mardi 11 février 2014

LE RATON-LAVEUR ET LE DENTIER


L'anecdote me fut rapportée par son protagoniste principal dont je cacherai le nom dans le fourmillement de ce texte.  Un fait vécu pourtant, que je vous relaterai avec force détails. Une aventure rabelaisienne... Je doute pouvoir y mettre la verve du père de Gargantua, mais, bon! j'essaierai.

Il avait découvert la motocyclette à soixante ans! Allez donc savoir pourquoi et comment un sexagénaire oublié se métamorphose en motocycliste... Il passait ses hivers entre Sosua et Cabarete, en République Dominicaine. Ses amis faisaient de la moto. Il est beaucoup plus facile, Gibus, Macpherson, de s'inventer motocycliste là-bas... Pas besoin de cours, pas besoin de casque, frais minimes. C'est ainsi que tout s'articula. Pour devenir un mode de vie. Deux motos en République, une moto au Québec. L'essentiel de la vie tourne autour du bicycle à gaz: l'épicerie, le dentiste, la "ferreteria", les soupers en ville, les virées d'un bout à l'autre d'Hispanola, de Pueto Plata à Santo Domingo, de Monte Cristi à La Samana.

Cette année-là, à son retour au Québec, après quelques semaines de "relâche", il décida de réaliser un grand coup: un périple à moto de quelques milliers de kilomètres qui l'amènerait de Montréal à Vancouver, de Vancouver à San Diego, une saucette au Mexique, le retour à travers le MidWest jusqu'à Montréal.

Sa copine l'accompagnerait: la compagne idéale, celle qu'il avait cherché des années, sans jamais la trouver. A sa moto était attachée une tente-roulotte articulable et désarticulable, qui intégrait une cuisinette avec table et compartiments.

Ils achevaient leur périple. Avaient fait relâche un peut partout dans les campings de l'oncle Sam et tout avait roulé sur des roulettes, tout avait baigné dans l'huile.

Ce soir-là, ils rentraient à Montréal. Venaient tout juste de passer la frontière ontarienne. Il avait planifié d'aller coucher chez son garçon à Laval. Il pensait pouvoir y arriver en moins d'une demi-heure. Mais voilà! elle était fatiguée et suggérait qu'on s'arrêtât tout de suite. Il obtempéra. Il connaissait, tout près de Rigaud, la «Cadillac» des terrains de camping: c'était tout près. Ils y furent en quelques minutes. 

Les voici donc arrivés. Le rituel d'installation s'amorce. La tente est prestement déployée, la cuisinette et la petite table étalées, le bicycle est remisé un peu plus loin, la nuit s'annonce déjà, insidieuse; le souper sera frugal,  les provisions étant ténues, en cette fin de voyage. Ce sera un sandwich au jambon, car il reste une belle miche de pain et quelques tranches de jambon. Tout cela s'exécute doucement, tendrement: c'est un voyage inoubliable et sans anicroche qui s'achève. Les deux excursionnistes philosophent un peu, puis vient l'heure du dodo.

Ils s'introduisent dans la petite tente, se glissent dans leurs sacs de couchage. Elle s'endort aussitôt. Lui, il se met à réfléchir encore, -il aura réfléchi toute sa vie- et finalement sombre dans les bras de Morphée. Il doit être neuf heures ou neuf heures et demie.

Bing! Bang! Kriche! Kruche! Ils se réveillent en sursaut. On s'active sur la petite table à manger! Ce doit être un raton-laveur, pense aussitôt le motocycliste; il se souvient que les autorités gouvernementales avaient annoncé le lâcher de biscuits empoisonnés sur la région, quelques semaines plus tôt, en raison d'un épidémie de rage chez les raton-laveurs. Il allume sa lampe de poche. C'est bien ça, un raccoon! Il le voit s'enfuir avec le reste de la miche de pain, le salaud. Ils se rendorment, bercés par la pensée qu'ayant bien soupé, Maître Raton s'en ira dormir.

Mais non! Le polisson récidive cinq ou six fois au cours de l'heure suivante, s'invitant chaque fois avec le même tintamarre rocambolesque. Le scénario se répète comme dans une prise de vue qu'on recommence. L'intrus s'amène, le motocycliste sort en bobettes de son sac de couchage et allume sa lampe de poche. Maître Raccoon s'arrête de bouger, interdit, regarde Maître Moto à travers ses besicles de poil, et semble lui susurrer en ricanant:
-Laisse-moi donc tranquille, espèce de Tout-Nu!
Ce n'est qu'après quelques secondes d'hésitation que Maître Raccoon se décide à mettre fin à son effraction et à se sauver vers les bois.

Aux alentours de minuit, ils sont réveillés à nouveau par un vacarme inédit.  Le motocycliste sort aussitôt de la tente et crie aussitôt à la motocycliste:
-Bonyeu de Sorel, l'animal a renversé le bol où se trouvait mon dentier et il se sauve mon dentier dans sa gueule!
La motocycliste veut mourir de rire; lui, il est en beau maudit!  Un dentier, c'est au moins mille piastres!

Le restant de la nuit






























































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