dimanche 21 février 2010

ROMAIN GARY

«Il n'a pas sa rue à Paris, mais pour moi toutes les rues de France portent son nom.»
Je ne la connaissais pas celle-là... Quand je l'entendis de la bouche de la CHERCHEUSE VERTICALE, j'arrêtai de respirer! Qui avait écrit ça? Romain Gary, à propos de son ami aviateur dans les FFL. L'émotion ne cessait de m'étrangler. Il me faudrait connaître davantage celui qui a pu accoucher de cette phrase. L'occasion s'est présentée il y a deux semaines. Renaud Bray, rue St-Denis. Un livre de poche.

Eh bien! C'est fait! LA PROMESSE DE L'AUBE. Je n'avais pas de préjugé. Et je me suis accroché, ou plutôt le livre m'a accroché. Belle écriture. Autobiographique. A la gloire de sa mère, dont le souvenir hante tout le volume. La deuxième guerre. Basé en Angleterre. Le groupe Lorraine. Y fut bombardier. Récompensé par de Gaulle, qu'il admirait.

Vie personnelle? Déplorable sous certains aspects. Un fils avec Jean Seberg, fils qu'il a négligé. Fils qui en a gros sur le coeur, qui a dû écrire un livre pour exorciser son passé, élevé par une servante qui l'aima comme une mère. Oui, Romain Gary, adulé par sa mère, n'a su s'occuper de son fils... Ce paragraphe aussi où il pactise allègrement avec l'inceste.

Quelques tirades inoubliables...
«On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné.»
«Elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n'ai jamais su où aller depuis.»
«Il n'a pas sa rue à Paris, mais pour moi toutes les rues de France portent son nom.»
«La vérité meurt jeune.»

Deux prix Goncourt, Gary, le premier sous le nom de Gary, le second sous celui d'Emile Ajar. A su écrire beaucoup plus que je n'aurais pensé. LES RACINES DU CIEL, notamment. C'était important pour lui d'écrire. Sa mère le voyait en Tolstoï...

S'est suicidé en 1980. Une balle dans la bouche. Avait laissé un billet: «Aucun rapport avec Jean Seberg». Celle-ci s'était suicidée l'année d'avant. Avait dit à quelqu'un quelques années plus tôt qu'il ne vieillirait pas, qu'il avait conclu un pacte avec le bonhomme là-haut.

Je l'envie. Avec ma petite vie de chirurgien de province, saurai-je jamais m'élever à cette hauteur? Pas assez de talent...

Delhorno


vendredi 19 février 2010

VACHERIES, CARAPACE, CAPARAÇON ET CAPARACONNER


Mes enfants me racontent les vacheries qui leur tombent du ciel depuis ce jour à la fois sinistre et glorieux où ils sont arrivés sur le marché du travail. Coups de téléphones vespéraux aux accents désespérés qui me surprennent toujours sans jamais me surprendre... Les hommes sont ainsi faits qu'ils s'élèvent vers les sommets en piétinant le corps de ceux qui font le même chemin qu'eux, et surtout, sans jamais penser qu'en redescendant ils rencontreront ceux-là même que jadis ils ont humiliés...

Qu'est ce qu'une vacherie, Gibus?  C'est un  coup de cochon!  Et qu'est-ce qu'un coup de cochon?  C'est une vacherie.  Nous sommes ici sur le plancher des vaches.  Pas très loin de ces photos que je vous montre...




Une vacherie, c'est un soulier verni en plein coeur d'une bouse de vache.  C'est un coup de Jarnac, une botte inattendue, un coup de poignard dans le dos, gracieuseté d'un ennemi, d'un beau-frère, mais aussi et souvent, de ton meilleur ami et de ton frère.  Ce langage semble de moins en moins usité, depuis que nos sociétés sont de moins en moins agricoles...  En tout cas, c'est un langage que j'entends de moins en moins dans mon entourage.

On se dit à trente ans que la vie n'est pas ainsi faite, que dans quelques années on nous laissera tranquille, qu'on cessera de nous écorcher. Rien n'y fait... Au moindre tournant se tapit un demeuré, un jaloux, un ambitieux voire même un insouciant, qui s'acharne à vouloir nous subtiliser telle  ou telle chose qu'il nous envie.

J'ai percé depuis peu l'alignement des sexagénaires avancés. Certain de ne plus être un obstacle pour personne, de ne menacer aucune ambition. Et pourtant... J'encaisse encore mon lot de vacheries. Cette semaine. Un médecin de famille. Son patient, un jeune homme a dix-sept ans. Pneumothorax minime au sommet gauche. Plus ou moins dix pour cent, si ce chiffre vous dit quelque chose. On ne draîne pas d'emblée ces sortes de pneumothorax, à Chicoutimi, d'où je viens. On me consulte donc. J'opine qu'il faut agir de manière conservatrice pour l'instant, ne pas drainer chirurgicalement ce pneumothorax qui a toutes les chances de se résorber tout seul. Je repasse le lendemain et -c'est ça la vacherie- je me rends compte que le pneumothorax a été drainé par l'autre chirurgien, malgré ma note au dossier.  Médecin de famille et chirurgien n'ont jamais pris le temps de m'appeler pour discuter l'affaire. Je rencontre l'omnipracticien le lendemain, c'est-à-dire hier.  Je me demande prestement si je discuterai l'affaire avec lui...  Finalement, je l'aborde ainsi:
-Tu dois savoir, Bcdef, que le jeune homme au pneumothorax ne pourra jamais se rendre au Costa Rica comme il pensait le faire?
-Assurément, je l'ai mis au courant. En passant, j'ai rencontré l'autre chirurgien dans le corridor; comme le pneumothorax avait augmenté un peu, je lui ai demandé de le drainer.
-Ouais,  j'ai vu ça! Pas de problème...

Or, il y en avait un, un problème... L'endroit n'était pas très bien choisi pour que je le divulgue et l'explicite. J'avais été froissé par son attitude cavalière, son manque de sensibilité. Pourtant, Bcdef devrait connaître la vie, les gens, le respect d'autrui. Il a divorcé deux fois, eu des enfants de trois mères différentes, vit seul maintenant tout en cherchant une nouvelle partenaire. Eh bien, non! Bcdef ne sent pas ces choses-là. Il aurait pu m'en parler, discuter le coup, maintenir qu'un drainage s'imposait, me demander de réviser ma décision, s'enquérir sur quelles données elle s'appuyait. Non. Pourtant, mes bases étaient solides.  J'avais pris la peine de consulter le chirurgien thoracique de l'Hôtel-Dieu St-Vallier...

J'écris ceci pour toi, toi dont je suis le père. Pour que tu saches qu'il est impossible de traverser cette vie sans se faire brusquer, qu'il faut se caparaçonner le plus tôt possible, car les coups viennent de toutes parts et de n'importe qui. Oui, une carapace, un caparaçon et... se caparaçonner!  Contre les vacheries!

Delhorno


jeudi 18 février 2010

LE TEMPS DES FANFARES

Tout a commencé par une flûte à bec... Au Collège St-Edouard. Tout innocemment. Je n'en jouais pas beaucoup. Quelques airs de Noël. «Au Clair de la Lune», «St-Louis Blues». Je ne détestais pas ça... Ma mère jouait du piano à l'oreille, mon père avait joué du saxophone dans la fanfare de Port-Alfred.

Un bon jour, monsieur McLean apporta un trombone à coulisse à la maison: la fanfare recrutait, manquait de joueurs de trombone. Il fallait savoir la clef de FA pour jouer du trombone à coulisse, ce que j'ignorais. J'étais incapable de suivre. Pourtant, ce n'était pas si difficile. Je me dis aujourd'hui que si monsieur McLean m'avait donné un peu de temps, avait montré un peu plus de leadership, je serais aujourd'hui tromboniste.

J'arrivai alors au Petit Séminaire de Chicoutimi. Avais à peine 16 ans. L'abbé Guy Potvin montait un orchestre de flûtes à bec. J'embarquai derechef. Et peu de temps après , il organisait une fanfare ainsi qu'un orchestre de jazz. Je devins joueur de clarinette basse et de saxophone baryton. IN THE MOOD, I LEFT MY HEART IN SAN FRANCISCO, IN A SENTIMENTAL WAY, BEGIN THE BEGUINE, c'est à l'orchestre du Petit Séminaire que j'ai connu ça.

En même temps, chez nous à Port-Alfred, il y avait la fanfare sous l'égide de monsieur Fernand Simard, un ami de jeunesse de ma mère. J'avais de l'énergie à revendre... Je devins clarinettiste et saxophoniste à la fanfare de Port-Alfred. L'année d'après, la fanfare de Port-Alfred devenait la fanfare du Régiment du Saguenay et j'endossai donc l'uniforme rouge et noir du régiment. Dieu que je me sentais important dans mon froc rouge et mes pantalons noirs. L'armée nous traitait bien... Un petit salaire à tous les mois...

Entre seize et vingt ans, je fus membre de deux fanfares et de trois orchestres en même temps. Je faisais aussi du théâtre, de l'athlétisme et de la politique étudiante, tout en essayant de me mener à bien les quatre dernières années de mon cours classique. Je fus un musicien médiocre. Je l'admets aisément aujourd'hui que j'atteins ma soixante-sixième année; mais je l'ignorais à l'époque. Il y avait des camarades surdoués en musique, pensais-je, alors que moi, j'avais été oublié des dieux. Il aurait fallu que je pratique davantage, ou que mes mentors m'incitent à y mettre le temps. Ce que je ne fis jamais. La fanfare de Port-Alfred jouait un morceau dans lequel le saxophone ténor avait un solo spectaculaire. Ce solo, je ne le pratiquai jamais... J'ai toujours regretté mon incurie... et je me revois encore aujourd'hui me levant au moment de solo et donnant à ce morceau tout le panache qui lui fit toujours défaut.

Aujourd'hui, je pratique seul mon saxophone dans les endroits les plus hétéroclites. Je fais du mieux que je peux. Mais il manque toujours quelque chose: un solo de clarinette par ici, une sonnerie de trompette par là, une glissade de trombone ou simplement l'accompagnement d'un batteur. Je me dis alors que c'était le bon temps, ce temps des fanfares, que j'ai bien fait d'en profiter. Fernand Simard et Guy Potvin ? Le premier est décédé et presque oublié; le second vit à Washington, malade, lui aussi oublié.

Delhorno

vendredi 12 février 2010

XENOPHON

Voilà! C'est fait! J'en ai terminé la lecture. L'ANABASE, ou la Retraite des Dix Mille. Je m'étais dit, ces années de mon adolescence quand l'abbé Clément-Jacques me faisait traduire des passages de l'Anabase, qu'un jour je lirais le livre d'un bout à l'autre. Pourquoi une telle lubie, car personne ne lit l'Anabase? Je l'ignore... Peut-être que m'ont simplement envoûté ces deux mots qui ont survolé deux millénaires: THALASSA, THALASSA.

L'Anabase, c'est un reportage! L'un des premiers, sinon le premier, qui nous soit parvenu de la nuit des temps. Douze mille mercenaires grecs, les meilleurs soldats de l'époque, à la solde de Cyrus, qui s'est mis en tête de détrôner son frère Antaxerxès, qui règne sur l'empire Perse à Babylone. Ils partiront de la côte occidentale de la Turquie actuelle, traverseront la Turquie, la Syrie, le désert iraquien et se rendront un peu au nord de Babylone et vaincront Antaxerxès à Counaxa. Cyrus, vainqueur, mais voulant la tête de son frère, mourra d'une flèche ou d'un javelot, ce qui transformera la victoire en défaite. Les Grecs en seront pris au dépourvu. Ils ne voudront pas se mettre à la solde d'Antaxerxès et, désirant retourner en Grèce, ne pourront le faire par le chemin de l'aller. Xénophon leur proposera de s'en aller vers le nord, vers le Pont-Euxin, la mer Noire actuelle, ce qui leur fera traverser tout l'Iraq actuel, du sud au nord, le Kurdistan, l'Arménie et la Turquie actuelle de l'est à l'ouest.

Xénophon, donc, raconte les péripéties de cette folle aventure: ils doivent vivre sur le pays qu'ils traversent, guerroyer sans cesse, faire des alliances et les dénouer, déjouer les intrigues, se faire payer par les rois qui les emploient, trouver des bateaux en mer Noire qui les ramèneront en Grèce, traverser et retraverser le Bosphore.

Xénophon passera les vingt dernières années de sa vie pas très loin d'Olympie et de Katacôlon, que j'ai visités récemment. C'est là qu'il a écrit l'ANABASE, la CYROPÉDIE, et d'autres traités secondaires, dont l'un sur la chasse. J'oubliais! Il fut l'élève de Socrate, le chanceux.

Je ne mourrai pas sans que mes yeux aient connu le Pont-Euxin...

Delhorno