mardi 21 août 2012

CET ÂGE EST SANS PITIÉ...

Lu dans La Presse tout à l'heure: les fermiers québécois pourront dorénavant acheter des semences de maïs non enrobées de pesticides et d'insecticides.  Une chercheuse de l'UQUAM a commenté:  «Si l'insecticide n'est pas là, c'est sûr que c'est un risque de mortalité de moins chez les abeilles», a indiqué Monique Boily, professeure au département des sciences biologiques de l'UQAM.»


Ça m'a fait penser qu'il n'y a pas longtemps que je me suis réveillé, pour ce qui touche les abeilles...  Grâce à «LA SEMAINE VERTE» surtout, mais aussi grâce à quelques lectures ça et là.  Les immenses champs de bleuets du Lac St-Jean, tu connais Gibus?  Eh bien!  Ils produisent leurs tonnes de myrtilles grâce à la pollinisation des abeilles.  L'article de La Presse en remet: plus de 70 des 100 espèces végétales qui fournissent 90% de la nourriture dans le monde sont fécondées grâce aux abeilles, selon le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE).  Voilà!

Un autre souvenir...  Début des années cinquante, Cinquième Avenue, Port-Alfred.  Un de nos loisirs, c'était de capturer des taons et des abeilles dans des bocaux de verre.  Nous percions des trous dans le couvercle de métal pour leur permettre de respirer.  Quelquefois, nous ajoutions des pissenlits dans leur prison dans la pensée que pourraient se nourrir un peu ces amis de Virgile:

 «D'ailleurs, quand le soleil d'or a mis l'hiver en fuite et l'a relégué sous la terre, quand le ciel s'est rouvert à l'été lumineux, aussitôt les abeilles parcourent les fourrés et les bois, butinent les fleurs vermeilles, et effleurent, légères, la surface des cours d'eau.

Transportées alors de je ne sais quelle douceur de vivre, elles choyent leurs couvées et leurs nids; elles façonnent alors avec art la cire nouvelle et composent un miel consistant.
Plus tard, quand tu verras en levant les yeux l'essaim sorti de la ruche nager dans le limpide azur vers les astres du ciel, [4,60] et que, étonné, tu l'apercevras qui flotte au gré du vent comme une nuée sombre, suis-le des yeux : toujours il va chercher des eaux douces et des toits de feuillages. Répands, dans ces lieux, les senteurs que je préconise : la mélisse broyée et l'herbe commune de la cérinthe; fais-y retentir l'airain et agite à l'entour les cymbales de la Mère. D'elles-mêmes, les abeilles se poseront aux emplacements ainsi préparés; d'elles-mêmes, elles s'enfermeront, suivant leur habitude, dans leur nouveau berceau.»  Les Géorgiques.

Le soir venu, nous oubliions les pots sur la galerie de la maison pour constater le lendemain les décès catastrophiques de nos prisonnières.  Bien des années plus tard, et bien des années trop tard, je me suis mis à lire La Fontaine:  LES DEUX PIGEONS.  Je te copie, Gibus, ce bout de fable que je n'ai plus jamais oublié.













Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié
Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d'à moitié
            La Volatile (10) malheureuse,
       Qui, maudissant sa curiosité,
            Traînant l'aile et tirant le pié,
            Demi-morte et demi-boiteuse,
            Droit au logis s'en retourna :
            Que bien, que mal  elle arriva
            Sans autre aventure fâcheuse.




Vrai que cet âge est sans pitié.  Des centaines d'abeilles des années cinquante sont disparues de l'air baieriverain par notre action friponne.

Finalement et entre nous, mon cher Gibus, mon émerveillement  devant le monde des abeilles ne manque jamais de me rappeler  ces lignes fameuses de Jean-Marie Arouet, dit Voltaire:


«L'univers m'embarrasse,  et je ne puis songer
Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger.»  

Delhorno

jeudi 16 août 2012

LE JUGE ET LA PISCINE

L'affaire ne date pas d'hier tout de même.  Si mon cerveau ne me trahit point,  elle est vieille de plus de vingt ans, du temps que j'oeuvrais comme chirurgien à l'Hôtel-Dieu Saint-Vallier.  La Fondation de l'hôpital organisait -et organise encore de nos jours- un tournoi de golf destiné à engraisser son compte de banque.  Tous, a fortiori les amoureux du golf, nous faisions un effort particulier pour prendre part.  Tournoi?  Il faut vite le dire.  L'enjeu n'était pas de compétitionner.  C'était de participer et de dépenser au profit de la Fondation.  Tenue statutairement le premier ou le deuxième vendredi de juin au club de golf de Chicoutimi, la «fête» culminait à l'Hôtel Le Montagnais avec un souper cinq étoiles et une soirée dansante durant lesquels la direction distribuait force prix et cadeaux.

J'y étais cette année-là.  En compagnie de je ne sais plus qui.  Ma femme, très certainement, m'y accompagnait.  Tout se déroulait allègrement,  dans cette atmosphère de pseudo-bonheur associée aux produits de Bacchus.  

Nous venions à peine d'entamer le plat principal qu'une clameur soudaine se propagea dans la grande salle du Montagnais.  Chacun regardait son voisin dans l'attente d'une explication vraisemblable...

Dans ces sortes de banquets monstres, le cuisinier du Montagnais avait coutume d'étaler ses chefs-d'oeuvre et concoctions sur des tables placées bout à bout qui longeaient la rive nord de la piscine du complexe hôtelier.  Il n'y a pas un Chicoutimien, voire même un Saguenéen, qui ne connaisse cette piscine fameuse car elle fut,  je pense, le premier bain intérieur jamais construit dans la cité.  Je me souviens qu'à la fin des années cinquante, lors de son ouverture, ma mère et quelques amies «montaient» à Chicoutimi les mardi soir d'hiver y suivre des cours de natation.
  
La soirée commençait donc par les discours usuels, à la suite desquels le cuisinier nous priait, table par table, d'aller du côté de la piscine, chercher nos assiettes.  Il nous fallait donc sortir de la salle des banquets pour entrer dans celle de la piscine.  Le premier étal était celui des assiettes, des ustensiles, du pain et du beurre.  Suivaient les salades, les crudités, les viandes froides, trois sortes de sandwichs, aux oeufs, au poulet et au jambon, le sempiternel énormissime saumon importé du Chili et à l'autre bout du montage, les patates, les légumes et les viandes chaudes et leurs sauces.   Desserts et cafetières attendaient un peu en retrait, dans un recoin de la salle.  Les convives déambulaient à la queue leu leu, le regard avide, soit préoccupés par le menu ou conversant avec le voisin de devant ou celui de derrière.  Leur assiette remplie, ils se dirigeaient de l'autre côté des tables, empruntant un «sentier» large de moins de trois pieds bordé par les tables et le rebord de la piscine, et repassaient la porte pour réintégrer la table qu'on leur avait assignée.

C'était une mécanique bien rodée à laquelle se soumettaient presque aveuglément les habitués chicoutimiens de ce banquet couru.  Une mécanique, un dispositif, que rien ni personne n'avait jamais détraqués.

L'année dont je vous parle, les organisateurs avaient invité une «personnalité» de l'extérieur de Chicoutimi, désirant ainsi souligner le caractère régional de la Fondation: le juge Bensoussan de Roberval.  Tous nous le vîmes déambuler dans la grande salle du banquet, l'allure ostentatoire, et s'installer, habit blanc de soirée, à la table d'honneur, laquelle surplombait celles des dîneurs ordinaires.  A la fin des discours, comme d'habitude, les invités d'honneur se levèrent et se dirigèrent tout doucement vers la piscine, suivis des convives des premières tables.  Le juge, ce soir-là, ne manquait pas de verve, me dit plus tard un loustic.  Il remplissait son assiette avec appétit sans manquer de commenter à la ronde, haut et fort, les moments glorieux de sa ronde de golf.  Au bout des viandes chaudes et donc de la longue table, il tourna vers la gauche et se dirigea vers la porte de la grande salle, tenant son assiette de la main droite et accompagnant son discours tonitruant du bras gauche, empruntant ce simili-sentier que je vous ai décrit plus haut.  C'est alors que l'improbable se produisit!  Le juge, emporté par le fil de son discours, fit un pas de travers et plongea malgré lui dans la piscine qui n'avait jamais rien vu de tel.  L'assiette s'alla reposer au fond de l'eau alors que sandwichs, viandes et légumes flottèrent quelques instants autour du nageur robervalois.   Plusieurs ne purent s'empêcher de sourire...  On vit également quelques polissons éclater d'un rire sonore.  Le juge ne riait pas du tout et n'entendait pas à rire.  On s'empressa autour de lui, on l'aida à sortir de l'onde traîtresse.  Heureusement, la piscine n'était pas très profonde au site du plongeon de l'homme de robe, lequel se dirigea instamment vers la chambre qu'on lui avait réservée.  Il ne fut plus revu dans la salle du banquet et ne revint jamais au souper de la Fondation de l'Hôpital Régional.   Ainsi s'explique la clameur que je vous ai dite.

Delhorno