l'avoine et aux petits raisins secs, tout en me disant que ces anonymes desserts n'ont en plus aucune saveur quand sont absents ceux pour qui nous comptons.  Pour souper, j'ai récidivé en solitaire, mais devant le téléviseur: tranches de pain, pâté de campagne. Comme chocolat? Je m'en fus au dépanneur acheter une barre de chocotat Mars. Pas même la consolation de voir Tiger Woods gagner le Master's. Ma femme et ma fille, je me répète sans doute, étaient à Trenton où ma belle-soeur livre bataille à une leucémie. Mon fils aîné travaillait à l'Urgence de l'Hôpital de Campbellton tandis que mon cadet était de garde à la Cité de la Santé à Laval.

Voilà pourquoi je vous écris, Gibus, Macpherson que Pâques a bien changé.

Delhorno

dimanche 12 avril 2009

CHEZ ARMAND

Campbellton, NB. Samedi Saint. L'ensoleillement est optimal cet après-midi. La Restigouche n'est pas encore dégelée; mais ça s'en vient, c'est tout proche.

Mes cheveux sont longs, trop longs; il y a près de deux mois que j'ai visité un coiffeur. Où irai-je, à Campbellton? Je ne connais ni barbier ni coiffeuse. Je me suis informé pourtant ça et là:

-Je cherche une fille qui puisse me faire une belle coupe de cheveux. En connaissez-vous une ?

La plupart des travailleurs de l'Hôpital de Campbellton ne sont pas de la ville. Sont des alentours. Certains viennent même du Québec, de l'autre côté de la «frontière».  N'ont pas l'air de connaître barbiers et coiffeurs de Campbellton.

-Il y a des coiffeuses près du McDo: c'est tout près!

Je me rends donc près du McDo. Pas de trace de la moindre échoppe de coiffure! Je me dirige vers l'est, sur Water, tout près du Jean Coutu. Cette boutique, là, à gauche, la coiffeuse est en train de balayer le trottoir. Il semble aussi qu'il y ait à l'intérieur un barbier désoeuvré... Ça ne me semble pas idéal... Mais où irai-je, finalement? Je ne sais plus où aller. Je me dis que je ne suis pas Robert Redford, que je ne suis qu'un quidam sexagénaire, que je n'ai pas besoin d'un look de chanteur pop. Ça y est! Je me décide. Je me ferai coiffer Chez Armand. Je fais demi-tour et je gare l'auto en face du salon. L'auto garée, je traverse la Water. La dame continue de balayer son trottoir. Armand m'entr'ouvre la porte et me fait signe de m'asseoir. Chaise d'un autre temps. Nos objets vieillissent avec nous, me dis-je. Et ça commence.

Armand est sexagénaire comme moi. Soixante-cinq ans lui aussi. J'ai envie de rire au début de notre conversation: ma belle-mère Rose-Ida avait de la difficulté à appeler mon frère DD par son prénom! Elle l'appelait Armand. Ça m'a toujours fait rire.
-Vous êtes docteur Dolhorno?
-Comment savez-vous ça? lui dis-je.
-Vous avez traité mon père en octobre.
-Ah?
-Vous avez aussi traité Greta Firth.
-Je me souviens l'avoir opérée en décembre.
-Elle est encore hospitalisée. Peine à respirer. Elle, elle en a fumé des cigarettes!

Je ne pouvais préciser ni confirmer, lié par le secret professionnel. Greta Firth, effectivement, avait été très malade.
-Connaissez-vous mon beau-frère Ghislain, «Jet» Gagnon? L'ancien joueur de hockey?
-Si, je le connais! Il était ici pas plus tard que jeudi passé. Il a ri tout le temps qu'il a été ici. Nous avions un farceur dans le salon. Même, regardez ici, j'ai une photo de lui, du temps qu'il jouait au hockey. C'était Jet, en effet. Vieille photo des années cinquante.

Nous avons parlé de choses et d'autres, des relations Francos-Anglos dans la région de Campbellton, notamment.

-Avez-vous pensé à prendre votre retraite , Armand?
-Je me lève le matin et je me dis que le temps n'est pas encore venu d'aller au Tim Horton's prendre du café et écouter les bonhommes me raconter des «mentries».

La demi-heure a filé tout doucement. Mes cheveux se sont coupés tout seuls. Armand était un homme de métier: il me semblait opérer comme un bon chirurgien. L'opération m'a coûté dix piastres, un prix qui n'a plus cours ailleurs au Canada. C'est vingt piastres chez Ghislaine à Chicoutimi. Trente et quarante à Montréal. A la toute fin, il m'a montré une collection de vieux rasoirs, dont une boîte métallique ressemblant à un boîte de sardines: j'ai reconnu tout de suite un vieux rasoir que mon père conservait chez nous au début des années cinquante!  Je n'en avais plus jamais revu depuis.

Voilà! Voilà tout ce qu'une simple visite impromptue chez un barbier de la rue Water, un Samedi Saint à Campbellton,  peut nous faire raconter!  Joyeuses Pâques!

Delhorno